Taiwan abrite plusieurs des leaders mondiaux de la production de véhicules pour personnes à mobilité réduite. Des statistiques de l’Institut de recherche sur les technologies industrielles (ITRI), un organisme financé par l’Etat, indiquent que Taiwan est au 2e rang dans le monde pour les fauteuils roulants et scooters pour handicapés équipés d’une batterie électrique, avec une production de 143 000 unités l’année dernière, soit environ 22% du total mondial. C’est beaucoup moins que les 268 000 unités produites à Taiwan en 2006, soit 42,5% de la production mondiale cette année-là, du fait des délocalisations massives vers la Chine de fabricants en quête de compétitivité.
Mais cela n’empêche pas Taiwan de conserver l’avantage sur le segment de la production haut de gamme et dans le domaine de la recherche-développement. La société Pihsiang en est un bon exemple. Fondée en 1983 dans le district de Hsinchu, dans le nord de Taiwan, par Wu Pi-hsiang [伍必翔], un inventeur qui s’était fait connaître en concevant des véhicules spécialisés dans le transport des produits agricoles, l’entreprise Pihsiang a été un pionnier des véhicules à batterie électrique. « Pihsiang se différencie à ce titre des autres grandes entreprises taiwanaises du secteur des scooters pour handicapés qui étaient au départ des fabricants de fauteuils roulants », note Huang Yu-bin [黃裕斌], chercheur spécialisé dans les équipements médicaux au Centre d’économie et de savoirs industriels de l’ITRI.
« L’émergence du secteur taiwanais du fauteuil roulant est étroitement liée aux forces du secteur local de la bicyclette dans la mesure où ils partagent beaucoup de points communs en termes de design et de pièces détachées », relève Jonathan Cheng [鄭舜遠], le vice-président de Merits Health Products. Fondée en 1987 à Taichung, dans le centre de l’île, une région internationalement connue pour son pôle de compétitivité dans le domaine du cycle, Merits est l’une de ces entreprises locales qui ont débuté en tant que fabricants de fauteuils roulants. Elle a commencé à produire des fauteuils roulants électriques en 1992 en tant que fabricant d’équipements d’origine (OEM) pour une grande société américaine. Aujourd’hui, elle est aussi producteur de concepts d’origine (ODM) pour plusieurs grandes marques internationales.
On continue à fabriquer des fauteuils roulants à Taiwan, note Jonathan Cheng, mais la plus grande partie de la production a été délocalisée outre-mer. Merits avait déjà réinstallé toutes ses lignes de production pour les fauteuils roulants manuels en Chine dès le milieu des années 90, avant d’y délocaliser aussi une partie de la fabrication de ses modèles électriques les plus basiques en 2013. Tous les modèles milieu et haut de gamme continuent toutefois d’être fabriqués à Taiwan.
Au fil du temps, les fabricants taiwanais de véhicules électriques pour personnes à mobilité réduite, qu’il s’agisse de fauteuils roulants ou de scooters, se sont rassemblés en pôles de compétitivité. Le plus notable de ces clusters se situe dans et autour du Parc de l’innovation technologique dédié aux machines de précision de Taichung, où Merits a son siège, aux côtés de la plupart de ses sous-traitants et fournisseurs. « Ils sont tous situés dans un rayon de 30 km autour de nos installations », dit Jonathan Cheng.
Selon Huang Yu-bin, la majorité des pièces détachées nécessaires à la fabrication tant des fauteuils roulants que des scooters pour personnes à mobilité réduite munis d’une batterie électrique sont disponibles à Taiwan. Par exemple, certains des fabricants taiwanais de pièces détachées pour l’industrie automobile les plus renommés, comme Kenda Rubber Industry et Uni Auto Parts Manufacture, fabriquent aussi pour ce secteur – des pneus pour la première et des sièges pour la seconde. Cela dit, les entreprises locales dépendent encore fortement des importations pour les commandes électroniques qui permettent de réguler la vitesse et les mouvements sur certains modèles high-tech. Plusieurs entreprises locales, y compris Merits, ont envisagé de développer et produire eux-mêmes ces pièces essentielles, mais jusqu’ici, toutes ont reculé devant le coût prohibitif que cela représente.
Les entreprises taiwanaises sont surtout confrontées à l’émergence de concurrents en Chine. « Lorsqu’une entreprise taiwanaise installe des usines là-bas, il ne se passe pas longtemps avant qu’un employé s’inspire des techniques qu’elle a importées pour créer sa propre entreprise, dit Formosa Lu [呂溪賓], président de l’Institut taiwanais pour les technologies fonctionnelles. Et la concurrence des produits à bas coût, fabriqués en masse, représente une forte pression pour les entreprises à Taiwan. »
Selon Sharon Wang, directrice des ventes de Pihsiang, Shoprider est leader sur le segment des scooters pour personnes à mobilité réduite en Australie, au Canada, en Chine et à Taiwan. (CHIN HUNG-HAO / TAIWAN REVIEW)
Au cours de la dizaine d’années qui vient de s’écouler, les entreprises locales ont aussi rencontré des obstacles dans leur expansion aux Etats-Unis, le plus important marché au monde pour les fauteuils roulants électriques et les scooters pour personnes à mobilité réduite. Mais il s’agit d’obstacles d’une nature bien différente. En 2003, explique Jonathan Cheng, le gouvernement américain a revu à la baisse les critères d’attribution des subventions pour l’achat de ce type d’équipements, et celles-ci ont encore été réduites à la suite de la crise financière mondiale.
Les entreprises locales ont donc cherché à développer leurs ventes sur les marchés émergents où les taux de pénétration restent faibles par comparaison avec les pays développés. Sharon Wang estime que les Etats-Unis et l’Europe représentent encore 70% du marché mondial des véhicules pour personnes à mobilité réduite. Cela peut en partie s’expliquer par les subventions versées aux utilisateurs par l’Etat dans ces régions, ainsi que par les différences dans le mode de vie des personnes âgées. « En Asie, les personnes âgées ont tendance à rester avec leurs enfants, mais en Occident, ils vivent généralement seuls et sont donc plus dépendants des aides à la mobilité », fait-elle remarquer.
Aujourd’hui, les pays émergents tels que la Chine commencent à être confrontés au vieillissement de leur population, tandis que les jeunes générations adoptent des styles de vie plus proches de ceux des Occidentaux. Ces facteurs devraient y provoquer une forte augmentation de la demande en équipements d’aide à la mobilité. « Il existe un besoin considérable pour ce genre de produits parmi la population âgée, pas seulement parce que les gens ont tendance à être moins mobiles avec l’âge, mais aussi du fait de la fréquence plus élevée des maladies chroniques comme le diabète », relève encore Sharon Wang.
Toujours est-il que la concurrence, de plus en plus intense, incite les entreprises taiwanaises à investir des ressources considérables dans la recherche et le développement. « Les fabricants chinois ne sont pas tellement loin derrière les Taiwanais, reconnaît Formosa Lu, donc nous devons constamment innover. » Sharon Wang note pour sa part que le cycle de vie des produits se raccourcit et que les entreprises doivent sans arrêt proposer de nouveaux modèles ou ajouter des options à ceux qui sont déjà commercialisés depuis quelques années. « Sur le plan de la qualité, les entreprises taiwanaises ont encore un léger avantage sur leurs concurrentes chinoises, mais elles risquent de se faire rattraper d’ici trois ans », avertit-elle.
Si beaucoup d’entreprises taiwanaises se sont taillé une réputation dans le secteur en tant que fabricants OEM ou ODM, elles sont de plus en plus nombreuses à essayer de construire leur propre marque. Bien qu’elle continue de fonctionner aussi sur le mode ODM pour sa clientèle internationale, l’entreprise Pihsiang vend depuis longtemps des scooters électriques pour handicapés et des fauteuils roulants électriques sous sa marque Shoprider. Sharon Wang assure que les produits Shoprider sont leaders sur leur segment en Australie, au Canada, en Chine et à Taiwan.
La société Merits s’est elle aussi engagée sur cette voie en 2004, en vendant sous son nom et en faisant une promotion active de ses produits dans les foires commerciales internationales à Taiwan et outre-mer. Aujourd’hui, la société, qui s’est recentrée sur le renforcement de sa notoriété aux Etats-Unis, en Chine et à Taiwan, tire entre 20 et 30% de ses profits des produits qu’elle vend sous sa propre marque.
On dénombre aujourd’hui à Taiwan 17 entreprises dont la principale activité est l’assemblage de pièces pour fauteuils roulants électriques et scooters pour handicapés, et au moins une dizaine d’entre elles ont développé leur propre marque. Une autre société remarquable sur ce segment de marché est Karma Medical Products, laquelle est basée à Chiayi, dans le sud de Taiwan, et qui vend sous la marque Karma. En 1990, elle a été la première à Taiwan à produire des fauteuils roulants légers en alliage d’aluminium, et l’année suivante, elle dévoilait un modèle à moteur électrique construit dans le même matériau. Aujourd’hui, Karma domine le marché taiwanais du fauteuil roulant, manuel comme électrique.
L’innovation et une production de haute qualité sont les clés d’une croissance continue sur le long terme, et des entreprises taiwanaises comme Pihsiang, Merits et Karma, qui ont toutes les trois obtenu des Prix d’excellence décernés par le gouvernement de la République de Chine, l’ont amplement démontré. Du fait entre autres des similarités qui existent entre leurs activités, beaucoup d’autres entreprises du secteur prennent exemple sur Giant, le célèbre fabricant taiwanais de vélos, pour chercher à devenir des marques reconnues mondialement elles aussi. « Si nous continuons de renforcer nos capacités sur le plan du marketing et du design, veut croire Jonathan Cheng, nous serons un jour les Giant de l’industrie des véhicules pour personnes à mobilité réduite. »