Pour Shih Kai-hsuan [施愷軒], il n’existe rien de plus fascinant que de créer et de faire fonctionner un robot. Alors que les grandes vacances débutaient, lui et d’autres membres du Club de robotique du Lycée Shi Yuan de Taichung, dans le centre de l’île, sont retournés en classe pour préparer les concours de robots. « Nous avons passé tout notre été à étudier différents composants comme les moteurs et les capteurs et à imaginer des solutions, on s’est vraiment bien amusés ! », raconte-t-il.
Fondé en 2011, le club de robotique de Shi Yuan a déjà obtenu une certaine reconnaissance internationale. L’année dernière, il s’est arrogé la troisième place chez les lycéens du concours classique lors de l’Olympiade mondiale des robots, qui avait lieu à Sotchi, en Russie. Organisée pour la première fois en 2004 à Singapour, la compétition se décline en quatre catégories. Les équipes doivent d’abord se qualifier à l’issue de concours organisés dans leur pays d’origine. Dans la catégorie « open », par exemple, les participants doivent construire un robot selon un thème choisi. Dans celle appelée « classique », il est demandé de créer un robot qui puisse accomplir une tâche donnée.
L’intérêt pour la robotique s’est développé ces dernières années à Taiwan, et beaucoup d’universitaires se sont lancés dans l’exploration de ce nouveau champ d’étude. Cela a décollé après l’Exposition internationale spécialisée de 2005 qui s’est tenue dans la préfecture d’Aichi au Japon, raconte Kuo Chung-hsien [郭重顯] qui enseigne l’ingénierie électrique à l’Université nationale des sciences et technologies de Taiwan (NTUST), à Taipei. « L’exposition a montré une variété incroyable de robots du meilleur niveau. Beaucoup d’universitaires taiwanais ont fait le déplacement et en sont rentrés très enthousiastes. Ils ont cherché à en apprendre plus sur les robots et ont ensuite transmis cette passion à leurs élèves, explique-t-il. Avec la hausse récente de la demande mondiale pour des machines industrielles intelligentes, un nombre croissant de jeunes gens sont motivés par une carrière dans ce domaine. »
La popularité en hausse de la robotique chez les Taiwanais n’est pas une surprise mais le reflet de l’engouement mondial pour cette nouvelle discipline, comme cela s’est constaté aux différentes éditions de la RoboCup, ce tournoi international de robotique dont l’objectif est d’arriver à créer une équipe de football composée de robots capables de battre une équipe d’humains d’ici 2050. Lors de sa première édition en 1997 à Nagoya, au Japon, l’évènement a attiré 38 équipes venues de 11 pays. Lors de l’édition 2015 qui avait lieu à Hefei, en Chine, près de 300 équipes originaires de 47 pays étaient présentes. Kuo Chung-hsien, qui est aussi à la tête du Laboratoire de robotique médicale de la NTUST, y a envoyé deux équipes, soit un total de neuf étudiants. Ils ont décroché la deuxième et la troisième places au tournoi de football, dans les catégories robots de taille adolescente et robots de taille adulte. « Les équipes ne se préoccupent pas tellement de leur place dans le classement, explique Shen Yu-ping [沈予平], le responsable de l’équipe HuroEvolution TN. C’est une compétition importante parce qu’on apprend énormément lorsqu’on la prépare et parce qu’ensuite, on apprend encore plus des autres équipes qu’on rencontre. »
C’est un point de vue partagé par les autres étudiants et les enseignants qui se sont impliqués dans le club de robotique. Fiona Lai [賴怡旬], professeur de physique, est la fondatrice du club, un moyen pour elle d’offrir à ses élèves une occasion d’appliquer leurs connaissances scientifiques à un domaine concret tout en s’amusant. « Les lycéens à Taiwan sont trop préoccupés par leurs seules performances scolaires. Je voulais qu’ils aient une occasion de faire autre chose que de bachoter, dit-elle. A travers le club, les jeunes peuvent accumuler de l’expérience et élargir leurs connaissances tout en s’amusant. Ils apprennent à résoudre des problèmes et il y a pour eux une opportunité de découvrir leurs talents et d’être mieux orientés. »
Fondé il y a peine quatre ans, le club s’est débrouillé pour obtenir des financements des industriels. Le voyage à Sotchi, l’année dernière, a été entièrement financé par la société taiwanaise Hon Hai Precision Industry, plus connue sous le nom de Foxconn Technology, le premier fabricant mondial de produits électroniques en sous-traitance.
Fiona Lai (au centre), professeur de physique et fondatrice du club du lycée Shi Yuan. (HUANG CHUNG-HSIN / TAIWAN REVIEW)
Fiona Lai raconte comment, en quelques années, elle a observé un changement d’attitude chez les parents d’élèves. Au début, ils étaient opposés à la participation de leurs enfants aux activités du groupe car ils pensaient qu’ils allaient se disperser au détriment de leurs résultats scolaires. Elle a travaillé pour apaiser leurs inquiétudes, notamment en organisant une exposition des travaux réalisés par leurs rejetons mais surtout en leur montrant les impressionnants résultats obtenus par le club dans des compétitions internationales. En fin de compte, trois autres enseignants se sont investis dans le club qui jouit désormais d’un large soutien des parents d’élèves et de l’administration de l’établissement.
Wang Yu-tzu [王有慈] participe aux concours internationaux de robotique depuis qu’elle est au lycée. Elle est la preuve vivante que les clubs peuvent contribuer à élargir les connaissances des élèves et à renforcer leur confiance en eux. Il y a deux ans, elle a fondé le Club des robots intelligents de l’Université chrétienne Chung Yuan, à Taoyuan dans le nord de Taiwan, pour partager ses compétences et sa passion des robots avec ses camarades. Aujourd’hui, son club compte 36 membres et a à son actif plusieurs robots, dont des drones quadrirotors, ainsi que plusieurs participations à des concours nationaux et internationaux. « Participer à ces compétitions est essentiel parce que cela nous motive et nous incite à travailler de manière plus efficace et plus rigoureuse. C’est aussi une occasion d’apprendre à travailler en équipe », explique la jeune étudiante de 20 ans qui souhaite poursuivre une carrière dans la recherche en robotique une fois obtenu son diplôme d’ingénierie électronique. « La robotique implique l’intégration d’un grand nombre de disciplines scientifiques. La conception et la construction d’un robot peut aider les étudiants à développer des compétences et des savoir-faire qui seront très utiles dans différentes industries », explique Kuo Chung-hsien.
C’est que parfois, ces jeunes étudiants parviennent à développer des robots qui détiennent un potentiel commercial évident. Plusieurs sociétés, note le professeur, l’ont déjà contacté à propos d’idées et de designs développés par les équipes de son laboratoire de robotique. Foxconn, par exemple, a exprimé un intérêt appuyé pour les réalisations du club de Shi Yuan à l’Olympiade mondiale de robots. Après la compétition, l’école a offert son robot à l’entreprise, notamment pour la remercier de son soutien financier. « Les membres du club étaient très enthousiastes lorsqu’ils ont réalisé qu’un groupe de cette taille s’intéressait à leurs créations », souligne Fiona Lai.
Dans le même temps, le Bureau pour le développement industriel (IDB), placé sous la tutelle du ministère de l’Economie, a contribué à construire des liens entre les étudiants et le secteur privé en sponsorisant le Championnat de création de robots intelligents de Taiwan. Organisée une première fois en 2008, la compétition est soutenue par le Centre de recherche et développement pour les machines de précision de l’IDB, une structure financée par des fonds publics et privés, ces derniers en provenance de fabricants de machines-outils.
A l’origine, les organisateurs privilégiaient la créativité sur la pratique, les projets primés n’avaient donc pas beaucoup d’applications commerciales. En 2012, les critères du jury ont évolué avec pour ambition la promotion du développement de machines économiquement viables. « Désormais, les participants sont encouragés à créer des designs pratiques susceptibles de renforcer le développement de l’industrie locale de la robotique », explique Leu Jang-hwa [呂正華] directeur général adjoint de l’IDB.
Cette année, la compétition a été organisée en juillet, en même temps que le Salon international des automatismes intelligents et des robots de Taipei. Deux catégories étaient proposées, toutes les deux dans le domaine de la robotique industrielle. Dans l’une d’entre elles, il était demandé aux participants de créer des robots dotés de bras automatiques capables d’assembler des pièces détachées de types différents, comme ceux utilisés sur les chaînes de montage dans des usines automatisées. Le cahier des charges imposait par ailleurs l’obligation d’utiliser au moins un composant local dans l’assemblage du robot. L’autre catégorie était ouverte à tous types de robots, sans aucune restriction sur le plan des pièces détachées. Au total, 42 équipes d’étudiants ont pris part à la compétition et 14 entreprises ont sponsorisé l’évènement en finançant le prix ou ont offert des pièces détachées.
Certaines administrations ont également conçu des dispositifs pour informer ou motiver les jeunes passionnés de robotique. Par exemple, le ministère de l’Education a organisé un camp de quatre jours pour les meilleurs élèves avec des cours, des conférences donnés par des professeurs ou des industriels, des visites de sites comme celui de l’Hôpital chrétien de Changhua, dans le centre de Taiwan.
Le club de robotique de Wang Yu-tzu a aussi bénéficié de l’initiative de plusieurs administration destinées à aider les jeunes à explorer leurs centres d’intérêt. Elle-même a participé au camp d’été et a décroché une bourse de 48 000 dollars taiwanais du ministère des Sciences et Technologies, dont l’objet est de financer les recherches menées par les meilleurs étudiants. Elle a utilisé cet argent pour développer un robot humanoïde dont le rôle est d’aider les enfants atteints d’un trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité. « Il existe un grand nombre de dispositifs de ce type à Taiwan destinés à aider les jeunes, et j’ai l’impression que de plus en plus d’étudiants sont intéressés par ce domaine », dit-elle.
Chaque club possède un niveau d’expertise différent mais tous regorgent de compétences et de talents qui permettront à Taiwan d’assurer la relève technologique dans les domaines les plus prometteurs, mais aussi les plus compétitifs.