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Shi-Shang : apprivoiser la préhistoire

01/09/2014
Le fondateur de Shi-Shang, Kiko Hsiao, s’est pris de passion pour les fossiles alors qu’il était encore étudiant. (Photo de Chuang Kung-ju / Taiwan Panorama)
Casque de protection sur les oreilles, stylo pneumatique en main, un spécialiste travaille avec précaution sur un morceau de roche. Lentement, dans un bruit strident, la pierre laisse apparaître le squelette d’un crinoïde, un animal marin qui a été piégé dans les sédiments il y a environ 500 millions d’années.

Depuis la création du Centre Shi-Shang de restauration des fossiles, en 1997, ses employés ont ainsi fait sortir de la pierre des dizaines de milliers de spécimens de toutes tailles, depuis les ammonites et les trilobites jusqu’aux tyrannosaures et aux mammouths.

Quatre années en Allemagne

En 1986, alors qu’il était étudiant à l’Université de technologie marine de Taipei, Kiko Hsiao [蕭語富] a été recommandé par un camarade pour un petit boulot dans une usine de polissage des pierres semi-précieuses. C’est là qu’il a découvert les fossiles – en particulier des plantes prises dans l’agate et la silice et qui étaient utilisées pour la confection de bijoux. Il s’est alors pris de passion pour ces vestiges d’un monde disparu.

Après avoir terminé ses études, il a d’abord travaillé dans l’importation des cristaux, un métier qui lui a donné l’occasion de visiter des expositions de fossiles et d’en apprendre à chaque fois un peu plus sur ce sujet. Un jour, il a accompagné un groupe de professionnels allemands rencontrés dans l’une de ces expositions à Holzmaden, près de Stuttgart, dans le Bade-Wurtemberg, une ville connue pour la richesse de ses sols en fossiles datant du Jurassique.

Impressionné par ce qu’il avait vu à Holzmaden, Kiko Hsiao a décidé d’y suivre une formation en restauration des fossiles. Il y a peu d’endroits où ce genre d’enseignement est disponible, et il n’existe à l’heure actuelle dans le monde que cinq sociétés spécialisées dans ce domaine.

Kiko Hsiao se souvient qu’il trouvait tout à fait normal de s’entraîner au moins dix heures par jour. Il a vu par lui-même durant cette formation le haut niveau de compétence des Allemands. « A l’époque, à Taiwan, on ne suivait guère les règles de l’art pour extraire les fossiles. Chacun creusait où il voulait. En Allemagne, ils dressent toujours un plan détaillé avant de commencer à travailler. Ils réfléchissent ensuite aux meilleures méthodes pour la restauration. Ce que j’ai ramené d’Allemagne est une approche entièrement nouvelle pour Taiwan. »

Après avoir créé sa propre entreprise à Taiwan, Kiko Hsiao y a importé les méthodes allemandes. Il a abandonné le sable comme matériau abrasif au profit du bicarbonate de soude, qui entraîne moins de dommages. Si le processus prend ainsi trois fois plus de temps, « le contraste a été immédiatement très clair, les fossiles ternes se transformant en œuvres d’art ».

Autrefois, les outils disponibles étaient peu nombreux, et les experts devaient s’en remettre à leur expérience pour lire les lignes et les strates géologiques de chaque pièce afin de deviner quelle espèce s’y cachait, de façon à dégager les fossiles sans trop les abîmer. Un faux mouvement ou une erreur de jugement pouvait avoir de lourdes conséquences. « Par manque de littérature spécialisée et de formation, nous n’avions que l’expérience pour nous guider. »

Kiko Hsiao n’a d’abord accepté que quelques contrats, afin de se réserver du temps pour visiter les expositions et salons internationaux de fossiles, à la recherche de nouvelles pièces. L’une de ses priorités était l’Exposition de gemmes, minéraux et fossiles de Tucson, en Arizona, aux Etats-Unis. Ce salon aujourd’hui mondialement réputé fut fondé il y a une soixantaine d’années par des fermiers de la région pour occuper leur temps libre en vendant les pierres remarquables sur lesquelles ils étaient tombés en labourant, explique l’entrepreneur. Sur ce salon, poursuit-il, aucun expert indépendant n’est disponible pour aider les acheteurs qui n’ont donc que leur propre jugement sur lequel s’appuyer pour différencier les pièces intéressantes des cailloux sans valeur.

Apporter ses lumières

Il existe si peu de gens capables de faire ce travail que l’atelier Shi-Shang est sollicité par les collectionneurs et les musées d’histoire naturelle à travers le monde pour nettoyer et restaurer des fossiles même de grande taille, comme des triceratops et des tyrannosaures.

Shi-Shang travaille aussi avec le chercheur Cheng Yannian [程延年], du Musée national des sciences naturelles de Taiwan, pour la rédaction d’articles qui ont été publiés dans des revues internationales de référence comme Nature et Science.

Shi-Shang : apprivoiser la préhistoire

Dégager les fossiles de leur gangue de pierre exige une grande maîtrise technique. Ici, une ammonite coupée en deux. (Photo de Chuang Kung-ju / Taiwan Panorama)

En 2003, Shi-Shang avait découvert le fossile d’un keichousaurus femelle de 200 millions d’années avec six fœtus dans un amas de fossiles non restaurés. Une fois passés entre les mains expertes de l’équipe, ces fossiles ont conforté les thèses relatives à l’évolution du mode de gestation chez les reptiles marins, de la ponte d’œufs à la délivrance de petits entièrement formés.

Mais le fossile dont Kiko Hsiao est le plus fier, car il s’agit du plus précieux sur lequel il a jamais travaillé, est celui d’un os pelvien d’oviraptor datant d’environ 70 millions d’années. Le caractère exceptionnel de la pièce venait du fait qu’elle était associée à une paire d’œufs en parfait état de conservation, à la coquille intacte. Il a fait cette découverte inespérée en 2003, dans un lot de roches en provenance des Etats-Unis.

Avec l’aide de Cheng Yannian et d’experts du Musée canadien de la nature, ces fossiles ont permis de conforter la thèse selon laquelle les oiseaux ont évolué à partir des théropodes. En 2010, l’équipe de Shi-Shang a aussi travaillé sur des roches provenant de la côte de l’archipel de Penghu, dans le détroit de Taiwan, et y a trouvé des restes fossiles de tigres, d’éléphants, de chevaux, de cerfs et d’autres animaux datant d’il y a 40 000 ans pour les plus anciens.

Un musée à la maison

En 2003, pour promouvoir la paléontologie et les fossiles à Taiwan et permettre aux visiteurs des musées de ramener à la maison un peu de ce qu’ils y ont vu, Kiko Hsiao a fondé le Shi-Shang Science Shop. La boutique, qui est décorée avec des reproductions de squelettes de dinosaures, vend des répliques de pièces exposées au Musée national des sciences de Taichung et au Centre national d’éducation aux sciences naturelles de Taipei, deux institutions avec lesquelles Shi-Shang a signé un partenariat. Au départ, les affaires n’étaient pas exactement florissantes, mais depuis que Shi-Shang bénéficie d’une présence dans les librairies Eslite, sa visibilité s’est développée et les recettes se sont envolées.

Avec une collection d’environ 10 000 fossiles et surtout un important savoir et un réseau bien développé dans les milieux de la paléontologie, Shi-Shang est devenu un acteur majeur dans l’organisation des expositions de fossiles à travers le monde.

Pour l’exposition permanente de dinosaures fossiles installée dans les bâtiments historiques de la Land Bank of Taiwan (face au Musée national de Taiwan, à Taipei), tout a été mis en place par les équipes de Shi-Shang, depuis les vitrines jusqu’aux éclairages, en passant par les brochures d’information. Et lorsque le Musée Chi Mei a décidé d’ouvrir une section scientifique, en 2005, c’est à Shi-Shang que ses responsables se sont adressés. Kiko Hsiao est toujours consultant pour ce musée privé de Tainan, dans le sud de l’île.

Poursuivant sur sa lancée, Shi-Shang a organisé une exposition pour les grands magasins Shin Kong Mitsukoshi en 2005, laquelle a été vue par quelque 10 000 personnes. L’année dernière, la société était le principal organisateur d’une exposition, au Centre de commerce international de Taipei, de mammouths datant d’il y a 39 000 ans et qui ont été retrouvés il y a quelques années, parfaitement préservés dans les glaces de Sibérie. L’événement a attiré un record de 500 000 visiteurs en seulement quatre jours.

Malgré ses vingt ans d’expérience dans la restauration des fossiles, Kiko Hsiao n’a pas l’intention de se reposer sur ses lauriers. Non seulement il est retourné à la fac pour s’inscrire en géologie à l’Université de la culture chinoise, à Taipei, mais il travaille aussi à la création d’un centre de restauration des fossiles de classe internationale. Dans cette optique, l’année dernière, le petit atelier a quitté le quartier de Jiangzicui, à New Taipei, pour se réinstaller dans un espace de 1 300 m2 à Tucheng, dans la grande banlieue de la capitale, avec l’objectif de rassembler les activités de restauration des fossiles, d’exposition et de vente sur le même site. 

L’intérêt croissant du public taiwanais pour les fossiles est en grande partie à mettre au crédit des efforts de vulgarisation de Shi-Shang. Aujourd’hui, les produits de la société sont en vente dans une quarantaine de points de vente à travers Taiwan. L’année dernière, Shi-Shang a franchi une nouvelle étape en s’attaquant au marché chinois.

L’objectif de Kiko Hsiao reste inchangé : mettre en valeur les vestiges du monde préhistorique et permettre au public de prendre du recul pour comprendre comment tout a commencé…

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