06/05/2025

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Taiwan, un centre de la langue chinoise

01/08/2003

>>Alors que les Taiwanais se lancent à corps perdu dans l’apprentissage de l’anglais, les jeunes étrangers sont de plus en plus nombreux à venir ici étudier le chinois

Le chinois, aujourd’hui la seule langue idéographique encore en usage, n’est pas simplement un outil de communication et de documentation, c’est aussi le support d’un immense patrimoine culturel. En analysant la composition des idéogrammes chinois et de leurs évolutions graphiques à travers les âges, les sinologues ont réussi à pénétrer la pensée des Anciens Chinois et à suivre le cours de cette culture.

Parmi les premiers Occidentaux connus pour avoir maîtrisé le chinois, citons le jésuite italien Matteo Ricci qui débarqua à Macao en 1582. Après lui, a commencé l’introduction de cette langue en Europe, puis la sinologie est devenue un champ d’études où se sont distingués de nombreux experts et linguistes occidentaux.

Aujourd’hui, plus de 2 000 universités dans le monde dispensent des cours de chinois, et près de 30 millions d’étudiants étrangers apprennent cette langue, indiquait en janvier une revue spécialisée, International Chinese Newsweekly. Avec plus d’un cinquième de la population mondiale l’utilisant naturellement pour communiquer, le chinois est une des grandes langues d’influence dans le monde.

« Les pouvoirs publics sont parfaitement conscients de l’importance de la promotion de la culture chinoise sur le plan international par le biais de l’enseignement de la langue aux étrangers. C’est ce qui a été entrepris dans les années 1950 », dit Li Chen-ching [李振清], le directeur du Bureau des relations culturelles et éducationnelles avec l’étranger au ministère de l’Education. En 1956, l’université nationale normale de Taiwan (NTNU) a créé le Centre d’études de la langue et de la culture chinoise (CCLCS), devenu ensuite le premier centre parrainé par un établissement universitaire pour l’enseignement du chinois (mandarin) aux étrangers.

La même année était fondé le Taipei Language Institute (TLI), le premier établissement privé de ce genre. Cinq ans plus tard, afin de répondre aux besoins de ses étudiants sinisants, l’université de Stanford, en Californie, lançait un programme d’étude du chinois en coopération avec l’université nationale de Taiwan.

Avec le concours du Conseil interuniversitaire américain, cette initiative devait prendre ensuite une nouvelle dimension. Depuis 1996, rebaptisé Programme international de langue chinoise à l’université nationale de Taiwan, le cursus est également ouvert aux étudiants non américains.

Des nombreux centres d’étude du chinois qui se sont créés dans l’île, la plupart sont privés, comme celui du Mandarin Daily News ; d’autres sont gérés par des organismes étrangers tels que l’Institut américain à Taiwan ou par des établissements bancaires étrangers ; une quinzaine l’est par des universités. « Le nombre d’universités taiwanaises offrant des cours de chinois a fortement augmenté après 1989, parce que beaucoup d’étudiants se sont tournés vers Taiwan à la suite des événements de la place Tiananmen, à Pékin », explique Yeh Teh-ming [葉德明], professeur à l’Institut supérieur pour l’enseignement du chinois comme seconde langue (GITCSL), à l’université nationale normale de Taiwan.

« Outre ceux qui s’intéressent à la culture chinoise, les étrangers sont de plus en plus nombreux à apprendre le chinois pour des raisons professionnelles, observe Yeh Teh-ming. Et aujourd’hui, environ un tiers des étudiants du CCLCS, à l’université normale, sont des étrangers travaillant à plein temps dans l’île ou bien leurs épouses. »

Par ailleurs, de nombreux Chinois d’outre-mer envoient leurs enfants à Taiwan pour apprendre la langue pendant les vacances scolaires. Le centre du Mandarin Daily News - un journal pour enfants - a organisé une série de cours spécifiques pour l’enseignement du chinois aux jeunes Chinois d’outre-mer.

« Comparées aux centres de langue parrainés par une université, les écoles privées offrent une plus grande flexibilité au niveau des horaires et des programmes, remarque Chen You-min [陳幼敏], fondatrice et directrice du China Language Institute (CLI). Néanmoins, les cours dispensés aux débutants sont plus ou moins les mêmes et leur permettent d’acquérir la pratique de la conversation en insistant sur un vocabulaire de base et une pratique syntaxique. »

Yeh Teh-ming affirme qu’au terme du programme « débutant », les étudiants connaissent environ 800 idéogrammes et 2 000 expressions courantes. Le programme intermédiaire offre un vocabulaire de 1 500 caractères et 4 000 expressions. Enfin, ceux qui complètent le niveau avancé maîtrisent au moins 3 000 caractères et 6 000 expressions.

« En moyenne, avec 10 heures de cours chaque semaine et une pratique quotidienne, un débutant peut acquérir en six mois un bagage suffisant pour tenir une conversation simple », précise Yeh Teh-ming, se fondant sur son expérience d’enseignant. Mais ceux qui ont l’intention de poursuivre en sinologie auront encore besoin de trois années d’études assidues. »

Selon le ministère de l’Education, dans les années 80, environ 3 000 étudiants étrangers étaient inscrits chaque année à un programme d’étude du chinois parrainé par une université. Ce nombre a brusquement doublé en 1989 et s’est maintenu au- dessus de 5 000 depuis.

Au début des années 90, les Européens et les Américains formaient environ les trois quarts de ces étudiants étrangers, les autres venant surtout d’Asie. Récemment, la situation s’est inversée. En 2002, les Asiatiques comptaient pour 70% des inscrits dans ces mêmes centres universitaires, les Japonais étant les plus nombreux, suivis par les Indonésiens et les Sud-Coréens.

Yeh Teh-ming attribue le phénomène à un regain d’intérêt des Asiatiques pour la langue chinoise, alors que dans le même temps, un plus fort pourcentage d’Occidentaux va étudier en Chine.

Li Chen-ching admet que des étudiants puissent préférer la Chine en raison du coût de la vie qui est là-bas plus faible et de la plus grande variété d’attractions touristiques, historiques et culturelles. En revanche, Chen You-min souligne que la société taiwanaise est plus ouverte avec un niveau de vie plus élevé, ce qui constitue une raison suffisante pour voir notamment les étudiants japonais et sud-coréens affluer dans l’île. Sans doute aussi, l’environnement politique et social relativement rigide sur le continent peut rebuter certains jeunes et se transformer en avantage pour Taiwan.

Li Chen-ching souligne que des diplomates, des sinologues ou encore des chercheurs en études asiatiques ont appris le chinois à Taiwan et que les nombreux professeurs taiwanais envoyés à l’étranger pour enseigner cette langue ont été chaleureusement accueillis par les universités étrangères.

Cependant, certains étrangers craignent de ne pouvoir apprendre ici un chinois « standard », car les Taiwanais parlent le mandarin sans le fort accent de Pékin et ne se servent pas des caractères simplifiés. A cet égard, Chen You-min estime qu’il s’agit là d’un préjugé hâtif : les Chinois venant d’une province ou d’une autre parlent toujours leur langue avec un accent local.

En dépit de l’absence de consensus entre les responsables politiques et les linguistes en matière de transcription du chinois, la plupart des enseignants du chinois ont adopté le système de Pékin ou hanyu pinyin. La méthode en trois volumes Practical Audio-Visual Chinese, édité sous la direction de Yeh Teh-ming et Li Chen-ching, très populaire dans le monde entier, contient à la fois les symboles phonétiques du mandarin, dits bo-po-mo-fo, et le hanyu pinyin.

Taiwan, un centre de la langue chinoise

Des étudiants du monde entier viennent à Taiwan pour apprendre le chinois.

Yeh Teh-ming préfère pour sa part enseigner le chinois à l’aide des bo-po-mo-fo, parce que ces signes, au contraire de la romanisation, mettent les étudiants dans le bain dès les premières leçons, les préparant à apprendre le chinois tout en diminuant l’influence de leur propre langue. Dérivés directement des caractères chinois, ces signes les familiarisent avec la lecture puis l’écriture des idéogrammes, explique-t-il.

« Personnellement, je pense que le choix entre les signes phonétiques et une des nombreuses romanisations n’est pas le facteur clé pour le succès d’un programme d’enseignement du chinois, souligne Chen You-min. On peut apprendre la prononciation correcte avec un professeur qui guide ses élèves sur ce point délicat, plutôt que de mémoriser des symboles phonétiques. »

Quant aux caractères traditionnels en usage à Taiwan - que les étrangers regardent parfois comme beaucoup trop compliqués - , les linguistes et les enseignants sont ici unanimes pour affirmer que leur connaissance profite plus à l’étudiant. Les formes simplifiées sont certes plus faciles à écrire mais moins précises ; de plus, elles obligent à une plus grande attention visuelle.

A partir de la forme traditionnelle, on accède aisément à la forme simplifiée. « Beaucoup d’idéogrammes simplifiés ont perdu leur valeur étymologique, note Yeh Teh-ming, puisque le principe de la simplification des caractères n’a suivi aucune logique. Ainsi, un caractère simplifié peut en remplacer plusieurs traditionnels. » Dans ces conditions, les étudiants peuvent rencontrer des difficultés de compréhension, notamment dans l’étude de l’histoire, de la philosophie et de la littérature classique.

« L’écriture traditionnelle est sans doute ce qui relie le mieux la culture classique à la société contemporaine, a écrit au début de l’année dans le quotidien China Times Chen Ying-ching [陳穎青], le rédacteur en chef adjoint de Owl Publishing House. Avoir conservé l’usage des idéogrammes traditionnels donne une certaine autorité à Taiwan pour l’étude et l’interprétation de la langue et de la culture chinoises. »

Par ailleurs, la société taiwanaise étant ouverte et mobile, sa langue continue d’évoluer, incorporant des acceptions modernes et étrangères, ainsi que des influences dialectales ou locales. Les étudiants étrangers à Taiwan apprennent sans nul doute un mandarin authentique et comprennent plus profondément la culture chinoise.

Dans les années 80 sur le continent, le ministère chinois de l’Education a lancé un vaste plan qui a permis de recruter des enseignants, de rehausser leur qualification, finançant un immense réservoir de talents pour préparer des manuels, des dictionnaires et des supports pédagogiques en un court espace de temps. Plusieurs écoles et universités proposent des formations de 2e et 3e cycle pour l’enseignement du chinois comme langue étrangère.

Hormis les professeurs diplômés de l’Institut supérieur pour l’enseignement du chinois comme seconde langue, à NTNU, qui ont le droit de faire cours en université, la plupart des assistants de chinois enseignant dans les centres parrainés par une université et dans les écoles privées à Taiwan n’ont ici aucun statut légal et généralement gagnent moins qu’un instituteur. Ces conditions les ont souvent découragés, d’autant plus que chaque centre, chaque école a ses propres critères pour recruter son personnel et le former.

Cependant, avec un appui limité des pouvoirs publics, les conditions de travail des enseignants de chinois dans l’île ont réalisé des progrès notables au fil des ans.

Si, en termes de production de matériel pédagogique, les éducateurs taiwanais ne sont pas aussi prolifiques que leurs collègues de Chine continentale, ils n’en ont pas moins acquis une notoriété qui leur a permis de conquérir une audience internationale. Après Practical Audio-Visual Chinese, Yeh Teh-ming et ses associés se sont mis au travail sur d’autres projets, dont un manuel intitulé Far East Everyday Chinese.

En collaboration avec l’Association mondiale pour la langue chinoise (WCLA) - une institution privée fondée en 1973 -, l’Association des enseignants de chinois comme seconde langue (ATCSL) défend maintenant les assistants de chinois. Créée en décembre dernier, et actuellement présidée par Teng Shou-hsin [鄧守信], ancien directeur du GITCSL, l’association a aussi mené des recherches dans son propre domaine et a mis en place un système d’évaluation des connaissances des étudiants. Bien que l’Université de langue et de culture de Pékin ait déjà développé un examen probatoire adopté dans plus de 100 pays depuis sa création en 1992, l’ATCSL espère que sa formule obtiendra aussi une reconnaissance internationale et sera bien accueillie par les enseignants et les étudiants.

Promouvant l’enseignement du chinois dans l’île, le ministère de l’Education offre des bourses d’étude aux étudiants étrangers et recommande des professeurs de chinois pour un emploi dans les universités étrangères. Cependant, nombre d’enseignants du chinois estiment qu’une politique plus active devrait embrasser les aspects les plus divers de l’apprentissage du chinois.

« Le moment de créer un système international de transcription du chinois est dépassé, remarque Chen You-min. Au lieu de chercher des arguments pour imposer un système plutôt qu’un autre dans l’enseignement du chinois aux étrangers, il serait préférable de dépenser son énergie, son temps et sa sagesse à former des enseignants, à publier des manuels de qualité et à améliorer la pédagogie. »

« La formation des professeurs est certainement la priorité, car ce sont eux qui sélectionnent les manuels et la pédagogie. Ils aideront l’étudiant à mettre en pratique ses connaissances, poursuit-elle. Cela est d’autant plus vrai pour Taiwan qui, face aux abondantes ressources de la Chine lui permettant de produire une quantité importante de matériel pédagogique et de former un grand nombre d’enseignants, n’a pas d’autres choix que de concentrer ses efforts sur la qualité de l’enseignement du chinois fourni sur place. »

La langue étant le véhicule de la culture et des idées, Taiwan déploie tous ses efforts pour attirer ici le plus grand nombre possible d’étrangers voulant étudier le chinois. A un moment où l’île cherche à accroître sa présence sur la scène internationale, cela tombe bien. ■

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