14/05/2025

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

Les états d'âme de la nouvelle génération

01/01/1997
Huang Chung-hsin Vivre sur le fil! Les jeunes en manque d'attention ont recours à toute une gamme d'activités susceptibles d'attirer les regards admiratifs des spectateurs.

Les adolescents de Taiwan, parfois désignés sous le terme de « Génération Y » pour les distinguer de leurs pairs de plus de vingt ans, sont radicalement différents de leurs prédécesseurs, non seulement en apparence mais également dans leur comportement et leur menta­lité. Autrefois, collégiens et lycéens de­vaient porter les cheveux courts, pas plus de trois cm pour les garçons et pas plus d'un cm en dessous du lobe de l'oreille pour les filles. La levée de la « loi martiale capillaire », il y a quel­ques années, laissa libre cours à l'ima­gination des jeunes en manque de che­veux longs et de coiffure en vogue. Parallèlement, le flot incompressible de la mode en provenance de l'étranger, associé à l'ouverture internationale de la société en général, fait que le mode de vie occidental a une bien plus grande influence sur les valeurs des jeunes Taiwanais qu'auparavant.

L'exemple des habitudes alimen­taires est frappant. Les adolescents apprécient assurément plus que leurs aînés certaines habitudes occidentales. Par exemple, McDonald, Burger King et autres chaînes de restauration rapide sont devenus leurs restaurants de pré­dilection, les hamburgers, les frites et le Coca-Cola l'emportant petit à petit sur les plats traditionnels chinois comme les nouilles au boeuf ou le riz sauté aux oeufs. Chen Ssu-hsuan, lycéenne de 17 ans, résume très simplement cette ten­dance : « Je vais souvent au McDonald, parce que c'est bon et pas cher », constate­-t-elle.

Mais les chaînes de restauration américaines remplissent également une autre fonction. Les adolescents aiment y « traîner » et y discuter avec leurs camarades de classe et leurs copains. « Il y a la climatisation au McDonald et ça remplace bien la bibliothèque, explique Li Tsai-hua, collégienne à Taipei. J'y vais souvent pour lire, et en plus il y de beaux garçons ! »

Mais comment faire abstraction du revers de la médaille? L'obésité est devenue le problème des enfants et des adolescents taiwanais. Paradoxe s'il en est car, victimes des media qui véhiculent une dictature du look, les filles en tout cas se sentent par ailleurs obli­gées de soigner leur apparence. Elles se trouvent alors confrontées à un cruel dilemme : elles veulent garder la ligne mais ne peuvent se résoudre à sacrifier fast-food, bonbons et boissons gazeuses sucrées. Sous l'emprise des publicités té­lévisées, les jeunes pensent que ce genre de vie leur donne un look et les fait paraître cool.

Certaines ont pris le taureau par les cornes. Elles surveillent leur alimen­tation d'une façon draconnienne, faisant fi des besoins nutritionnels que la pu­berté impose à leur corps en pleine croissance. « Je fais attention à ma silhouette depuis mon entrée au collège », reconnaît Hou I-ju, 16 ans, maintenant en der­nière année de lycée. « J'essaie de contrô­ler mon alimentation, je me dis toujours de ne pas trop manger, pas de riz, pas de cuisine grasse, peu importe si j'ai l'estomac dans les talons ». Quelques-unes vont même jusqu'à dépenser leur argent dans des centres d'amaigrissement ou de chirurgie esthétique pour se faire refaire le nez ou les paupières. Leur nombre enregistre une forte augmentation en été, pendant les vacances. A cette époque, elles ne craignent pas de modifier leur apparence, leurs futurs camarades de la prochaine rentrée scolaire étant nou­veaux et ne les connaissant pas encore.

La façon de s'habiller est égale­ment un moyen d'expression des jeu­nes, bien que peu d'entre eux fassent preuve de beaucoup d'originalité dans leurs choix vestimentaires. Tout comme les adultes, ils se précipitent dans les boutiques de luxe. « J'aime les articles de marque car ils sont le symbole de mon statut social, ils prouvent que j'ai de l'ar­gent », explique Ho Fang-yu, lycéenne. Les vêtements importés ont un style particulier. Par exemple Lu Yu-ta, 13 ans, adore la marque Nike : « J'achète toujours des habits et des chaussures de grandes marques de sport étrangères parce qu'ils sont beaucoup plus sympas que les « trucs » fabriqués à Taiwan ».

Les jeunes ont naturellement ten­dance à choisir des tenues qui attirent l'oeil. Autrefois, les filles devaient s'ha­biller commes des demoiselles et aucune partie de leur corps n'aurait su être dé­couverte aux regards. Les temps changent et les jeunes n'ont plus peur de montrer leurs formes. « En dehors de l'uni­forme de l'école, je porte souvent des collants et des jupes courtes. Je pense que je suis bien faite alors je le montre à travers des habits sexy » affirme Chen Ssu-hun. A cela s'ajoute le phénomène de la re­lation « fan-idole ». Exemple de Hou I-ju : « J'essaie toujours de ressembler à mon idole, Lisa (une jeune chanteuse popu­laire japonaise), et je fais de mon mieux pour m'habiller commme elle ».

Sont-ils heureux de leur sort? Pas tous, aux dires des conseillères confrontées à une génération avide de satisfaction immédiate.

N'oublions pas non plus les acces­soires. De plus en plus de jeunes considèrent le port d'un pager comme vital et l'emportent partout avec eux. Ces petits appareils sont devenus le sym­bole d'un certain statut parmi les jeunes. Les fabricants ont même introduit sur le marché des modèles aux couleurs éclatantes spécialement destinés à ces jeunes acheteurs. « Je vais m'acheter un autre pager », s'enthousiasme Li Tsai­-hua, « car je veux que mes parents, mes camarades et mes amis puissent me joindre n'importe où, n'importe quand ». Nombreux sont ceux qui partagent un même nu­méro avec leur petit copain ou copine pour souligner l'intimité de leur rela­tion.

Comment les jeunes d'aujourd'hui emploient-ils leur temps libre? A l'ins­tar de leurs aînés, ils vont toujours au cinéma. De nos jours cependant, les films étrangers recueillent les faveurs du jeune public aux dépens des produc­tions taiwanaises, la valeur et l'intrigue leur paraissant de qualité supérieure. Wang Wen-chin explique que le cinéma est son passe-temps préféré et recon­naît préférer les films étrangers comme les films policiers ou les histoires d'amour.

Le divertissement de toujours, la musique, est également un passe-temps de choix ; sont là pour en témoigner les hordes de jeunes qui envahissent régulièrement les magasins de disques CD. Les jeunes ont toujours eu leur idole et la génération d'aujourd'hui ne fait pas exception. Beaucoup de jeunes prennent le chanteur hongkongais Andy Lau pour modèle et imitent sa façon de s'habiller, de parler ainsi que ses idées. Certains sont capables de traver­ser tout Taiwan pour assister à un con­cert d'une star comme Michael Jackson. Une fois sur place, ils vont chanter et hurler pendant toute la soirée. Ils sui­vent à travers les media le déroule­ment de la vie quotidienne de leur idole. Certains vont jusqu'à « découcher », ce que les générations précédentes n'auraient jamais seulement osé imagi­ner.

Liu Shu-i, conseillère en orienta­tion au lycée Hung Tao de Taipei, in­terprète ces comportements comme les prémisses d'un nouveau mode de vie. Pour sa part, elle ne pense pas qu'il y ait une si grande différence entre la vie des jeunes d'aujourd'hui et celle de leurs parents au même âge mais fait remarquer que les jeunes de notre époque se lancent plus passionnément dans des activités, qu'ils sont peut-être plus en­gagés.

Et le lèche-vitrine dans tout ça ? C'est le loisir préféré des jeunes adoles­centes comme Hou I-yu. « J'adore le shopping et j'achète à chaque fois quelque chose, même si je n'en ai pas réellement besoin. Parfois je dépense trop et je dois emprunter à mes camarades ». Les centres commerciaux de Taipei attirent constam­ment des foules de jeunes les week­-ends et durant les congés, et ce sont les rayons jeunes qui enregistrent les meilleures ventes de vêtements et d'ac­cessoires féminins.

Selon Winnie Lan, directrice du Centre de Marketing et de Recherche de l'agence de publicité Ogilvy & Mather Advertising, le pouvoir d'achat des jeunes a considérablement augmenté ces dernières années. « Tout d'abord, le niveau de vie d'une famille moyenne s'est amélioré », fait-elle remarquer. « Et les pa­rents, trop occupés, compensent le temps et l'attention qu'ils n'accordent pas à leurs enfants par l'argent. Ils ne souhaitent pas non plus que leurs rejetons soient en reste par rapport à ceux des voisins ». La plu­part des collégiens dépensent leur ar­gent en besoins quotidiens mais les ly­céens, autorisés à travailler en soirée après l'école, ont un pouvoir d'achat bien supérieur et leur comportement d'achat en est le reflet, notamment par sa diversité.

Huang Chung-hsin
Les jeunes aiment consommer et « traîner » dans les établissements à la mode comme celui-ci. La climatisation est meilleure que celle de la bibliothèque et on peut y « reluquer » à loisir le sexe opposé.

Liu Shu-i confirme le fait que de plus en plus de lycéens travaillent à mi-temps. « Ils dépensent tout ce qu'ils ga­gnent. Un beau matin, vous remarquerez qu'ils sont habillés de neuf de la tête aux pieds. Avides de satisfaction immédiate, ils n'économisent que lorsque leurs parents les y obligent ».

En dehors des divertissements tra­ditionnels évoqués ci-dessus, les jeunes se sont récemment tournés vers les sports nouveaux et excitants en prove­nance de l'étranger tels que le saut à l'élastique, la planche (skateboard) et le patin à roulettes (inline skating). Mais en raison du manque d'espace libre à Taipei, les sports de patinage sont con­finés à certains endroits comme les mé­moriaux à Chiang Kai-shek et à Sun Yat-sen, qui offrent tous deux de gran­des esplanades. Ce sont également des lieux touristiques dont la foule de badauds constitue les spectateurs impro­visés des prouesses acrobatiques de jeu­nes en manque d'attention.

Grâce au succès économique de Taiwan, le tourisme est également en­tré dans les moeurs et de plus en plus de jeunes voyagent à l'étranger sans être accompagnés de leurs parents. Il n'est pas inhabituel pour des adolescentes d'avoir visité plusieurs pays étrangers avant d'entrer à l'université (les garçons, sauf quelques exceptions, doivent effec­tuer leur service militaire avant de pouvoir quitter le pays). En outre, les éco­les exhortent de plus en plus les jeunes à aller étudier une langue dans un pays étranger pendant l'été. Un nombre crois­sant d'adolescents partent en « voyage­-études » pendant six mois ou un an, étudier dans un environnement étran­ger.

Rien de très étonnant alors au désintérêt total manifesté pour l'art et les activités affiliées à l'éducation, telles que l'entraînement à la diction, la pein­ture, la calligraphie, la fréquentation des expositions ou des galeries d'art. « Je pratique rarement ce genre d'activités parce que je ne comprends pas de quoi il s'agit », raisonne Lu Yu-ta. Ce type de réaction peut sans doute être imputé à la quasi­-inexistence de formation en matière ar­tistique à l'école. Chen Ssu-huan exprime le point de vue de la majorité de ses pairs lorqu'elle déclare que rien n'est plus « rasoir » que ces activités culturel­les.

On ne s'étonnera donc pas de voir qu'en dehors des livres de classe, rares sont les amateurs de littérature. Cette dernière ne fait pas le poids devant le rouleau compresseur des bandes dessi­nées et des magazines traitant de la mode, du sport et des voitures. Hou I-ju admet que seules les bandes dessinées réussissent à attirer son attention : « J'adore les bandes dessinées, surtout les japonaises. Elles sont marrantes et faciles à comprendre ». Bien qu'inquiétantes, de tel­les attitudes peuvent s'expliquer par la pression générée par le système sco­laire et les examens. « J'adore lire les potins après l'école, il n'y a rien de mieux pour tuer le temps et pour décompresser », justi­fie Chang Chi-hui.

Winnie Lan, de Ogilvy & Mather, relève une étroite relation entre les ca­pacités d'attention restreintes des ado­lescents et certaines stratégies commer­ciales. Selon elle, les jeunes ne seront pas réceptifs à quelque chose de trop long. « Regardez tous ces dessins et ces schémas simplistes dans les bandes dessinées et dans les jeux électroniques actuels. Une image correspond à une action. On ne donne jamais aux jeunes l'occasion de pen­ser, de réfléchir par eux-mêmes », explique­-t-elle. « Rien d'étonnant alors à ce que les publicités à la télévision aient tendance à privilégier dessins et symboles au détriment des mots. L'excès est la seule chose qui interpelle les jeunes. Mais attention, c'est comme la morphine, plus vous augmentez la dose, plus vous serez amené à en con­sommer », ajoute-t-elle en conclusion.

Haro sur les rondeurs disgracieuses! Certaines adolescentes vont jusqu'à dépenser leur argent dans des centres d'amaigrissement ou de chirurgie esthétique, quand quelques heures de sport par semaine permettraient d'atteindre le même résultat.

Pendant les années 1960, le taux de natalité a baissé et les gens ont eu moins d'enfants. Beaucoup de jeunes d'aujourd'hui ont grandi seuls ou avec un seul frère ou sœur, phénomène qui a contribué à créer une génération tour­née vers elle-même. Ils ne craignent pas de dire ce qu'ils pensent et exigent le respect de leurs parents et de leurs pro­fesseurs. Le proverbe chinois tradition­nel qui pourrait se traduire par « Res­pectez les anciens et obéissez-leur » leur est totalement étranger. Ho Fang-yu ad­met entretenir de mauvaises relations avec ses parents du fait d'un problème de communication. « J'aimerais qu'ils res­semblent aux parents de mes camarades et qu'ils écoutent ce que j'ai à dire ». Lu Shang­-chieh, 18 ans, lycéen, lui fait écho : « Je veux prendre mes propres décisions, mes parents devraient me traiter en adulte. L'essentiel est que je ne regrette pas mes initiatives ».

Certains parents s'accomodent mal de cet état de fait mais la plupart d'entre eux font contre mauvaise fortune bon cœur. « Les jeu­nes d'aujourd'hui di­sent ce qu'ils pensent sans faire attention à qui ils parlent », se plaint le père de Lin Hsi-chuan. « Ils ne sont pas comme nous à leur âge, ils ne tiennent pas compte des différen­ces d'âge, ils s'adressent à leurs parents comme ils parleraient à leurs camarades », dit-il. « Au début, j'ai eu du mal à accep­ter ce comportement mais j'ai dû m'y ha­bituer. Les moeurs évoluent et je sais que la plupart des camarades de classe de ma fille se conduisent de la même ma­nière », conclut-il d'un air résigné.

L'opinion de M. Lin est partagée par Liu Shu-i qui estime que les élèves témoignent aujourd'hui moins de res­pect à leurs professeurs que par le passé. « Cela dépend de plusieurs facteurs et de circonstances diverses : le professeur traite­-t-il un sujet passionnant, les élèves appré­cient-ils le professeur, et de quelle humeur sont-ils précisément ce jour-là ? » explique Liu d'un air préoccupé, avant d'exposer sa solution : « En classe, s'ils veulent pré­venir tout conflit potentiel, les enseignants doivent savoir garder leur sang-froid. Il leur faut écouter, travailler à l'échange d'opinions sincères, en somme développer une bonne communication ».

Les membres du YWCA réunis pour une bonne cause. Les jeunes d'aujourd'hui s'engagent plus dans des activités diverses que leurs prédécesseurs.

Les jeunes d'aujourd'hui sont financièrement plus indépendants que les générations précédentes. Winnie Lan a connaissance d'un jeune qui reçoit 12 000 NTD (435 USD) d'argent de poche par mois. Un nombre croissant d'entre eux bénéficient des largesses de leurs pa­rents ou travaillent eux-mêmes. Mais là aussi, la tendance évolue vite. Il y a seu­lement cinq ou six ans, travailler dans un McDonald, dans une station-service ou donner des cours à mi-temps étaient considérés comme des emplois honora­bles. A l'heure actuelle, les jeunes se tournent beaucoup plus vers les disco­thèques, les karaokes, les boîtes de nuit et autres industries des services.

Certains de ces emplois présentent assurément des côtés louches, comme ces recrutements de « jeunes princesses de KTV » qui sont beaucoup deman­dées. Elles sont censées tenir compa­gnie aux clients, mais ce qui peut en résulter est une affaire de négociation entre les deux intéressés. On trouve aussi « les cowboys de minuit » qui offrent des services similaires pour la gent féminine en manque de compagnie. Auparavant, de tels emplois étaient absolument tabous pour les jeunes, ce qui n'est plus le cas. « Ce n'est pas la peine d'en faire toute une affaire », se mo­que Lu Shang-chieh. « Du moment que c'est légal, où est le problème ? » Et surtout, comme le fait remarquer Chen Ssu-huan, « Vous pouvez gagner beoucoup d'argent avec des boulots comme ceux-là ».

Liu Shu-i pense que l'offre continuellement renouvelée pour de tels emplois est en partie responsable de l'augmentation des cas de harcèlement sexuel sur les campus : « La société, les media, les parents, l'école, tous partagent cette responsabilité. Beaucoup d'idées véhiculées par les media peuvent influen­cer de jeunes esprits. Trop de parents ne consacrent pas assez de temps à leurs enfants et il existe souvent un large fossé entre l'attitude du père et celle de la mère, ce qui ne contribue pas à l'équilibre des enfants », dit-elle « Ainsi, une fois en de­hors de l'école, les jeunes se trouvent en présence de cet univers varié et bariolé qui s'offre à eux sans aucune barrière appa­rente. Les adultes aiment cette vie, pourquoi pas eux ? »

Huang Chung-hsin
Les jeunes aiment dépenser leur argent dans les boîtes de nuit et les pubs. Ils y trouvent aussi des emplois mais ceux-ci ne remportent pas toujours l'approbation de leur famille.

Des manifestations d'indépendance telles que celles-ci se révèlent également dans le comportement des jeunes vis-à­ vis de l'argent qu'ils ont gagné ou qu'ils ont reçu de leurs parents. L'exemple de Chang Chi-hui est significatif : « Je dépense mon argent en repas à l'extérieur, en distractions et en vêtements et quand je suis à sec, j'en redemande à mes parents ». Lin Hsi-chuan, dont les trois filles sont res­pectivement âgées de 16, 20 et 21 ans, est douloureusement confronté à cette réalité. « Les enfants dépensent trop et quand ils n'ont plus d'argent, ils viennent en réclamer », se plaint-il. « Ils ne réalisent pas que leurs parents travaillent dur pour sou­tenir la famille. Ils ne prennent pas soin de leurs affaires et ne font preuve d'aucune gratitude. Et quand ils sont à court, non seulement ils réclament de l'argent à leurs parents mais ils se prêtent aussi de grosses sommes entre eux. Ils sont totalement diffé­rents de nous à leur âge », se lamente-t-il.

Un nombre croissant de parents fait des demandes de cartes de crédit pour leurs enfants, que Winnie Lan sur­nomme les « badges d'honneur ». De plus en plus de grands marques considèrent d'ores et déjà les adolescents comme des consommateurs potentiels, et les banques leur emboîtent le pas. Elles veu­lent appâter les jeunes avant même qu'ils n'entrent sur le marché du tra­vail.

Malheureusement, la plupart d'en­tre eux sont incapables d'assurer la ges­tion d'un crédit et cela finit bien sûr en dépenses incontrôlées. Les parents plus conservateurs s'opposent fermement à ce que leurs enfants possèdent une carte de crédit. « J'aimerais bien avoir ma propre carte parce que c'est vraiment pratique, mais mes parents refusent car ils pensent que je suis trop jeune pour contrôler mes propres dépenses », se plaint Lu Yu-ta.

Bien que les jeunes soient beau­coup plus indépendants et maîtres de leurs vies que leurs parents au même âge et qu'ils jouissent en général d'une plus grande liberté, ils n'en semblent pas pour autant plus heureux. Peu d'en­tre eux ont des objectifs bien précis. « Je n'ai pas une vie très heureuse mais je ne saurais pas expliquer d'où viennent les pres­sions que je ressens », constate Lu Yu-ta à qui Chang Chi-hui fait d'ailleurs écho : « Je me sens tous les jours déprimée car je n'ai aucun but dans la vie. Je me contente de mener à bien mes études et j'espère trou­ver un travail plus tard, pour faire comme tout le monde. Mais je n'ai absolument aucune idée de la route à suivre ». Pour décompresser, certains fument, consom­ment de l'alcool et prennent part aux courses nocturnes de motos, dangereu­ses et illégales, qui font fureur depuis quelques temps dans les villes de l'île. « Je fume de temps en temps parce que ça fait « cool » et je bois quand je n'ai pas le moral », reconnaît Chen Ssu-hsuan.

Winnie Lan de l'agence Ogilvy & Mather ressent une certaine sympathie pour cette « génération Y » de Taiwan : « Ils ne se posent jamais la question de savoir quels services ils pourraient rendre à leur famille ou à leur patrie. Ils se sentent désarmés et impuissants face au futur, grevé notamment par les relations instables avec le continent et les problèmes d'environne­ment engendrés par les générations précé­dentes et auxquels ils se résignent. Sans buts, ils sont avides de satisfaction immé­diate et vivent au jour le jour. Seront-ils heureux un jour ? Qui sait ? Et d'ailleurs qui s'est jamais vanté de pénétrer les mys­tères de ces éternels incompris que sont parfois les jeunes ? »

(v.f. : S. M.)

Photos de Chang Su-ching

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