A cause de la différence d'écriture des caractères chinois sur l'une ou l'autre rive du détroit de Taiwan, les habitants de Taiwan qui se rendent en Chine continentale pour visiter leurs parents peuvent facilement se trouver embarrassés.
Un mianfen dian 面粉店 leur vendra-t-il de la farine [si le premier idéogramme mian, farine, est simplifié] ou des produits de beauté [si le même idéogramme n'est pas simplifié mais de forme identique]? Dans les deux cas, fen 粉 , poudre, et dian 店 , boutique, sont les mêmes. Tout dépend du détaillant qui aura composé l'enseigne de sa boutique avec des caractères simplifiés ou traditionnels. Mais c'est tout de même, la vitrine (un contexte important) qui aura tôt défini avec précision le sens des caractères. Les Taiwanais retrouvent ainsi plusieurs calembours en Chine continentale par ce jeu de la simplification homophonique des caractères, comme wuhui 午会 qui est une partie de danse ou une réunion à midi? Ou bien [par une simplification étendue populaire] le caractère ding 丁 , un dé de nourriture, peut signifier une morsure d'insecte 叮 , un clou 釘 , dévisager 盯 ou ressemeler 靪 ; ou encore cai 采 , rassembler, peut aussi prendre les sens de cueillir 採 , fouler 踩 ,contempler 睬 ,couleur 彩 , soie multicolore 綵 .
Oh, Maîtresse, vous faites erreur!
En décembre 1992, quelques jeunes filles de Chine continentale vinrent à Taiwan visiter un lycée de Taipei et goûter la vie scolaire insulaire. Mais l'une d'elles ne put s'empêcher d'exclamer sa surprise quand elle vit le professeur qui les guidait inscrire sur le tableau noir les mots Daqing youtian 大慶油田 , les champs pétrolifères de Daqing, en grands caractères simplifiés. « Vous avez mis un point de trop à qing 慶 », s'écria donc la jeune fille toute fière de venir en aide. Mais, ne savait-elle pas que le professeur qui avait fait cet effort pour ses jeunes visiteuses n'avait pas du tout l'habitude d'écrire en caractères simplifiés, d'où, dans son emportement, le malheureux trait ou point supplémentaire! Peut-on aussi imaginer que ces jeunes filles aient toutes été déçues?
La différence entre les deux systèmes d'écriture(1) sur les deux rives du détroit de Taiwan est un phénomène qui s'installe tout discrètement dans la vie de tous les jours, surprenant tous ceux qui l'ignoraient encore. En avril 1993, quand M. Cheyne Chiu, secrétaire général de des échanges à travers le détroit de Taiwan (FEDT) s'est rendu en Chine continentale pour discuter des problèmes concernant le courrier enregistré et de l'authentification des documents avec son homologue continental de l'Association pour les relations à travers le détroit de Taiwan (ARADT), leur dossier commun, paraphé et signé, a été tiré à la fois en caractères simplifiés et traditionnels afin de « respecter les coutumes linguistiques des deux parties ».
Depuis l'ouverture des communications et l'entreprise de voyages entre Taiwan et continentale, les Taiwanais ont reçu beaucoup de lettres écrites en caractères simplifiés de parents et amis de Chine continentale. Ils sont parfois quelque peu déroutés en les déchiffrant. Et tandis que les échanges à travers le Détroit s'intensifient, de plus en plus de publications en caractères simplifiés de Chine continentale parviennent à Taiwan. Avec un tel ouvrage imprimé sous les yeux, beaucoup de Chinois de Taiwan croient avoir à lire un ouvrage du septième monde.(2)
Qu'est-ce à dire?!
Tous ceux qui sont allés visiter des parents en Chine continentale se sont immédiatement retrouvés en face de caractères simplifiés dès le moment où ils en ont franchi le seuil des douanes. Pour ces Taiwanais, les idéogrammes simplifiés et la phraséologie, souvent en langage ordinaire ou parlé, qui leur sont inhabituels, leur donnent le sentiment d'entrer dans un monde différent. Et les expressions également peu familières, telles que « revitaliser l'économie », « contrôle des prix » ou « faire une demande pour un transfert », ainsi que les divers mots employés pour des expressions d'usage quotidien,comme « famille monoparentale », « enfants surdoués » ou « nouilles instantanées », ne font qu'approfondir ce sentiment.
M. Lin Hsin-chang, célèbre entraîneur de base-ball qui, après avoir travaillé à Taiwan, entraîne maintenant une équipe de Chine continentale était appelé « Général Hsin » par les aficionados taiwanais de ce sport. Et lorsque ses amis de Taiwan sont allés le voir, ils ont été stupéfaits qu'il soit tout simplement devenu l'« Entraîneur Lin », assis en train de surveiller un match au milieu des cris des joueurs continentaux usant d'autres termes qu'à Taiwan pour « réussir un coup », « faire le tour complet », « beau lancer », « formidable », etc.
Il y a même de nombreux cas où les caractères écrits sont trompeurs. L'idéogramme gan 干 revient très souvent dans l'usage en Chine continentale et, homonyme graphique, peut signifier un tronc 幹 ou bien être pris pour sec 乾 . Il peut être encore une rivière de la province du Jiangxi 淦 ; l'idéogramme bu ou bo 卜 y apparaît aussi souvent, comme dans zhanbu 占卜 , la divination, ou dans luobo 萝卜 , le navet.
On a pu dire que le fait de voir des caractères simplifiés de Chine continentale donnait l'impression d'y être déjà transporté. En effet, on ne peut plus y « voir » ses parents puisque l'idéogramme qin 親 , parents, a perdu par la simplification l'élément de gauche jian 見 , voir; il faut aimer sans cœur, car l'idéogramme ai 愛 ,aimer, a également abandonné l'élément xin 心, le cœur; la production, chan 產 , ne vient de rien, car l'idéogramme simplifié a perdu son principe créateur, sheng 生 , naître, créer; enfin, la maison n'a plus de porte puisqu'on l'ouvre, kai 開 , ouvrir, ou la ferme, guan 關 , fermer, sans plus l'élément men 門 , porte, qui a ainsi disparu dans la simplification, kai 开 ou guan 关 .
L'immolation des idéogrammes
Ce sarcasme est peut-être un peu exagéré, mais en trente-sept années, depuis la réforme de l'écriture par les communistes chinois, les caractères simplifiés ont atteint un point où leur reconsidération critique est inévitable.
En avril de cette année, M. Liu Bin, directeur de nationale de travail de la langue, de Chine continentale, avait indiqué que le problème le plus saillant dans le domaine de la langue et de l'écriture est la fréquence de création incontrôlée et d'emploi erroné de caractères chinois par le public, l'usage délibéré de caractères compliqués et les caractères mal écrits.
La création à tort et à travers de caractères et leur usage abusif sont un phénomène qui perdure depuis longtemps. M. Kung Peng-cheng, directeur des Affaires culturelles et éducationnelles du Continent de la commission d'Etat des Affaires continentales de de Chine, croit que, lorsque les communistes chinois ont mis en œuvre leur réforme de l'écriture, ils ont omis de considérer la nature systématique et rationnelle des caractères chinois. Il voit en cela la cause fondamentale de cette création folle de caractères simplifiés nouveaux un peu partout.
Le lancement de la simplification des caractères par les communistes chinois a débuté en 1956. Le Projet de simplification des caractères chinois proposait cette année-là une liste de plus de 2 000 caractères et fournissait les normes de la simplification en usage dans toute continentale.(3)
Mao Zedong avait une fois proclamé que le système d'écriture chinois devait être réformé en mettant en place un système de transcription phonétique, comme il est d'usage commun à travers le monde. Il croyait que la simplification était un courant inévitable du développement historique, et son lancement devait préparer au remplacement des caractères chinois par un système d'écriture phonétique. Ce thème tient ses fondements dans les débuts de de Chine.
De la fin de la dynastie mandchoue de Tsing aux premières années de , ou mieux, de de l'Opium à de résistance contre le Japon, a souffert de nombreux et cruels revers dus aux forces étrangères envahissantes. L'Etat fut si faible et le peuple vivait dans une telle dégradation que les désavantages du pays apparaissaient encore plus évidents.
Quelques intellectuels chagrinés ont cherché des moyens de sauver et de renforcer la nation chinoise. Ils sont allés jusqu'à blâmer l'infériorité de la civilisation chinoise et ont proclamé que les idéogrammes chinois ne sauraient rivaliser avec les alphabets phonétiques des systèmes d'écriture occidentaux. D'autres ont même affirmé que l'analphabétisme outrancier de l'époque était dû aux idéogrammes chinois trop difficiles à comprendre [et à mémoriser]. Ainsi, de nombreuses voix ont fusé de toutes parts pour la réforme du système d'écriture. Et les intellectuels du Mouvement du 4 mai (1919), comme Qian Xuantong 錢玄同 , Lu Xun 魯迅 , Hu Shi 胡適 et d'autres, étaient tous partisans des caractères simplifiés.
« Les caractères simplifiés ressemblent aux Gardes rouges »
La langue parlée et écrite est le moyen qui permet à un peuple de communiquer. Comme elle se développe avec le temps, une part raisonnable de normalisation et même de réévaluation est nécessaire. Mais le moyen que les communistes chinois ont choisi, avec le concours d'un grand nombre d'intellectuels, en adoptant une politique radicale de simplification des caractères chinois quelques années après leur prise de pouvoir est vraiment quelque chose de rarement vu dans l'histoire.
Quelle est la profondeur de l'influence des caractères simplifiés? M. Huang Yung-wu, professeur de l'école normale municipale de Taipei, a une fois décrit les dommages que les caractères simplifiés ont causé à la culture chinoise par ces simples mots : « Les caractères simplifiés ressemblent aux Gardes rouges. » Il estime que les caractères simplifiés ont brisé la nature systématique inhérente du système d'écriture chinois et manque de tout avantage théorique. Ils ne rendront les générations ultérieures qu'incapables de lire les idéogrammes chinois en les soustrayant de leur culture traditionnelle. C'est le même genre de destruction qu'ont infligé les Gardes rouges.
Il cite les exemples suivants. L'idéogramme ye 葉 , feuille d'arbre, possède en partie supérieure le radical cao 艸 , herbe, ou végétation dans son extension sémantique, ce qui le situe immédiatement au domaine végétal. L'autre partie est le caractère ye 枼 , fin comme une lamelle, qui est ici l'élément phonétique qui contribue à sa signification. Il entre en composition dans d'autres idéogrammes, tels que die 諜 , espion, die 碟 ,petit plat, die 蝶 papillon, ou die 喋 bavarder. Le radical (ou clé), placé à gauche de ces idéogrammes, indique le sens tandis que l'élément commun est un repère phonétique indispensable au sens de chacun des idéogrammes ainsi formés. Malheureusement, l'idéogramme ye, feuille d'arbre, a été simplifié et remplacé par un homophone ye 叶 .(4) On lui assigne non seulement un nouveau radical, faux selon son sens, mais l'élément phonético-sémantique, contenu également dans les autres composants a disparu. Un autre exemple, fa 髮 , la chevelure, aujourd'hui simplifié fa 发 , est également la simplification de l'idéogramme fa 發 , émettre, exprimer. Ainsi donc, xiufa 秀发 peut signifier « belle chevelure » ou « beau et intelligent ». De même, xieyun 叶韵 est la « rime classique xie » ou bien yeyun叶韵 , le « ton entrant ye ».
M. Huang Pei-jung, professeur à l'unité de chinois de l'université nationale de Taiwan, souligne de nombreux problèmes soulevés par les caractères simplifiés. Il indique notamment que les communistes chinois ont d'abord « confondu des idéogrammes ». Par exemple, tan 嘆 , soupirer, han 漢 , un affluent du Yangzijiang qui a donné son nom à un fief chinois puis à l'empire (dynastie) lui-même, quan 勸 , presser, guan 觀 , observer, dui 對 , répondre, xi, 戲 , jouer, ont tous vu leur élément phonétique dissemblable simplifié en you 又 . Ils ont ensuite « détruit la structure visuelle des idéogrammes ». Par exemple, hua 華 , magnifique, simplifié 华 , shu 書 , livre, simplifié 书 , et yao 堯 , nom d'un souverain légendaire de Chine, simplifié 尧 . Ils ont enfin « abandonné l'étymologie des idéogrammes ». Par exemple, gou 構 , construire, est simplifié 构 .(5) En outre, les caractères sont difficiles à lire et ont rendu la population incapable de lire les écrits des générations passées, formant ainsi une barrière à la transmission culturelle.
Une vision globale de ces devantures de graveurs d'idéogrammes fait l'étonnement des connaisseurs. On y lit toutes sortes d'idéogrammes, des vrais et des faux,... enfin des caractères non conventionnés par les ouvrages littéraires.
La lutte contre l'analphabétisme ne dépend pas de la simplification des caractères
Les communistes chinois font toujours état d'un grand nombre d'illettrés en Chine continentale. « On ne peut vraiment pas exiger que tous comprennent des idéogrammes compliqués et abstrus », dit M. Li Xinkui, professeur de l'université Zhongshan (Sun Yat-sen) de Canton. Il estime qu'il existe beaucoup trop de critères pour parfaire l'instruction publique. Il n'est pas nécessaire que les habitants d'un simple village connaissent une foule d'idéogrammes difficiles, obscurs et désuets. C'est assez qu'ils sachent ceux dont ils ont besoin dans leur vie de tous les jours. Si un jour ils possédaient une connaissance suffisante et manifestaient un désir à plus amples études pour lire de vieilles œuvres littéraires, historiques ou autres, il ne leur serait pas trop tard pour apprendre les formes compliquées.
M. Li Xinkui fait remarquer que le principal objectif de la campagne de simplification des caractères par les communistes chinois est la croyance que les caractères simplifiés facilitent l'accès à l'université. Mais jusqu'à présent, on constate que de dures réalités ont réagi contre la politique de simplification des caractères chinois.
« Taiwan n'a pas poursuivi de simplification des caractères, mais le taux d'alphabétisation y est de 95%. continentale a écrit les caractères simplifiés pendant trente années, mais ne semble pas avoir moins d'illettrés qu'avant », persifle M. Huang Pei-jung.
Par ailleurs, du point de vue de la lutte contre l'analphabétisme, les caractères simplifiés ne sont pas nécessairement meilleurs que les idéogrammes compliqués. Une étude de M. Cheng Chao-ming, professeur à l'unité de psychologie de l'université nationale de Taiwan, indique qu'apprendre à lire et à écrire comporte la distinction à la fois de « la morphologie des caractères » et « l'acception des caractères et des mots ». Aucune d'elles n'est liée au nombre de traits d'un caractère. Les caractères simplifiés et compliqués peuvent avoir une morphologie similaire, d'où la difficulté de distinction, comme fu 傅 , instruire, et chuan, transmettre, ou zhuan, commentaire 傳 ; ou bien yi 已 , déjà, et ji 己 , soi-même. S'ils sont dissemblables, ils sont donc aisément appris, comme bu 補 , rectifier, chi 馳 , galoper, tian 田 , champ, et hu 戶 , porte, foyer.
Apparition d'une « nouvelle élite culturelle »?
Le point de vue des communistes chinois que seuls les calligraphes et les étudiants en lettres et en histoire ont besoin d'apprendre les idéogrammes traditionnels et compliqués est libre à toute objection. M. Huang Pei-jung y observe que l'effondrement de la structure de la classe élitiste et la libération du prolétariat de l'oppression étaient initialement le trait apparent le plus caractéristique du pouvoir communiste. Aujourd'hui, ceux qui peuvent lire les caractères compliqués sont devenus une « nouvelle élite culturelle ».
Une autre raison pour laquelle continentale n'admet pas que les caractères simplifiés soient un obstacle à la transmission de la culture est que, pendant ces trente dernières années, maintes œuvres littéraires et poétiques anciennes, comme Le rêve du pavillon rouge, Commentaires des annales de Sima Qian, Trois cents poèmes de la dynastie de Tang, ont été publiées en caractères simplifiés. Cela confirme les paroles de M. Li Xinkui que les gens intéressés à lire ces œuvres n'ont pas besoin de se chagriner de ne pas savoir les formes complexes des idéogrammes, car ils n'ont pas perdu toute opportunité de les lire.
Mais M. Huang Pei-jung croit que les éditions de textes anciens en caractères simplifiés ne peuvent pas nécessairement remplacer complètement les éditions originales, car la poésie et la littérature classiques contiennent maints jeux de mots et allusions fondés sur des similitudes de sons ou de formes entre les idéogrammes, de sorte que, si, par exemple, jie 傑 , remarquable, est écrit jie 杰 ou que shi 適 , convenable, est écrit shi 适 (caractère traditionnellement lu kuo, rapide), alors le sens est-il identique ou l'allusion est-elle décelable? Il met en doute que les commentaires des éditions en caractères simplifiés puissent couvrir aussi parfaitement de tels domaines. Assurément, cela représente beaucoup d'efforts supplémentaires et peut même ajouter quelques confusions!(6)
Puisque continentale s'est ouverte sur le monde extérieur, les problèmes déjà présents sont devenus un peu plus saillants. Sous l'influence des contacts avec Hongkong et Taiwan, les caractères compliqués retrouvent un allant de grande envergure dans les principales villes de toute continentale. M. Yao Jung-sung, professeur de l'université nationale normale de Taiwan, cite un article d'un universitaire continental chinois disant que l'« usage à tort et à travers » de caractères compliqués peut se voir dans tout le pays et que les jeunes aiment écrire des caractères compliqués dans des situations aussi formelles que les titres de tableau, les slogans publicitaires, les avis, les affiches, etc. On y rencontre notamment bao 報 , rapport, xue 學 , étude, tuan 團 , groupe, et bien d'autres. Le public les estime plus corrects. Cela lance un défi à la normalisation des idéogrammes.(7)
Les idéogrammes compliqués semblent plus intellectuels
Dans un article, le Quotidien juridique de Chine continentale rapportait que plus de la moitié de la clientèle d'une imprimerie de cartes de visite qui reçoit en moyenne trois mille commandes par jour lui demande un travail en caractères compliqués. Dans un autre article, ce journal affirmait que la majorité des dédicaces et des inscriptions écrites par les dirigeants de l'Etat ou du Parti, les calligraphes et quelques autres sont écrites en caractères compliqués. Et les enseignes de boutique ou de magasin et même les publicités, comme celles de produits de beauté, principalement ciblées pour le public local, usent d'idéogrammes compliqués pour attirer la clientèle.
M. Li Xinkui admet que, dans les plus grandes villes du sud de , il y a une véritable « résurgence des caractères compliqués », mais cela est essentiellement restreint à quelques organisations ayant un contact étroit avec Hongkong ou Taiwan ou bien à des gens ordinaires essayant de se faire passer pour cultivés, de même qu'il est à la mode de montrer qu'on est capable d'écrire en caractères compliqués.
Dans les ruelles de Canton [Guangzhou], le mélange et la variété des styles d'écriture des enseignes, banderolles et autres placards ou affiches rendent perplexes les visiteurs de Taiwan.
Le désir des gens ordinaires d'apparaître cultivés est un phénomène qui, selon M. Kung Peng-cheng, donnerait aux communistes chinois matière à penser. Il s'appuie sur l'idée que le niveau de perfectionnement qui use de la langue écrite est étroitement lié au statut éducationnel de la société. Les gens d'un niveau d'éducation ordinaire peuvent toujours utiliser les caractères de nationale des caractères d'usage courant. Ceux d'un niveau plus élevé puiseront parmi les idéogrammes de secondaire. Enfin, ceux d'un plus haut niveau écriront des caractères encore plus rares. Mais cela ne signifie en aucun cas que tous ceux qui écrivent des idéogrammes difficiles et inhabituels souhaitent se séparer de la masse, ni non plus qu'on doive maudire et condamner les idéogrammes plus difficiles ou que ces derniers aient besoin d'être simplifiés.(8)
M. Kung Peng-cheng poursuit en expliquant que c'est pour cette raison que, même si chacun se croyant cultivé écrit des idéogrammes compliqués, pendant que la société se développe progressivement et que les normes de son instruction s'améliorent, les caractères compliqués vont sûrement se répandre de plus en plus fréquemment. C'est la vraie nature sociale de la culture et la véritable tendance de l'évolution du système d'écriture.
Récemment, les autorités de Chine continentale se sont éveillées devant le phénomène qu'on créait de toute part des idéogrammes, tels que 迠 pour jian 建 , édifier, 拨 pour bo 撥 , remuer, agiter, 歺 pour can 餐 , repas, ou 重 pour zhong 重 , lourd, ou qu'on confondait aisément des idéogrammes, tels que fu 復 , retourner, et fu 複 , répéter; fa 發 , émettre, et fa 髮 , chevelure; ou zhong 鍾 , rassembler, et zhong 鐘 , cloche. Ces dernières années, le principal travail de de réforme de l'écriture chinoise, de Chine continentale, a été de normaliser les caractères utilisés par le public.
Pourtant, les communistes chinois demeurent très méfiants devant la « résurgence des caractères compliqués » et à l'usage mélangé des idéogrammes compliqués et simplifiés par le public dans tout le pays. Comme on utilise de plus en plus les caractères compliqués, ils donnent leur maximum pour contenir la tendance. Lors des Jeux asiatiques en 1991, la municipalité de Pékin a corrigé plus de vingt mille caractères compliqués sur les plaques de nom de rue, les publicités, les enseignes, etc. En juillet 1992, l'édition internationale du Quotidien du Peuple qui s'était antérieurement convertie aux caractères compliqués en faveur de ses lecteurs d'outre-mer est revenue aux caractères simplifiés.
Il faut agir maintenant, demain il sera trop tard!
Pourquoi les communistes chinois persistent-ils ainsi? M. Chou Chih-wen, professeur associé à l'université Tamkang de Taipei, explique que les communistes chinois ont hérité de l'esprit antitraditionaliste du Mouvement du 4 mai (1919). Cet état d'esprit, combiné à leur idéologie d'embrasser la culture populaire et de l'utiliser comme un outil politique, fait que les opinions des dirigeants de Chine continentale quant au système d'écriture sont très différentes de celles tenues à Taiwan.
Sans compromis possible, les communistes chinois ont même défini l'usage d'idéogrammes officiellement prescrits comme un objectif politique non négociable. M. Liu Bin, président de de réforme de l'écriture chinoise, de Chine continentale, souligne que la langue écrite et parlée est le symbole de la souveraineté nationale et qu'il n'y a point de retour possible quant à la politique d'usage des caractères simplifiés. Le faire « causerait un préjudice incommensurable à la cause du socialisme ».
En effet, en se basant sur le point de vue de la conservation de la culture traditionnelle vivante et les communications à travers le détroit de Taiwan, les philologues de Taiwan rappellent qu'il est impératif non seulement d'exclure les caractères simplifiés de Chine continentale, mais qu'il y a aussi matière d'urgence, car, « si on n'agit pas aujourd'hui, il sera trop tard demain ».
M. Huang Pei-jung explique qu'aujourd'hui, les Chinois continentaux éduqués de plus de 40 ans peuvent encore être familiers des caractères compliqués. Or, une fois que cette tranche de population aura disparu de la scène, le relancement des connaissances des trésors culturels traditionnels ou même l'unification des systèmes d'écriture de Taiwan et de Chine continentale ne seront plus aisés à négocier.
Se fondant sur leurs préoccupations mutuelles des problèmes culturels chinois, des philologues des deux rives du détroit de Taiwan ont tenu trois rencontres en Chine continentale depuis que les habitants de Taiwan sont autorisés d'y visiter leurs parents. Ils ont discuté de l'unification des deux systèmes d'écriture. Devant l'urgence de ce problème, le gouvernement de de Chine a alloué des fonds à la recherche et l'étude de l'usage des idéogrammes, de la terminologie et la linguistique chinoises, ainsi qu'à la normalisation de codes informatiques de conversion des idéogrammes chinois entre ceux des deux rives du Détroit.
Un point de départ des communications interchinoises
Ce difficile travail liant les deux rives n'a pas manqué d'apporter une certaine convergence de vues. Quelques philologues de Chine continentale, menés par M. Yuan Xiaoyuan, président de internationale de recherche des caractères chinois de Pékin a proposé qu'on apprenne les caractères compliqués tout en écrivant les caractères simplifiés. Leurs espoirs sont que tout le monde puisse au moins lire les formes complexes des idéogrammes, ce qui amène à une bonne compréhension de la culture traditionnelle chinoise. Leur idée a reçu une réponse favorable de la part de leurs homologues de Taiwan. Comme point de résolution du différend sur la langue écrite entre Taiwan et continentale, M. Cheng Chao-ming a proposé que les caractères compliqués soient utilisés à l'imprimerie tandis que les caractères simplifiés seraient réservés au style manuscrit.
Beaucoup de philologues de Taiwan croient qu'il faut être réaliste. Si le système d'écriture de Chine continentale pouvait atteindre un stade où la population est capable de « lire les caractères compliqués en même temps qu'elle écrit les caractères simplifiés », ce serait en soi un formidable pas en avant. Grâce à l'influence de M. Yuan Xiaoyuan et d'autres personnalités, les écoles primaires importantes de Pékin ont une fois tenté l'enseignement des caractères compliqués. Et comme les contacts entre Taiwan et continentale s'intensifient, de plus en plus d'imprimeurs continentaux peuvent composer et imprimer en caractères compliqués, en réponse à une demande d'éditeurs de Taiwan. Ces facteurs et d'autres sont d'un grand secours à la promotion de l'enseignement des caractères compliqués.
A Taiwan, comme le nombre des publications de Chine continentale en circulation augmentent rapidement, un besoin encore plus pressant se fait donc sentir pour un entraînement formel des linotypistes et des compositeurs insulaires dans la conversion des caractères simplifiés en compliqués.(9) A l'étranger, les enseignants de chinois ont également un besoin urgent de matériaux d'enseignement en caractères compliqués qui puissent rivaliser avec ceux en caractères simplifiés. Actuellement, de nombreuses maisons d'édition taiwanaises ont déjà compilé et publié leurs propres listes de conversion, et les logiciels de conversion de caractères simplifiés en compliqués, et vice-versa, sont déjà en vente sur le marché. Malheureusement, il n'y a pas qu'une seule norme de tels systèmes de conversion informatiques de caractères compliqués en simplifiés sur le marché, aussi est-il urgent de les uniformiser.
En fait, apprendre les caractères simplifiés n'est pas du tout un signe de faiblesse des habitants de Taiwan à l'égard de l'autre rive ni une « acceptation de la réalité ». Si la langue écrite est vraiment un moyen de communication des idées, chacune des deux rives doit pouvoir regarder d'un œil nouveau le système d'écriture de l'autre bord. Lorsque les deux rives se seront comprises l'une l'autre en la matière, elles pourront alors entamer des discussions sur l'interdépendance des deux systèmes et les moyens par lesquels ils s'influencent. Ainsi, il semble bien que le système d'écriture sera vraiment un point de départ de la communication.
Ma Chung-tien.
(V.F., Jean de Sandt)
Photographies de Chang Chuan-fu.
N.B. : A l'exception des noms propres chinois relatifs à Taiwan, tous les autres noms chinois mentionnés dans ce texte sont exceptionnellement transcrits (sans la marque tonale) selon le système Hanyu pinyin, également adopté par la presse internationale et française en 1979. Dans ce contexte de comparaison, il offre à nos lecteurs une référence immédiate sans devoir recourir à des translittérations pénibles et inutiles. D'une lecture peu évidente, nous en donnons très sommairement les équivalences phonétiques. Les consonnes initiales de lecture particulière : b (= p), c (= ts'), ch (= tch'), d (= t), g (= k), h (= 'hr), j (= tchi), k (= k'), p (= p'), q (= tch'i), r (= j), sh (= ch), t (= t'), w (= ou), x (= chi), z (= ts), zh (= tch). Les seules voyelles initiales sont a, e, o. L'entité vocalique finale de la syllabe chinoise (pékinoise), parfois composée, est plus élaborée. Les « voyelles » finales de lecture particulière : ai (= aï, ail), an (= ane, sauf après y: = ène), e (= e, sauf après y: = é), ei (= eï, eil), en (= ène), eng (= eng, sauf après f, w: = ong), i (= i, sauf après c, ch, r, s, sh, z, zh: = eu), ian (= iène), ie (= ié), in (= ine), iu (= ioô), ou (= oô, o-ou), u (= ou, sauf après j, q, x, y: = u), ua (= oua), uai (= ouaï, ouail), uan (= ouane, sauf après j, q, x, y: = uane), uang (= ouang), ue (= ué), ui (= oueï, oueil), un (= ouène, sauf après j, q, x, y: = une), uo (= ouo). Les initiales et finales non mentionnées ont une lecture plus évidente. — Orthographes syllabique particulières signalées dans ce texte : wu (= ou), yi (= i). (NDLR)
(1) Dans ce texte, l'auteur compare deux « systèmes d'écriture », mais il s'agit d'un abus de langage. On aura vite compris qu'il n'y a nullement deux systèmes d'écriture, mais deux styles d'écriture, l'un traditionnel, l'autre simplifié. Les deux rives ont en effet le même système d'écriture idéographique qui ne diffère que par la composition ou le style des caractères. Les styles romain et gothique de l'alphabet latin peuvent servir de comparaison. (NDLR)
(2) Les publications en caractères simplifiés sont interdites de circulation publique à Taiwan. Pourtant, certaines catégories de publications, d'ordre général mais non politiques, peuvent être importées à titre exclusivement privé. (NDLR)
(3) En 1956, c'est l'Avant-projet de simplification des carnctères composé de 515 idéogrammes simplifiés. Il a été précédé d'autres listes, notamment l'une, interdisant l'usage de 1 055 variantes compliquées, « désuètes et faisant double emploi » et l'autre, normalisant le style manuscrit de 251 idéogrammes ou éléments idéographiques. Les listes postérieures ont présenté des hésitations jusqu'à la liste complète, baptisée Projet de simplification des caractères chinois et publiée en août 1964, dont parle l'auteur. Elle comprend exactement 2 238 caractères simplifiés obligatoires. Lui sont généralement ajoutés 39 caractères de forme plus simple, probablement encore mal affirmés, provenant de la liste de suppression des variantes susmentionnée. Une seconde liste au contenu hétéroclite a été publiée en 1977, mais vite suspendue d'usage peu après. (NDLR)
(4) Ce caractère est la reprise d'un caractère d'usage rare auquel est attribué une nouvelle acception moderne. (NDLR)
(5) De nombreux caractères simplifiés et codifiés en Chine continentale sont des reprises sans discernement de simplifications calligraphiques ou manuscrites anciennes ou de modifications et erreurs accumulées par les scribes, les copistes et les calligraphes des temps anciens qui, en changeant de support et d'instrument à écrire au cours des siècles, ont simplifié, amalgamé, déformé, forgé beaucoup de caractères chinois. (NDLR)
(6) Les œuvres classiques chinoises sont d'un accès difficile, même dans leur transcription moderne ou vulgarisation, sans l'addition de volubiles commentaires, interprétations, voire traductions (en langue moderne), variant d'un auteur à l'autre. Celles-ci, lues selon la prononciation pékinoise, aujourd'hui systématisée sur les deux rives du détroit de Taiwan, sont dépourvues de toute référence sonore originale. (NDLR)
(7) Tandis qu'en Chine continentale, les deux styles d'écriture coexistent dans les rues et parmi le public, on saisit mal que les nombreux usagers de caractères simplifiés (environ 850 millions d'instruits) acceptent le retour irréversible aux caractères traditionnels, quand l'enseignement, la télévision et la presse écrite officielles n'usent que des caractères simplifiés obligatoires et que la propagande outrancière en faveur des caractères simplifiés y est tenace, puissante et insinuante. (NDLR)
(8) Le dictionnaire idéographique chinois comprend près de 50 000 idéogrammes accumulés au cours des siècles. Il faut compter 80% d'entre eux comme leurs superfétations et variantes simplifiées, analogiques, mal composées ou confondues, tout à fait désuètes, périmées, voire dépourvues de sens ou de lecture, même si quelques-unes ont été appréciées par des auteurs littéraires. La simplification des caractères de Chine continentale se voudrait une normalisation d'idéogrammes usuels dans une forme simplifiée, comme le traduisent les Listes élémentaire et complémentaire établies par les autorités de Chine continentale et comprenant 3 500 caractères d'usage courant (simplifiés et entiers) différents. (NDLR)
(9) L'effet à la cause est ici indirect. Les publications en caractères simplifiés étant interdites de circulation publique à Taiwan, il faut que les linotypistes taiwanais apprennent les caractères simplifiés afin de pouvoir les « réimprimer » en caractères compliqués pour les lecteurs taiwanais. Cf. supra note 2. (NDLR)