25/07/2025

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

Le boom mondial du mandarin

01/11/2005

>> L’essor économique de la Chine a provoqué dans le monde un engouement pour la langue chinoise. L’apprendre n’est pas seulement à la mode, cela permet aussi de trouver des débouchés professionnels

Ayant quitté Taiwan pour s’installer à Wurtzbourg, en Allemagne, Mme Chiu vient d’y trouver un emploi de professeur de chinois dans un lycée. Elle donne également des cours de conversation chinoise à l’université de Wurtzbourg. Déjà très occupée, elle aura probablement du mal à répondre à une offre de l’association locale de cours pour adultes qui cherche… un professeur de chinois.

C’est que l’apprentissage du chinois bénéficie depuis plusieurs années d’une demande croissante en Allemagne, au point que les compétences pédagogiques passent parfois au second plan. Pour peu qu’on ait vaguement l’air asiatique, les yeux en amande et les cheveux noirs, il est presque possible de s’improviser professeur de chinois.

L’ascension du mandarin
L’envolée économique de la Chine s’est accompagnée d’une croissance remarquable de l’apprentissage du chinois dans le monde. Bien que la difficulté de la langue, à l’écrit comme à l’oral, en rebute certains, l’énorme potentiel économique de la Chine est un puissant incitatif pour d’autres.

Il serait faux de limiter les apprenants de chinois aux seuls gens d’affaires et étudiants d’université. En effet, puisqu’il n’est jamais trop tôt pour commencer l’apprentissage d’une langue étrangère, plusieurs pays européens offrent depuis peu des cursus de chinois dès l’entrée dans le secondaire.

Aux Etats-Unis, l’apprentissage du chinois est encouragé depuis longtemps. En 1994, la Commission américaine de l’enseignement secondaire a inclus le mandarin dans le SAT-II, un examen national qui détermine l’entrée à l’université, c’est-à-dire un équivalent du baccalauréat, et il est également question de l’inclure dans le test Advance Placement (AP). Autrement dit, un étudiant américain qui entre à l’université grâce à ce diplôme peut s’inscrire directement en 3e année de chinois.

Les lycéens américains qui souhaitent passer le SAT-II option chinois ont en général entre deux et quatre années d’études derrière eux. Ils sont testés dans quatre domaines, comprenant les caractères traditionnels et simplifiés, le système bopomofo de transcription phonétique et le pinyin.

Cette politique volontariste a fonctionné, puisque près de 2 400 lycées ont choisi d’offrir cette option. Ce qui pose le plus de problèmes maintenant, ce n’est pas de trouver les élèves mais le personnel enseignant qualifié et le matériel pédagogique adapté. Si cette tendance se poursuit, peut-être verrons-nous un jour en Occident des écoles maternelles offrir un environnement sinophone ?

Un avantage de plus sur le marché du travail
Dans le domaine de l’apprentissage du chinois, les pays européens ne veulent pas se laisser distancer. Les experts prévoient d’ailleurs que le chinois s’y imposera rapidement parmi les langues importantes de ce siècle.

La difficulté d’apprentissage de la langue ne permet pas d’affirmer que le mandarin pourrait un jour supplanter l’anglais, mais on assiste néanmoins dans les universités européennes à un épanouissement des départements de chinois. Par conséquent, la demande en professeurs de mandarin est en pleine croissance, et il y a maintenant des débouchés professionnels dans l’enseignement pour les étudiants de langue chinoise ou les immigrants qualifiés.

L’option, autrefois difficile et peu populaire, est aujourd’hui à la mode ! Les autorités fédérales allemandes, par exemple, ont décidé de doter certains de leurs sites officiels d’une version en chinois, qui s’ajoute aux versions allemande et anglaise déjà existantes.

Outre les lycées ou les organismes de formation qui proposent des cours de chinois, certaines grosses entreprises veulent offrir des cours de langue à leurs cadres détachés en Asie. La Chine, Hongkong et Taiwan sont des débouchés importants. La connaissance du mandarin est donc un atout de taille sur le marché du travail. En effet, même si les langues européennes sont répandues dans les affaires — il y a toujours l’obligation de maîtriser l’anglais —, les personnes ayant un honnête niveau de chinois sont fort prisées dans le monde professionnel.

L’expérience sur le terrain, en Chine, démontre d’ailleurs les limites de l’anglais. Bien que cette langue soit toujours utilisée au niveau de la direction et dans certains secteurs techniques dans ce pays, travailler sur place en chinois est un gage d’efficacité. Sans parler le mandarin, comment communiquer avec les collègues, avec le personnel ? Il est bien sûr possible d’utiliser des interprètes, mais cela ne produit pas toujours les effets escomptés, le message pouvant ainsi être dilué s’il passe par un intermédiaire. En définitive, les entreprises ont besoin de cadres parlant bien le chinois pour assurer la bonne marche de leurs affaires en Chine.

Alors, comment recruter un personnel capable de s’exprimer en chinois ? Dans un premier temps, le souci des entreprises européennes a été de rechercher des Européens parlant chinois et anglais, en plus de leur langue maternelle. Mais les rares individus dans ce cas se destinent plus aux cercles académiques qu’au milieu des affaires. L’intérêt des entreprises s’est alors porté sur les Européens dont l’un des parents ou les 2 sont d’origine chinoise. Les Chinois ayant longtemps vécu dans des pays occidentaux sont également fort prisés, car ils maîtrisent aussi la culture de leur pays d’accueil.

Faire des affaires dans un environnement étranger et traiter avec les employés locaux demande bien plus que la simple maîtrise du langage. En effet, il faut également prendre en compte les aspects culturels, ethniques et sociaux, ainsi que la capacité de communication (qui n’est pas uniquement verbale ou écrite) et de mise en confiance. Le recrutement sur place, en Chine, est la dernière option.

La popularité des immigrants taiwanais
Il n’est donc pas étonnant que les Européens ou Américains d’origine chinoise aient le vent en poupe sur le marché de l’emploi. Les personnes qui parlent chinois et qui travaillent pour de grandes entreprises comme Siemens, Daimler-Chrysler, BMW, Bayer ou d’autres groupes qui ont lourdement investi en Chine, ont toutes les chances de connaître une promotion rapide.

LE BOOM MONDIAL DU MANDARIN

Bopomofo, pinyin, ... Chaque système de transcription a ses avantages.

Stephanie Wu [吳芳逸] en est le parfait exemple. Fille de Wu Chun-hsiung [吳俊雄], un professeur taiwanais émigré en Allemagne, elle travaillait pour le fond d’investissement londonien Foreign and Colonial depuis moins de deux ans lorsqu’elle a été promue responsable de la zone Asie orientale et Chine, à l’âge de 25 ans tout juste. Un autre exemple est celui de Cha Chia-yen [查家彥], dont la famille venue de Taiwan a émigré en Allemagne alors qu’il était enfant. Recruté par Siemens, il devint rapidement l’assistant personnel du président et eut ainsi l’occasion de travailler au plus haut niveau de la direction de la multinationale. Actuellement en charge des opérations à Taiwan, il est consulté avant chaque prise de décision du groupe en Chine ou à Taiwan. La popularité du chinois est telle que même les étudiants taiwanais qui complètent leur formation universitaire à l’étranger sont sollicités par les entreprises qui y voient leurs employés de demain.

Il est bien sûr possible de trouver en Chine même de talentueux Chinois polyglottes, mais rares sont ceux qui ont l’expérience d’une vie à l’occidentale. Ne connaissant que leur propre culture, ils réagissent différemment de leurs collègues occidentaux qui ont parfois du mal à s’adapter eux-mêmes à la culture de ce pays. Il est parfois hasardeux de leur confier des responsabilités, car les problèmes soulevés par une incompréhension culturelle mutuelle peuvent s’avérer difficiles à résoudre.

En effet, la connaissance de la culture chinoise est au moins aussi importante que celle de la langue. Dans ce cas, seulement avoir un conjoint chinois peut être valorisant vis-à-vis de certaines entreprises occidentales. Roland Gerke, par exemple, est directeur de la section électronique de Siemens en Chine. Il est marié à Yang Yu-lun [楊毓倫], une Taiwanaise. Bien que Roland Gerke ne soit pas lui-même chinois, Siemens a tablé sur le fait que sa femme serait sa porte d’entrée dans le monde des affaires. C’est pour cette raison qu’il est posté en Chine depuis plusieurs années. Beaucoup d’autres entreprises en Asie ont une stratégie similaire.

Un test chinois langue étrangère ?
La ruée vers la Chine et son immense potentiel commercial laisse présager une augmentation rapide de la diffusion et de l’apprentissage du chinois. Il est donc nécessaire, que ce soit dans le domaine académique ou dans celui des affaires, de mettre en place un système de qualification linguistique.

Actuellement, le standard le plus courant est celui du Hanyu Shuiping Kaoshi (HSK), surnommé le « TOEFL chinois » [le TOEFL est un test de connaissance de l’anglais en tant que langue étrangère], mis en place conjointement par le ministère de l’Education chinois et l’Association française des professeurs de chinois. Autrefois, ce test d’aptitude en chinois était essentiellement dispensé dans les milieux académiques, mais on observe depuis plusieurs années un accroissement du nombre des candidats issus du milieu des affaires, qui représentent aujourd’hui 50% des effectifs.

Voilà le temps venu de voir le mandarin prendre sa place parmi les langues majeures de la communication mondiale. Obtenir une bonne note à son test de chinois est en train de devenir l’ambition de nombreux Occidentaux. N’est-ce pas un plaisant retournement de situation ?

Les candidats au HSK sont principalement encore des Sud-Coréens, des Japonais et des Américains, un classement qui reflète bien la vigueur des échanges commerciaux des pays d’où viennent ces étudiants avec la Chine. Pour les grandes firmes sud-coréennes comme Samsung ou LG, le certificat HSK est aussi important que le TOEFL, l’un et l’autre étant un critère de base pour trouver un bon emploi. Le HSK est également apprécié par le gouvernement sud-coréen pour le recrutement de ses fonctionnaires. Voilà pourquoi, à l’heure actuelle, plus d’un million de Sud-Coréens apprennent le chinois. Après plus d’un demi-siècle de lutte contre l’usage des caractères chinois dans l’écriture coréenne, il est assez piquant d’imaginer ce million de personnes aux prises avec les idéogrammes chinois!

Apprendre le chinois peut être une merveilleuse et agréable expérience. Il est vrai aussi qu’un certain nombre de problèmes pédagogiques doivent être résolus au préalable. Tout d’abord, le choix entre caractères traditionnels et simplifiés. En second lieu, l’usage de l’un ou l’autre des deux grands systèmes de transcription, le bopomofo, de Taiwan, et le pinyin, de Chine.

Les écoles taiwanaises implantées à l’étranger subissent une forte pression pour passer du bopomofo au pinyin. Beaucoup d’entre elles utilisent maintenant les deux transcriptions. Quant aux caractères traditionnels, leur complexité en rebute plus d’un, et nombreux sont ceux qui préfèrent apprendre les caractères simplifiés, plus aisés à écrire et à mémoriser.

La guerre des langues
On constate cependant que le système d’écriture traditionnel a repris du terrain, même en dehors de Taiwan. Tout comme un certain nombre de sinologues, le professeur Roderich Ptak, directeur de l’Institut des études sur l’Asie orientale à l’université de Munich, en Allemagne, encourage l’utilisation des caractères traditionnels.

Sa propre expérience lui a prouvé que, s’il est facile de passer des caractères traditionnels aux caractères simplifiés, l’inverse est plus complexe. De plus, la connaissance des caractères traditionnels est tout à fait indispensable aux personnes qui se destinent à la recherche, car la quasi-totalité des sources sont en chinois classique. Outre la beauté de l’écriture, chaque caractère est le résultat d’un système de pensée datant de plusieurs millénaires. Il est parfois difficile de comprendre le sens des phrases ou des idées des anciens Chinois si l’on n’utilise que des caractères simplifiés.

Ceci étant dit, l’usage du pinyin et des caractères simplifiés ne cessent de prendre de l’ampleur. La puissance économique grandissante de la Chine contribue à accroître l’influence du pinyin sur la scène mondiale, facilitée aussi par le fait que les matériels pédagogiques chinois sont moins chers.

Au cours de ces dernières années, la Chine n’a pas ménagé ses efforts pour développer et asseoir son influence dans ce domaine. Aux Etats-Unis, par exemple, la Chine donne un ton très politique à ses relations avec l’Association américaine des universités, le but étant pour elle de faire en sorte que le système des caractères simplifiés soit reconnu comme le seul standard international, une politique que les nombreux professeurs originaires de Chine en poste dans les lycées américains promeuvent, tout en tentant d’améliorer l’image de leur pays natal auprès des jeunes Américains.

Pour Chao Ching-ming [趙慶民], en charge de l’information au Bureau de représentation de Taipei à Munich, la situation est préoccupante, car moins il y aura d’Occidentaux qui auront appris le chinois à Taiwan, moins les liens entre l’Occident et l’île seront forts. Il pense qu’il ne faut pas sous-estimer ce capital de sympathie et les bénéfices qui en découlent pour l’île.

Taiwan doit donc saisir l’occasion de se positionner à l’avant-garde de l’enseignement du chinois. Après tout, l’apprentissage d’une langue n’est complet qu’avec une immersion culturelle. Les apprenants découvrent la culture et s’attachent à l’environnement qui les a accueillis pendant leurs études. Changer la politique linguistique de Taiwan pourrait donc avoir un impact significatif sur la perception qu’ont les autres de l’île. Il est de première importance que Taiwan s’appuie sur sa longue expérience de l’enseignement du mandarin pour rester un leader sur ce créneau. ■

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