Le statut d'observateur à l'Assemblée mondiale de la santé est un enjeu significatif pour Taiwan. Alors que la date de cette importante réunion s'approche, les membres de la communauté médicale et les hommes politiques se mobilisent
Lors d'une vidéoconférence avec des membres du Parlement européen, au mois de mars dernier, le président Chen Shui-bian [陳水扁] a plaidé pour que Taiwan se voit accorder un statut d'observateur à l'Assemblée mondiale de la santé (AMS), la rencontre annuelle de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Le président a évoqué le coût élevé qu'a eu la crise du syndrome respiratoire aigu sévère (sras) - plus de 70 morts - à Taiwan, du fait de son exclusion du réseau médical international.
« J'espère que nos amis au sein de l'Union européenne (UE) nous soutiendrons cette année lors de l'AMS, et sauront ignorer les interférences politiques », a-t-il déclaré.
Si Taiwan revendique aujourd'hui le statut d'observateur à l'AMS, c'est qu'elle a dû renoncer à sa position de membre après son retrait de l'Organisation des nations unies, en 1971. Ce statut, qui permet de prendre part aux activités de la plus haute instance de l'OMS, a déjà été accordé à d'autres entités, parmi lesquelles l'Ordre de Malte, le Saint-Siège ou encore la Palestine. Il suffirait, pour que Taiwan en bénéficie, d'une invitation du directeur général de l'OMS ou d'un vote général de ses Etats membres. Ces deux approches, tentées depuis 1997, ont jusqu'ici échoué en raison de l'opposition ferme de Pékin. Cependant, les alliés de Taiwan continuent d'appeler l'AMS à reconnaître l'île comme un maillon à part entière de la chaîne sanitaire mondiale.
Chaque année en mai, à l'approche de l'AMS, des dizaines de Taiwanais - membres du milieu médical, intellectuels, hommes politiques - se rendent en Suisse pour appuyer cette revendication. Le gynécologue et gérontologue Wu Nan-her [吳南河], participe à cet effort depuis longtemps ; cette année, en tant que président de l'Association médicale taiwanaise, c'est une campagne encore plus importante qu'il organisera. « De plus en plus d'acteurs du monde médical insulaire ont compris que Taiwan ne peut plus se permettre de rester coupée de la communauté sanitaire internationale, explique-t-il. Ils sont conscients qu'il ne s'agit plus seulement de cette île et de sa population, une notion quelque peu abstraite, mais également d'eux-mêmes, ce qui est beaucoup plus concret. L'exemple de l'épidémie de sras, qui a aussi tué des médecins et des infirmières, est très parlant. »
L'opposition de Pékin
Dès le premier cas de sras signalé à Taiwan, début mars 2003, l'aide de l'OMS a immédiatement été demandée. L'organisation n'envoya pourtant aucun représentant avant le mois de mai, c'est-à-dire après l'apparition du premier cas nosocomial à Taipei. A l'AMS de 2003, le représentant chinois affirma que la Chine avait aidé Taiwan à obtenir une assistance et des informations de la part de l'OMS. « Le simple fait que la Chine continue de nous empêcher de rejoindre le réseau de santé international prouve qu'il s'agissait d'un mensonge éhonté », soupire Wu Nan-her.
Malgré les applaudissements qui, à chaque AMS, suivent les discours de soutien à Taiwan, c'est au représentant de Pékin que l'organisation donne raison. « Ici, la politique politicienne s'oppose à la politique morale », soupire Maysing Yang [楊黃美幸], porte-parole du comité de recherche et de développement du ministère des Affaires étrangères. « La diplomatie naît des besoins du peuple, et ce sont les besoins de santé des Taiwanais qui donnent toute sa légitimité morale à notre candidature à l'OMS. »
Au sein de la communauté médicale internationale, le soutien est d'ailleurs quasi absolu. Parmi les principales associations internationales, comme l'Association médicale mondiale, le Conseil international des infirmières et la Fédération pharmaceutique internationale, la question de la place de Taiwan à l'OMS ne se discute pas. Les représentants de ces organisations ont déjà soutenu, publiquement ou par écrit, la candidature d'observateur de Taiwan à l'AMS. « Le milieu médical a pratiquement épuisé tous les recours possibles », se désole Deng Jou-fang [鄧昭芳], président de l'Alliance médicale internationale de Taiwan, fondée en 2001. « Il faut aujourd'hui investir les milieux politique et diplomatique.»

Des représentants de l'Alliance médicale internationale de Taiwan ont rencontré des parlementaires européens au début de l'année. (Aimable crédit de Deng Jou-fang)
Un long travail de lobbying
En définitive, étant donné le côté éminemment moral de la requête taiwanaise, même la realpolitik a joué en sa faveur ces dernières années. L'année dernière, le Sénat et la Chambre des représentants américaine ont voté des résolutions, ensuite signées par le président George Bush, demandant instamment que l'exécutif américain appuie la candidature de Taiwan à l'OMS en tant qu'observateur. Le secrétaire d'Etat doit ainsi soumettre un rapport annuel au Congrès sur les moyens qui seront mis en œuvre par le pouvoir exécutif pour soutenir la participation de Taiwan aux organisations internationales, en particulier à l'OMS. Enfin, le secrétaire américain à la Santé et aux Services sociaux et le ministre de la Santé japonais ont fait des déclarations officielles dans ce sens.
« Notre priorité aujourd'hui est de nous assurer un soutien ferme des Etats-Unis », explique Deng Jou-fang. Ce toxicologue, qui a été parmi les premiers à faire campagne en faveur de Taiwan, fait aujourd'hui du lobbying dans les pays membres de l'OMS, mission qu'il considère comme plus fondamentale encore que de relancer le sujet chaque année au mois de mai. « Dans chaque pays, les décisions importantes sont prises lors de débats et de négociations qui ont lieu bien avant l'Assemblée », constate-il. Lors de ses visites en Europe, il rencontre ainsi des parlementaires, des hommes politiques, des responsables des affaires étrangères et de la santé publique, aussi bien que des représentants d'associations médicales. « C'est un lent processus d'accumulation. Nous essayons de rencontrer et de convaincre [les gens de] chaque Etat membre de l'UE. »
Les efforts sont payants. En février, avec le soutien d'un certain nombre de pays européens, du Japon et des Etats-Unis, le groupe de travail intergouvernemental de l'OMS a révisé le Règlement sanitaire international, son cadre légal en ce qui concerne le contrôle global des maladies infectieuses. Malgré les fortes objections de la délégation chinoise, le règlement a été modifié de façon à être mis en œuvre dans le respect de « toutes les personnes », selon le principe d'une « application universelle ». Bien que cette révision ne cite aucun pays en particulier, elle institue clairement la base légale d'une participation de Taiwan dans le système mondial de santé. « Il s'agit sans doute de notre plus grand succès jusqu'ici », se réjouit Jieh Wen-chieh [介文汲], en charge des organisations internationales au ministère des Affaires étrangères. « C'est un tournant décisif. »
Des échanges profitables à tous
« Le soutien croissant de la communauté internationale n'a rien d'étonnant dans la mesure où la santé fait partie des droits humains », insiste Hou Sheng-mou [侯勝茂], ministre de la Santé. Sans accès aux ressources et aux informations fournies par le réseau international de santé, Taiwan a souvent dû se battre seule. Contre le sars, en 2003, mais également contre l'entérovirus 71, en 1998 : les cas se multipliaient dans l'île et l'épidémie n'a été contenue qu'après la mort de 70 enfants. Le secours extérieur n'a été offert que tardivement et, de plus, par des canaux privés. « L'OMS a pour objectif d'amener tous les peuples au niveau de santé le plus élevé possible », rappelle Hou Sheng-mou, qui est également membre d'un comité créé en 2001 pour promouvoir la cause de Taiwan auprès de cette organisation. « Elle n'a donc aucune raison d'ignorer l'existence des 23 millions de Taiwanais, une population plus importante que celle des trois quarts de ses Etats membres. »
Un autre argument en faveur de ce ralliement est le fait que, tant que Taiwan sera exclue de cette instance, le monde ne pourra bénéficier de son avancée sur le plan médical. Car non contente d'avoir l'une des espérances de vie les plus élevées d'Asie, Taiwan a également éradiqué la peste bubonique, le choléra, la variole et la polio. Son programme de contrôle de l'hépatite B, qui remonte aux années 80, est également considéré comme significatif. En effet, en 1984, Taiwan fut le premier pays à mettre en œuvre un programme de vaccination contre l'hépatite B (gratuite pour les enfants) qui a été suivi d'une baisse significative des cancers du foie.

La quasi totalité de la population de Taiwan est aujourd'hui couverte sur le plan de la santé. (Chang Su-ching)
Ce n'est pas tout. L'île est fière de son programme d'assurance maladie, lancé en 1995. Son caractère quasi universel (environ 95% de la population déjà couverte) et le faible coût des cotisations lui ont gagné le soutien du public dès son introduction. Chaque année, les émissaires de nombreux pays viennent même l'évaluer. L'OMS pourrait être le moyen pour Taiwan de partager cette expérience, ainsi que celle de la mise en place d'un système informatisé rattaché au programme de l'assurance maladie grâce à sa maîtrise des technologies de l'information.
« Notre absence de l'OMS, dit Hou Sheng-mou, n'est pas injuste pour nous seulement, mais aussi pour le reste du monde ; à une époque où les gens voyagent intensivement, chaque chaînon manquant du réseau de santé international constitue une grave menace. » La meilleure protection possible, poursuit-il, exige de recueillir auprès des professionnels de la santé du monde entier et d'échanger avec eux un maximum d'informations. En 2004, le ministère de la santé s'est doté d'un bureau de la Coopération internationale.
Un rôle à jouer pour Taiwan
La tragédie du tsunami qui a affecté l'Asie du Sud en décembre dernier a donné à Taiwan l'occasion de tendre la main aux personnes en péril. Des équipes de secours et de médecins ont été envoyées dans les pays dévastés. De nombreuses organisations non gouvernementales (ONG) insulaires, comme Taiwan Rescue, Taiwan Root Medical Peace Corps ou encore la fondation bouddhiste Tzu Chi, se sont rapidement mobilisées pour gérer au mieux les ressources disponibles. La Disaster Medical Assistance Team de Taiwan s'est aussi rendue en Indonésie. Cette équipe, qui travaille en étroite collaboration avec le ministère des Affaires étrangères, rassemble de nombreux experts médicaux : elle est basée à l'hôpital de l'université nationale de Taiwan, le CHU le plus prestigieux de l'île.
Deng Jou-fang croit en l'importance de cet investissement des ONG sur la scène internationale, et en particulier dans les pays du Pacifique Sud et Ouest. L'Alliance médicale qu'il a fondée travaille actuellement au Cambodge, sur un projet de lutte contre le tabagisme soutenu là encore par le ministère des Affaires étrangères. Deng Jou-fang et le ministre pensent qu'il serait bon que les principaux centres hospitaliers de Taiwan mettent chacun sur pied un programme d'aide médicale à l'étranger ainsi que d'échanges internationaux pour les chercheurs et les étudiants. « Nous devons être diligents et utiles, insiste Deng Jou-fang. Une présence plus active au sein de la communauté médicale internationale nous apportera l'énergie nécessaire au développement de notre propre secteur de la santé. »
Pour l'instant, le statu quo entre Taiwan et la Chine, dominé par la politique de la « Chine unique » de Pékin, a empêché l'île de jouer pleinement son rôle sur la scène mondiale. « Le statut d'observateur à l'AMS n'a rien à voir avec la souveraineté nationale. Et le droit d'accéder aux meilleurs soins devrait être indépendant de tout facteur politique », martèle Deng Jou-fang. Pour Taiwan, l'obtention du statut d'observateur à l'AMS est un objectif à moyen ou long terme. « La Chine a suggéré que nous fassions partie de son équipe, rappelle Maysing Yang. Mais nous ne voulons en aucun cas nous associer à une société non démocratique. » Au regard des rapides changements qui affectent la situation internationale, Maysing Yang pense que cette année Taiwan peut se permettre d'être optimiste sur le dossier OMS. ■