On a accusé le système éducatif de Taiwan d'être excessivement rigide, démodé et programmé en fonction de certaines visées sociales et politiques. Mais ces critiques ne seraient-elles pas elles-mêmes dépassées ?
« Le système éducatif de Taiwan est encore sous le coup de la loi martiale, déclare Huang Wu-hsiung, professeur de mathématiques à l'Université nationale de Taiwan (NTU). Le système est anachronique puisque les structures politiques et sociales de Taiwan ont déjà fait l'objet de réformes démocratiques ». M. Huang a fait cette remarque à l'époque où il était l'un des principaux organisateurs d'une grande marche en faveur de la réforme de l'enseignement, marche qui s'est déroulée en avril 1994.
Le « mouvement du 10 avril pour de l'enseignement », comme on l'appelle, a fait descendre 20 000 personnes dans les rues de Taipei, devenant ainsi le plus important événement du genre depuis la levée de l'interdiction pesant sur les manifestations publiques en 1987. A ce moment-là, la liste des doléances exprimées par les parents, les élèves, les spécialistes, les hommes politiques et les organisations privées était longue : manuels dépassés, programme « orthodoxe » qui ne laissait que rarement aux jeunes l'occasion de faire preuve de créativité, enseignement idéologiquement orienté, intervention politique et importance démesurée accordée à la mémorisation machinale de type « bourrage de crâne » qui remplissait les jeunes cerveaux de connaissances inutiles et accordait la priorité absolue à la réussite aux examens.
L'abrogation de la loi martiale en eu pour corollaire une certaine démocratisation politique et une plus grande ouverture de la société dans son ensemble. Il n'a pas fallu longtemps pour que les nouveaux principes de libéralisation, de démocratisation et de pluralisme se répandent aussi dans les campus. « Le climat dans le milieu de l'enseignement avant et après la levée de la loi martiale a totalement changé », déclare Mlle Ho De-fen, professeur en droit à l'époque de la loi martiale, les universités étaient placées sous le contrôle strict du gouvernement central. Avant 1987, aucun détail n'était suffisamment insignifiant pour échapper aux règlements promulgués par le ministère de l'Education (MOE). Ces règlements régissaient tout : le contenu des programmes, la nomination du personnel, le nombre d'unités de valeur exigées, les ressources des facultés, les durées minimums d'études requises pour l'obtention d'un diplôme et les cours pouvant être offerts.
De plus en plus d'étudiants exercent leurs droits à la manifestation et à la protestation. Rares sont ceux qui se préoccupent de l'intérêt que certaines autorités portent à leurs activités.
A cette époque, la plupart des présidents des universités publiques étaient d'anciens responsables du gouvernement ou se trouvaient liés d'une manière ou d'une autre au parti au pouvoir. « Le choix des présidents d'université [par le ministère de l'Education] n'avait que peu de choses à voir avec les réalisations pédagogiques ou les compétences administratives de la personne désignée, souligne Mlle Ho. Le facteur déterminant était politique ».
Le professionnalisme jouait également un rôle mineur dans la détermination des programmes d'études. « Durant leurs quatre années à l'université, les étudiants passaient plus du quart de leur temps à suivre des cours portant, par exemple, sur la philosophie du docteur Sun Yat-sen et l'entraînement militaire, c'est-à-dire à forte teneur politique », note Mlle Ho. Inversement, les matières d'enseignement général étaient souvent présentées de façon sommaire, sans qu'il soit fait grand cas des objectifs pédagogiques.
En 1993, le système universitaire rigide de Taiwan a connu un ajustement structurel radical, quand le parlement a adopté les révisions controversées apportées à des universités par le ministère de l'Education. « Ceci a eu un impact considérable sur le mouvement pour de l'enseignement, déclare Mlle Ho. Pour la première fois, les universités se voyaient accorder une certaine autonomie en matière de personnel, de programmes d'enseignement et de financement ». L'une des conséquences à été l'augmentation notable du nombre des universités, qui est passé de vingt-huit en 1986 à soixante-sept l'an dernier ; la population estudiantine a progressé en proportion. La nouvelle loi a permis aux membres des facultés d'élire les présidents d'université qui ne peuvent plus être démis de leurs fonctions sans raison valable. De plus, les écoles sont désormais libres de fixer leurs programmes à la lumière des exigences professionnelles requises dans les différentes disciplines, plutôt que pour des raisons « politiquement correctes ».
Un autre changement important a été l'assouplissement des règlements interdisant aux professeurs de participer à des activités et à des manifestations politiques qui, autrefois, étaient souvent déclarées illégales. Les choses ne sont toutefois pas si simples. « Les professeurs ne doivent pas être impliqués de façon trop intense dans des activités politiques parce que leur principal rôle est d'enseigner, déclare Mlle Ho. L'autonomie des écoles doit aller de pair avec l'autodiscipline et ne peut en aucun cas être considérée comme une autorisation à violer la loi. Elle est là pour garantir le professionnalisme des établissements, afin qu'ils puissent mieux se consacrer à leur tâche ».
Mlle Ho pense aussi que la rénovation du système éducatif a entraîné une détérioration des relations entre les universités et le MOE. Celui-ci semble penser qu'étant donné que les universités disposent maintenant de cette autonomie tant vantée, elles doivent se charger de l'ensemble des affaires universitaires. Mlle Ho estime que ceci n'est pas correct parce que la loi actuelle prévoit que le ministère de l'Education conserve d'importantes fonctions de supervision. « Il faut que le MOE acquière une compréhension juste et claire de ce qui est, et de ce qui n'est pas, de son ressort », explique-t-elle.
Mais l'opinion de Mlle Ho n'est pas partagée par Yu Yuh-chao, le directeur du département de l'Enseignement supérieur du ministère de l'Education. « L'esprit de l'amendement de la Loi des universités prévoit la liberté de l'enseignement, ainsi que l'autonomie des établissements et des étudiants, déclare-t-il. En conséquence, le rôle traditionnel d'administration du MOE devient une fonction de supervision et de conseil. Mais une période de transition est à prévoir car le ministère, qui est chargé de répondre à certaines attentes sociales, va nourrir une conception des relations différente de celle des universités. C'est normal. Son but est simple : renforcer son évaluation du fonctionnement des établissements afin de garantir leur qualité d'ensemble tout en assurant une concurrence loyale sur le marché de l'enseignement supérieur ». M. Yu considère qu'un rapprochement a lieu entre les deux côtés, ce qui permet des relations plus cordiales.
Les établissements scolaires locaux ont toujours été fiers de leurs gardes d'honneur ; mais la justesse d'observation et l'indépendance d'esprit des élèves sont désormais aussi importantes que la discipline.
Un autre sujet controversé porte sur l'orientation que doivent prendre les réunions des facultés. Les principes démocratiques sont certes tenus d'être respectés mais cela signifie-t-il pour autant que tout le monde doit disposer du droit de vote sur tous les sujets, pédagogiques ou administratifs, majeurs ou mineurs ? A l'heure actuelle, la Loi des universités accorde à chacun, depuis les membres des facultés jusqu'au personnel de maintenance, un droit d'expression et de vote, même sur des questions purement éducatives telles que la création de nouveaux départements, les politiques scolaires ou la sélection du personnel enseignant. Mlle Ho considère qu'il s'agit là d'une dérive des conceptions démocratiques qui va à l'encontre du professionnalisme éducatif. Elle estime que les affaires scolaires doivent être le domaine réservé des professeurs, tandis que les questions administratives sont de la compétence du personnel administratif placé sous la direction du président de l'établissement. Le problème, c'est qu'il est quelquefois difficile de définir une frontière entre les deux.
Par exemple, la responsabilité incombe maintenant aux universités de réunir une partie de leurs propres fonds de fonctionnement, soit une proportion de 22% de leur budget pour l'année scolaire 1998, et davantage par la suite. Ceci implique évidemment une lourde charge de travail administratif mais c’est aussi une grave préoccupation pour les facultés. La collecte de fonds est devenue la nouvelle épine dans le pied des administrateurs. « Cela ne nous laisse pas beaucoup de temps pour nous concentrer sur notre travail d'enseignement, déclare Mlle Ho. Nous ne nous battions pas pour le droit de recueillir nos propres fonds mais pour celui de les utiliser de la façon la plus efficace qui soit ». Le gouvernement voit les choses différemment. « Ceci va encourager les universités à diversifier leurs sources financières et à faire le meilleur usage possible de leurs revenus, estime un responsable du ministère de l'Education. Dans le passé, quand tout était subventionné, les universités ne se préoccupaient pas autant de l'efficacité de leur fonctionnement ou du traitement adéquat de leurs déchets ».
Une caractéristique souvent jugée surprenante par les personnes extérieures au système éducatif de Taiwan est le maintien de la présence d'instructeurs militaires (MI) dans les lycées et les établissements supérieurs, bien que les universités disposent maintenant du droit de décider si les cours à contenu militaire doivent être obligatoires ou facultatifs. Les instructeurs sont souvent perçus comme une composante des intrigues menées par le Kuomintang (KMT) pour perpétuer les traditions autoritaires dans les écoles, même si elles ont disparu partout ailleurs.
« La présence d'officiers sur les campus et les cours d'entraînement militaire sont enracinés dans l'histoire, déclare Mlle Ho De-fen. A l'origine, il s'agissait de renforcer l'application de la loi martiale. Les officiers étaient supposés contrôler la pensée et les activités des étudiants, dans une tentative de maintien de la stabilité sur les campus ».
Selon le ministère de l'Education, les instructeurs jouent un rôle précieux d'enseignement des questions militaires et d'assistance psychologique aux étudiants. Mais Mlle Ho maintient que, quelle que soit leur principale fonction — assurer un entraînement militaire, conseiller les étudiants ou garantir la sécurité sur les campus — les officiers militaires ne sont tout simplement pas qualifiés. Enseigner dans une université ou dans un établissement supérieur demande certaines qualifications en matière d'éducation. D'autre part, pour dispenser des conseils, il faut être psychologue professionnel. « L'assistance aux étudiants et la sécurité des campus sont deux choses également importantes mais elles doivent être assurées par des gens compétents », répète Mlle Ho.
Quels sont les arguments en faveur du maintien des MI sur les campus ? Un point de vue souvent cité est que les cours d'entraînement militaire dans les universités permettent de renforcer la défense nationale à un coût réduit. « La défense et l'éducation sont fondamentales dans n'importe quel pays », affirme Han Mong-chun, le président du bureau de l'entraînement militaire à l'Université nationale normale de Taiwan. M. Han fait remarquer que le continent chinois n'a jamais renoncé à l'usage de la force contre l'île. « Dans de telles circonstances, ce n'est que lorsqu'on est apte à se protéger par soi-même et que l'on compte en tant que puissance économique que l'on peut s'asseoir à la table des négociations et résoudre les problèmes en suspens, déclare-t-il. La responsabilité d'un MI est de diffuser les connaissances militaires et de rappeler aux étudiants l'importance de la défense nationale ».
Certains observateurs ont accusé les MI d'intervenir dans la liberté de l'enseignement, de pratiquer un lavage de cerveau sur les étudiants, de s'immiscer dans les affaires administratives et de travailler pour le KMT. M. Han repousse ces allégations. « Les officiers sont soumis à la discipline militaire et ils font serment d'allégeance au pays plutôt qu'à un parti politique », fait-il remarquer. Selon lui, l'armée de Taiwan étant à l'origine une ramification du KMT, c'est peut-être la raison pour laquelle la méprise perdure dans l'esprit de tant de gens.
M. Han estime que dans le climat actuel d'ouverture et de démocratisation politique, il est peu probable que les MI puissent influencer en profondeur la façon de penser des étudiants. « Nous ne sommes pas en mesure de créer des entraves dans l'esprit d'un jeune au sein d'une société si ouverte et si pluraliste, déclare-t-il. Les seuls contre lesquels nous pouvons quelque chose sont les mauvais éléments et une poignée de figures politiques ambitieuses qui tentent d'organiser des activités illégales sur les campus ».
Tout en assurant un enseignement militaire, les MI doivent aussi garantir la sécurité sur les campus. Cette tâche comprend la prévention des querelles entre étudiants et de toute autre perturbation, afin que les élèves se sentent à leur aise pour poursuivre leurs études. M. Han pense que le principal avantage du système des MI est que les instructeurs restent toute la journée à leur poste. Ils sont donc particulièrement bien placés pour s'occuper le mieux possible des étudiants, s'entretenir avec eux de leurs problèmes et en faire part le plus rapidement possible au doyen des affaires estudiantines, afin de prévenir ce que M. Han désigne sous l'euphémisme d'« incidents ».
Les MI sont aussi présents dans les lycées. Mao Hui-ling est la doyenne du bureau de l'entraînement militaire du Premier lycée municipal pour filles de Taipei. « Aucun changement évident n'est en vue dans les objectifs des instructeurs militaires, au moins en ce qui concerne les lycées », affirme-t-elle en se fondant sur ses dix-sept années de service. Selon elle, cette situation est peut-être une conséquence de la simplicité de l'environnement dans les lycées et de la préoccupation quasi exclusive des élèves pour leurs études.
Comme Han Mong-ehun, Mlle Mao est partisante du système des MI qui, selon elle, permet aux étudiants de recevoir une éducation militaire et de ne pas être ainsi uniquement versés dans les belles-lettres. « En tant que citoyens modernes, nous devons bénéficier d'un enseignement aussi bien civil que militaire. Ce n'est que lorsque la population dans son ensemble aime et défend sa patrie que celle-ci peut être puissante et prospère ».
Certains étudiants sont d'accord avec Mlle Mao. « Les MI nous donnent des cours sur la défense nationale, les armements et la technologie de pointe telle que les satellites, explique Lai Szu-ping, une élève du lycée Fuhsing de Taipei. C'est instructif et stimulant ». Selon Lai Szu-ping, les cours d'autodéfense se révèlent particulièrement utiles aux étudiantes de nos jours. Mais Lu Po-chung, un élève de l'université catholique Fu Jen, souhaite voir les MI supprimés. « L'école doit rester un environnement purement éducatif et maintenir sa neutralité », dit-il, faisant remarquer que rien n'empêche le ministère de l'Education de se charger de la sécurité sur les campus et de l'assistance aux étudiants. « Ces choses n'ont pas à être obligatoirement gérées par l'armée », estime-t-il. Il ajoute que les cours militaires sont ennuyeux et que les étudiants qui veulent organiser des manifestations et des mouvements de protestation craignent souvent la réaction des MI.
De façon frappante, les appréhensions de Lu Po-chung ont trouvé écho dans un incident qui a fait suite à une récente manifestation à laquelle plusieurs étudiants ont pris part. Un député du PDP (Parti démocrate-progressiste) [le principal parti d'opposition] a produit une lettre qui contenait, selon lui, des instructions du ministère de l'Education aux MI en poste dans les établissements supérieurs, leur enjoignant d'enquêter en profondeur sur l'identité des manifestants. A l'heure actuelle cependant, cette accusation n'a toujours pas été prouvée.
Des manuels scolaires sont en préparation pour correspondre aux nouveaux programmes à tous les niveaux. Certaines révisions sont apportées en faveur des thèmes locaux, tandis que d'autres tentent d'instaurer un équilibre entre les matières littéraires et les matières scientifiques.
Les manuels scolaires et les autres matériaux d'enseignement sont également un sujet épineux, à présent que la loi martiale n'existe plus. Ils ont été critiqués pour leur idéologie obsolète de la « grande Chine » et pour leur contenu factuel dépassé, ainsi que pour leur négligence des questions locales et de la langue taiwanaise, sans même parler de leur mauvaise qualité de livres brochés bon marché imprimés en série.
Par exemple, les manuels standard de géographie continuent à décrire une République de Chine comprenant trente-cinq provinces, un district administratif spécial (l'île de Hainan) et deux territoires (la Mongolie et le Tibet). Mais la lycéenne Lai Szu-ping explique que le problème ne se limite pas à la géographie : ainsi, les livres d'histoire accordent une trop grande importance aux faits sans intérêt et ne fournissent pas d'analyses satisfaisantes. « Dans notre livre d'anglais, continue-t-elle, il y a une section sur les cartes de crédit qui nous explique combien elles sont rares. Pas étonnant que nous nous ennuyions ! ».
Lydia Lai, qui enseigne l'anglais dans ce même lycée, partage cette opinion. « Les manuels sont dépassés et fort éloignés de l'expérience des élèves, reconnaît-elle. Ceux-ci n'ont aucune chance de pouvoir se servir de ce qu'ils apprennent dans leur vie de tous les jours, si bien que, naturellement, ils s'empressent de tout oublier sitôt l'examen terminé ». Mlle Lai n'aime pas non plus le ton moralisateur des livres standard et, en ce qui concerne sa propre matière, trouve qu'une importance insuffisante est accordée à la compréhension écrite et orale. « Les élèves apprennent l'anglais pendant six ans mais ils ne sont toujours pas capables de le comprendre ni de le parler, dit-elle. C'est un gaspillage de personnel, d'équipement, d'argent et de temps ». Lai Szu-ping a eu un aperçu des méthodes modernes d'enseignement des langues par la communication, mais elle a dû abandonner quand ses parents lui ont demandé de se concentrer sur ce que les étudiants ont à apprendre pour réussir aux examens.
Chao Li-yun est la directrice de l'institut national de la Documentation et de la Traduction (NICT), qui est chargé d'éditer, d'imprimer et de déterminer les prix des manuels scolaires. Elle reconnaît que beaucoup de problèmes doivent encore être réglés dans ce domaine mais estime que les difficultés sont de nature plus politique que rédactionnelle. Elle cite notamment la description des frontières géographiques de la République de Chine qui n'a jamais varié depuis 1947. En effet, la constitution adoptée cette année-là stipule que le territoire de la République de Chine selon ses frontières d'alors ne peut être modifié que par une résolution de l'Assemblée nationale, résolution qui n'a jamais été votée. « Une solution fondamentale demande que des aménagements soient apportés dans tous les domaines en cause », conclut Mlle Chao.
Les choses s'améliorent, mais de façon chaotique. De nouveaux programmes scolaires ont été proposés pour le cours élémentaire, le collège et le lycée en 1993, 1994 et 1995 respectivement. Cependant, étant donné qu'il faut trois ans en moyenne pour que de nouveaux matériaux d'enseignement soient édités, ce n'est qu'en 1996 que les élèves de l'école élémentaire ont bénéficié de nouvelles versions. Les collèges les ont reçues en septembre mais les lycées devront attendre les leurs jusqu'en 1999. Ce décalage dans le temps fait qu'en théorie, tous les élèves utilisent les nouveaux manuels, alors que dans la réalité, certains sont obligés de continuer à se servir des anciens.
Six principes ont été définis pour la révision des ouvrages scolaires : ils doivent être associés à la vie de tous les jours, se consacrer à l'environnement local, avoir pour objectif de renforcer les compétences fondamentales, permettre de cultiver les matières littéraires, assurer une éducation civique et établir un équilibre entre les disciplines littéraires et scientifiques. Mais plus fondamentalement, les matériaux d'enseignement ne mettront plus l'accent sur la seule acquisition de connaissances. Les nouvelles priorités seront d'apprendre à observer avec justesse, grâce à la recherche et au débat, et à se servir des conclusions pour penser de manière indépendante.
Dans un effort pour renforcer l'intérêt des élèves et élargir leurs horizons, les nouveaux manuels seront simplifiés, diversifiés et rendus plus attirants. Ils seront aussi mieux illustrés que leurs prédécesseurs. Des matériaux audiovisuels supplémentaires, ainsi que des ordinateurs et d'autres équipements multimédias modernes, vont être introduits dans toutes les disciplines. On prévoit d'insister davantage sur le respect des différentes cultures, langues et religions. Les coutumes et les proverbes de plusieurs groupes ethniques, dont les aborigènes et les Hakka, seront également présentés.
Mais plus encore, les révisions visent à refléter un changement d'attitude significatif envers le processus éducatif dans son ensemble. Les enseignants jouiront d'une plus grande liberté d'action pour concevoir leurs propres méthodes et programmes d'enseignement — reconnaissance tardive du fait qu'en tant que professionnels qualifiés, ils ont aussi des droits —. « La réussite de cette dernière réforme dépend de la capacité des enseignants à tirer le meilleur parti des nouveaux manuels pour répondre aux besoins et au niveau d'intelligence des élèves pris individuellement », estime Mlle Chao. Les professeurs seront soutenus dans cette transition par une formation et des études plus approfondies.
Le dernier mot d'ordre est le « retour aux sources ». Les nouveaux manuels seront étroitement liés à l'actualité et aux mouvements sociaux. Déjà, en septembre, une série de cours regroupés sous le nom « Apprendre à connaître Taiwan » a remplacé les anciens cours d'histoire et de géographie en première année du collège.
Tout ceci demande bien sûr des connaissances considérables de la part des auteurs des nouveaux matériaux. Dans le but de réunir un maximum de compétences, le NICT a choisi des rédacteurs issus d'horizons très divers — pas seulement des experts dans leurs domaines respectifs mais aussi des psychologues pour enfants, des journalistes et d'autres spécialistes sélectionnés par l'intermédiaire d'un système ouvert de recommandation destiné à empêcher toute monopolisation par une minorité de gens —.
« De nombreux tabous vont être éliminés », dit Mlle Chao. Tous les phénomènes dont les élèves prennent conscience dans leur vie quotidienne, les mouvements étudiants, la violence domestique, la prostitution enfantine, le conflits sur la protection de l'environnement et les événements historiques controversés tels que le célèbre « Incident du 28 février 1947 », seront exposés dans les manuels et soumis à des discussions en classe. « La présentation de faits historiques et contemporains avérés, traités avec neutralité et objectivité, permettra aux élèves de mieux s'adapter à l'évolution si rapide de notre société », affirme-t-elle.
Nouvelle initiative audacieuse du ministère de l'Education, l'ouverture du marché local des manuels scolaires aux éditeurs privés se fait progressivement. Pour le moment, seuls les livres du primaire, qui sont sortis l'an dernier, ont bénéficié de l'apport du secteur privé. Selon l'agenda mis au point par le ministère de l'Education, il faudra attendre l'an 2000 pour que ces manuels fassent leur apparition au niveau du collège.
Ce processus lent s'explique en partie par la décision d'accorder un délai d'un an au marché relativement récent des manuels privés de l'enseignement primaire pour se stabiliser, avant que de nouveaux développements n'aient lieu. Au cours de cette année, le NICT a gardé un œil attentif sur la qualité des livres, sur la stabilité de l'offre et sur les prix. Il forme le projet, si la situation demeure satisfaisante dans ces trois domaines, de se retirer, progressivement mais entièrement, du marché des manuels scolaires du cours élémentaire à partir de 1998.
Une autre raison expliquant ce retard est que le ministère de l'Education doit encore nommer un comité qui formulera les lignes directrices des matériaux d'enseignement au niveau du collège. Ce comité devrait être formé cette année.
Mlle Chao espère que les éditeurs prévoyant de s'installer sur les nouveaux marchés se diversifieront et proposeront des matériaux ciblant des domaines d'étude spécifiques ou un certain niveau d'enseignement. Si tel n'est pas le cas, elle craint de les voir se livrer à une concurrence déloyale, se bousculant pour occuper les marchés les plus lucratifs et se servant de la guerre des prix, voire de la corruption, pour augmenter leurs parts respectives de marché. « Notre but est d'exploiter la vitalité du secteur privé pour disposer de matériaux d'enseignement plus complets, explique-t-elle. Bien sûr, le tableau final que nous espérons voir se dessiner est celui d'un champ recouvert de fleurs et non pas d'un champ de bataille ».
L'éducation a certainement parcouru un long chemin à Taiwan depuis l'abrogation de la loi martiale mais il est clair que le processus de réforme est encore en cours. Avec la perspective de nouveaux programmes et de nouveaux manuels venant s'ajouter à un environnement amélioré au sein des établissements supérieurs et des universités, les parents peuvent désormais commencer à envisager avec confiance la carrière scolaire de leurs enfants. Singapour a récemment lancé un programme pilote destiné à aider les tout petits à cultiver les talents créatifs qui leur sont propres et à penser de façon autonome. Les éducateurs de Taiwan seraient bien inspirés d'accorder la priorité à l'adaptation d'un schéma semblable, maintenant que la situation évolue en leur faveur. Comme le faisait remarquer Ralph Waldo Emerson(1), « ce que l'on enseigne à l'école, ce n'est pas l'éducation mais les façons d'éduquer ».
(v.f. : V. Etrillard)
Photos de Huang Chung-hsin
(1) Ecrivain et philosophe américain (1803 - 1882)