20/05/2025

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

Pourquoi la République de Chine aspire à retourner à l'ONU

01/05/1995
M. Bernard T.K. Joei : « L'époque de la guerre froide et révolue, et dans cette nouvelle ère, le pragmatisme doit prévaloir. »

Juriste de formation, M. Bernard T.K. Joei [芮正皋] est conseiller auprès du ministère des Affaires étrangères et professeur de droit international à l'université de chinoise de Taipei. Entre 1960 et 1983, il a été ambassadeur de de Chine au Mali, en Haute-Volta, en Gambie et en Côte d'Ivoire. De 1965 à 1971, M. Joei a occupé les fonctions de Représentant adjoint de de Chine pour les sessions régulières de l'Assemblée générale des Nations unies. Par ailleurs, il publie régulièrement des analyses politiques dans divers quotidiens nationaux en anglais et en chinois.

Membre fondateur des Nations unies, de Chine a dû céder son siège à communiste en 1971. Elle aspire aujourd'hui à retrouver le statut qui lui revient dans le concert des nations. A l'occasion du cinquantième anniversaire de la signature de des Nations unies (le 26 juin), à la rédaction de laquelle de Chine a participé, libre propose à ses lecteurs un éditorial de M. Joei paru pour la première fois le 10 janvier 1995 dans le quotidien de langue anglaise China Post, et qui donne les clés pour une meilleure compréhension de la position de Taipei.

Il y a deux ans, divers pays ont demandé que soit inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée des Nations unies la ques­tion de la situation de de Chine à Taiwan. Cette requête représentait la suite logique de la stratégie de diplomatie pragmatique adoptée par Taipei. La meilleure définition de cette diplomatie pragmatique réside dans une déclaration faite il y a quelques années par le ministre des Affaires étrangères, M. Fredrick Tchien, qui disait en substance : « La diplomatie pragmatique consiste à renforcer notre puissance nationale et à établir de bonnes relations avec les autres pays (...) afin de forcer les communistes chinois, par des moyens à la fois dans et en dehors de leur sphère de contrôle, à s'impliquer avec nous dans une compétition pacifique constructive pour la réunification nationale. » Le meilleur moyen d'atteindre ce but, selon M. Tchien, est « de réintégrer les organisations internationales ».

Pékin ne devrait pas voir la campagne de de Chine pour la réadmission à l'ONU comme la seule initiative personnelle du président Lee Teng-hui ou comme une manœuvre politique de M. Tchien, mais bien comme la réelle conséquence de la démocratisation à Taiwan. Ces dernières années, le gouvernement de de Chine s'est montré de plus en plus à l'écoute des désirs des électeurs de Taiwan, tandis qu'un large éventail de réformes démocratiques se mettait en place. Par exemple, pour la première fois dans l'histoire de de Chine, l'île a récemment tenu des élections pour désigner le gouverneur de Taiwan et les maires des deux municipalités les plus importantes. Une de ces deux municipalités a d'ailleurs été remportée par un parti d'opposition.

Il va donc de soi que, dans cette nouvelle ère démocratique à Taiwan, le gouvernement doit prendre en considération les désirs des 21 millions d'habitants de Taiwan. Ceux-ci sont fiers de leurs réaIisations dans les domaines so­cial, économique et politique. Leur fierté est cependant mêlée d'une grande amertume liée à leur statut de parias, qu'ils jugent inéquitable, injuste et même insultant.

Ils ont certes de bonnes raisons de trouver la situation présente inéquitable et injuste. En 1971, par une résolution par trop simpliste la résolution 2758 ­ l'ONU a expulsé de Chine de toutes les organisations et activités qui dépendent d'elle. La décision d'admettre Pékin fut prise au nom du principe d'universalité, qui affirme qu'« aucun Etat pacifique » désireux ou capable de se soumettre aux exigences de des Nations unies ne peut être exclu de cette organisation. Pourtant, en admettant Pékin et en excluant de Chine dans le même temps, les Nations unies ont supprimé le droit à la parole des 21 mil­lions de ressortissants de de Chine. L'ironie veut que l'ONU les ait privés ainsi de leur droit fondamental à une représentation en tant que peuple : c’est une violation flagrante du principe d'universalité, qui est pourtant l'essence même de l'organisation mondiale.

Ladite résolution n'a résolu que partiellement la question de la représentation internationale du peuple chinois, en donnant une voix aux Chinois de Chine continentale, mais en négligeant la question la représentation des 21 millions de personnes vivant sous la juridiction de de Chine à Taiwan. Pékin n'a, à l'évidence, absolument aucun droit de représenter Taiwan, malgré ses affirmations répétées mais sans fondement de souveraineté sur l'île.

La résolution 2758 de l'ONU était le fruit de la confrontation idéologique de la période de froide, il y a deux décennies. Elle ne reflète plus le paysage politique international présent. Aujourd'hui, de Chine a dépassé la plupart des membres de l'ONU en termes de produit national brut (elle est la 20e économie mondiale), de volume des échanges commerciaux (la 13e puissance commerçante), de réserves de devises étrangères (les deuxièmes au monde) et de démographie (sa population est plus nombreuse que celle des deux tiers des pays membres de l'ONU). En s'inspirant des précédents de représentation duelle d'une nation divisée établis par l'Allemagne et , l'on peut facilement défendre la cause de de Chine à Taiwan.

Hsu Po-hsun
Quelques représentants de l'Alliance de Taiwan pour l'ONU posent devant la Présidence. La réadmission à l'ONU est devenue l'une des priorités des insulaires, tant dans la majorité que dans l'opposition.

Qu'est-ce qui retient donc l'organisation mondiale d'agir en accord avec ses propres principes? Tout simplement, le fait que Pékin persiste à s'en tenir au mythe datant de froide selon lequel un seul gouvernement chinois peut représenter tous les Chinois, quel que soit l'endroit où ils résident. En fait, le gouvernement de de Chine a toujours défendu et défend encore l'idée d'« une Chine », qui implique au bout du compte la réunification avec continentale. Toutefois, si l'on veut bien y réfléchir avec réalisme l'espace d'un instant, l'on reconnaîtra qu'il existe bien un gouvernement distinct de Pékin, et qui administre l'île et ses 21 millions d'habitants depuis 1949. Le statut actuel de de Chine, qui corres­pond à la politique officielle de son parti dirigeant, est bien décrit par la formule « une Chine, deux entités politiques ». En d'autres termes, il y a en réalité deux gouvernements en Chine aujourd'hui, celui de populaire de Chine, et celui de de Chine, et chacun administre légitimement la région qu'il contrôle. Tous deux font partie d'une même Chine. Ni l'un ni l'autre ne peuvent prétendre représenter toute entière. Voilà la réalité, et elle est radicalement opposée à la position adoptée par populaire de Chine, selon laquelle il ne peut y avoir qu'un gouvernement légitime pour une seule Chine.

De façon ironique, c'était là également la position que tenait de Chine avant son exclu­sion de l'ONU en 1971, quand elle aussi prenait part à la confrontation idéologique de froide. Cette époque est désormais révolue, et dans cette nouvelle ère, le pragmatisme doit prévaloir.

Dans le contexte de l'augmentation rapide des relations économiques entre les deux rives du détroit de Taiwan ­ qui s'accompagne de considérables investissements taiwanais sur le conti­nent et du projet récemment annoncé de la création d'un « centre d'opérations Asie-Pacifique », il serait dans l'intérêt de populaire de Chine d'abandonner son intransigeance envers Taiwan, et d'accepter de participer à une réunification pacifique qui puisse mettre les deux parties sur un pied d'égalité. Dans cette optique, Pékin ne devrait pas s'opposer à la campagne de de Chine pour réintégrer l'ONU, organisation qui symbolise cette égalité et pourrait finalement faciliter le processus de réunification.

Après tout, le chemin que doit emprunter Taiwan pour retourner au sein de l'ONU passe par Pékin, et le succès de son entreprise dépend de la disposition des dirigeants de populaire de Chine à ac­cepter l'esprit pragmatique et la logique des temps présents.

(v.f. Laurence Marcout)

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