L’école primaire de Yuguang a acquis une réputation certaine à travers l’île en lançant la mode de l’éveil à l’environnement par le biais d’excursions et de visites guidées et en invitant des élèves d’autres établissements à venir y découvrir la nature. En agissant ainsi, Yuguang s’est complètement transformée, passant de la stature d’un petit groupe scolaire à celle d’une grande école.
On voit souvent des collectes s’organiser pour l’envoi de livres et de manuels aux écoles rurales, mais l’inverse est un phénomène plutôt nouveau. Le 21 mars, l’école primaire de Yuguang, qui est située dans un petit village retiré des montagnes du district de Taipei, a expédié pas moins de 20 000 livres destinés à d’autres établissements primaires urbains, alors qu’elle organisait chez elle sa première exposition annuelle sur l’éveil à l’environnement. L’école a conçu elle-même des ouvrages – La Classe flottante, L’Etude du pâturage, L’Ecole sur le terrain, L’Ecole magique – qu’elle distribue aux établissements intéressés. Pour référence, plus de 40 000 élèves ont déjà participé aux petites excursions organisées par l’école de Yuguang.
Huit élèves pour trois classes
Sur les hauteurs de la vallée supérieure de la Peishih qui alimente en aval la grande retenue d’eau de Feitsui, l’école est située dans le hameau de Yuguang dans la commune de Pinglin. Avant la création de l’école en 1920, les enfants du village devaient descendre à pied plusieurs kilomètres pour rejoindre celle de Pinglin. Les parents – des planteurs de thé depuis plusieurs générations pour la plupart – louèrent un terrain et bâtirent leur propre petite école, qui est toujours là 86 ans plus tard.
La construction du barrage de Feitsui et de sa retenue d’eau en 1981 a rendu nécessaires des restrictions sur le développement dans la zone de captage des eaux, gênant l’essor économique. L’exode rural qui s’en est suivi a eu pour conséquence la fermeture de plusieurs groupes scolaires des environs. L’école de Yuguang devint la plus petite de l’île par ses effectifs, passant de plus de 200 élèves il y a une vingtaine d’années à juste 8 l’an dernier, répartis en 3 classes.
Comme elle est située dans une zone protégée, elle est entourée d’un écosystème riche et diversifié. En entrant sur le campus, on remarque tout de suite les cerisiers centenaires dans le feuillage duquel gazouillent les mésanges. Les cigales et les papillons sont partout. Les soirs d’été, on peut même apercevoir des lucanes et des scarabées traversant lentement le terrain de sport.

Quand la chaleur commence à monter au début du printemps, les chenilles se tortillent le long des tiges dans les bacs à fleurs placés en face des salles de classe. Un spécimen de papillon à queue d’hirondelle, de l’espèce Byasa Alcinous Mansonensis, tout frais sorti de son cocon, sèche tranquillement ses ailes, attendant le moment propice pour prendre son envol. Alors que des enfants jouent au ballon, deux grands aigles huppés tournoient majestueusement dans le ciel au-dessus de leurs têtes.
L’espoir du directeur
Lorsque Kuo Hsiung-chun [郭雄軍] a été nommé directeur de l’école en 2002, les journaux locaux l’ont présenté comme le dernier à ce poste. Les rumeurs sur l’imminente fermeture de l’établissement circulaient bon train depuis quelque temps parmi le personnel, les parents et même les élèves, causant une certaine inquiétude.
Le nombre des inscriptions diminuant année après année, le budget annuel de 10 millions de dollars taiwanais devenait trop important pour 8 élèves. Kuo Hsiung-chun se doutait bien que l’Etat ne continuerait plus indéfiniment de financer son établissement.
« Si l’école doit fermer, je veux que ce soit en beauté, disait-il. Si nous avons la chance de la garder, je veux y créer plus d’activités de valeur afin d’en partager les ressources uniques. »
Lorsque Kuo Hsiung-chun proposa l’idée de classes d’éveil à l’environnement, il n’a pas été surpris de rencontrer une certaine opposition parmi le personnel, peu enthousiaste à l’idée de faire des heures supplémentaires. Ayant trois mois plus tard acquis à sa cause les 3 instituteurs , il se mit à rassembler le matériel et à élaborer un programme, le premier de ce genre à Taiwan conçu dans une école publique.
Le directeur partit des points forts de l’école de Yuguang. Aux alentours se trouvent notamment une zone de ponte des lucioles, une marre fréquentée par des rainettes, un étang écologique et un potager. Il y a donc de quoi tracer une vingtaine de circuits de découverte avec, par exemple, des pique-niques dans les plantations de thé, une promenade nocturne pour contempler la lune et les étoiles, ainsi que diverses leçons de sciences naturelles in situ sur la floraison des cerisiers, les lucioles, les rivières ou les torrents qui alimentent la retenue d’eau de Feitsui.
L’idée prend racine
Kuo Hsiung-chun se rappelle qu’un jour, alors qu’il était encore intendant de Yuguang, les parents de deux élèves inscrits à l’école primaire Guangfu à Taipei les emmenaient régulièrement passer deux jours à Yuguang. Ainsi donc, a-t-il compris, cet endroit que les enfants du hameau trouvaient si ordinaires pouvait être apprécié par leurs petits camarades des villes !

Au printemps, le papillon aux ailes d’hirondelle fait l’admiration des jeunes entomologues.
« Pourquoi certains font-ils des milliers de kilomètres pour aller dans des écoles rurales d’Australie et de Nouvelle-Zélande, alors que c’est si simple de venir à Yuguang », se demandait-il. C’est ainsi qu’est née l’idée de développer des classes vertes à Yuguang.
Elles se distinguent des classes ordinaires en incorporant la découverte de l’environnement naturel et culturel. L’accent est mis sur l’enseignement à travers le jeu.
« Nous encourageons nos élèves à lire, dit Kuo Hsiung-chun, et les cours transforment le campus en un manuel tridimensionnel. » Kuo Hsiung-chun explique que la création d’un programme similaire est à la portée de tous les groupes scolaires, surtout s’ils coopèrent dans un esprit intercommunautaire.
Un milliard de dollars taiwanais de fonds publics sont consacrés chaque année aux classes de nature. Cette somme comprend le transport, le logement et les frais de participation des élèves. Mais la question reste de savoir si elle est toujours bien utilisée.
Commercialiser un programme scolaire
Kuo Hsiung-chun et les enseignants de Yuguang ont donc d’abord préparé les cours, l’étape suivante étant de les proposer. Il leur a fallu puiser dans le monde du marketing pour les promouvoir.
Il s’agissait avant tout d’une promotion par la voie de la presse spécialisée dans l’enseignement, puis les médias généralistes ont pris le relais, vantant abondamment le programme durant ces deux dernières années. Le succès fut retentissant.
Pour revaloriser cette réussite, Kuo Hsiung-chun a donné des surnoms évocateurs aux chemins des alentours. Ainsi, la route qui serpente à travers les plantations de thé se nomme « Terrain de jeu 5 000 », un autre sentier qui descend sur les rives d’un torrent en contrebas s’appelle lui « Terrain de jeu 2 000 ».
Cependant, l’école de Yuguang ne pouvait cacher sa réelle dimension, comme la cérémonie de remise des diplômes de fin d’études primaires l’an dernier qui mérite d’être mentionnée : elle a eu lieu pour un seul élève ! Huang Hung-chih [黃鴻志], le surveillant général de l’école et directeur des programmes de classe d’éveil à la nature, ne manque jamais de mentionner la taille de son établissement dans ses discours d’accueil aux visiteurs en leur expliquant : « Au début, nous pensions organiser un tour de l’île à moto pour tous les diplômés et tous les instituteurs. En fait, nous n’aurions besoin que d’une seule moto ! » C’est la pure vérité : en 2005, il n’y avait en dernière année qu’un instituteur et un élève !

Malgré son excellente réputation, Yuguang sera fermée dans 6 ans par manque d’effectifs.
Kuo Hsiung-chun, lui, aime mettre en contraste la dimension de son école avec la taille énorme des établissements urbains qui, chacun, ont une douzaine de classes par niveau.
Pour se faire de la publicité, l’école propose toute une ligne d’articles, souvenirs et gadgets à son effigie ou son logo, tels que des tasses, des survêtements de sport, des flûtes en terre cuite, etc. Lorsque les participants d’une classe verte retournent en ville, ces souvenirs leur rappellent agréablement leur séjour à Yuguang et leur inspirent probablement des anecdotes qu’ils partagent volontiers avec des amis.
Les jeunes invités de Yuguang
Les participants aux classes découverte de la nature de Yuguang retirent beaucoup de l’expérience, mais qu’est-ce que cela apporte aux élèves de la petite école et à leurs instituteurs ?
Avec 40 000 participants durant ces 4 dernières années, dont la moitié à titre gratuit, le programme a tout de même généré des revenus de 6 à 7 millions de dollars taiwanais. Déduction faite des frais de fonctionnement, les sommes restantes ont encore permis de financer la publication des manuels, la construction d’une classe d’écologie dans l’école et d’un dortoir pour héberger les visiteurs, ainsi que l’entretien des sentiers, tout cela profitant directement aux élèves.
La conception du programme et l’accompagnement des visiteurs a aussi donné un coup de fouet aux instituteurs.
Huang Hung-chih, diplômé de l’Institut des ressources marines de l’université Sun Yat-sen, à Kaohsiung, a enseigné dans plusieurs petites écoles novatrices avant d’atterrir à Yuguang. « S’il n’y a dans un groupe qu’un ou deux enfants dont les yeux brillent de curiosité, dit-il, cela met en confiance, et chacun des mots que l’on prononce prend davantage de sens. »
Ces visites donnent aussi aux enfants du village une chance de faire connaissance avec ceux de la ville.
« Une fois, une équipe de Public Television Service (PTS) est venue faire un reportage à Yuguang, poursuit Huang Hung-chih. Lorsqu’un des journalistes a posé la main sur l’épaule d’un élève, j’ai remarqué que celui-ci esquivait le geste. » Les enfants de Yuguang manquaient de contacts avec l’extérieur, ce qui les rendait plus timides et réservés. Depuis que le programme existe, ils ont un comportement beaucoup plus avenant, accueillent les visiteurs et se présentent eux-mêmes. En parlant d’insectes le long des vieux sentiers, ils se sont découverts et ont appris à avoir confiance en eux. « Les enfants des villes ressemblent à des poulets élevés en batterie, rit un élève en dévalant la pente sur le sentier qui descend jusqu’au torrent. Mais nous, nous sommes des poulets de ferme ! »
Yuguang s’est vu décerner un certain nombre de récompenses ces dernières années de la part du ministère de l’Education. Mais, en septembre 2006, l’école, qui est à dix minutes à peine en voiture de celle de Pinglin, n’aura que deux nouveaux élèves. Pour cette raison, l’office de l’Education du district de Taipei a décidé de l’intégrer à celle de Pinglin ; et lorsque les plus jeunes des élèves actuels entreront tous en secondaire, d’ici 6 ans, Yuguang fermera ses portes.
Les parents et les représentants de la commune ont vivement réagi à la nouvelle. En signe de soutien, le président de l’Association des parents d’élèves de Yuguang, Liu Chih-shih [劉智石], a ramené de la capitale ses deux enfants pour les y inscrire. Aujourd’hui sensibilisé et admettant difficilement d’en voir la fermeture, il assure : « Quand l’école sera fermée, les jeunes ne prendront même plus la peine de revenir la visiter. »
« En tout cas, nous continuerons de promouvoir les classes découverte de la nature », dit Huang Hung-shih. Entrevoyant la fin proche de l’établissement, lui et ses instituteurs désirent tout simplement s’assurer que le souvenir des beaux jours reste dans le cœur des élèves. ■