09/07/2025

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Le tantrisme et les affaires

01/03/1990
Un fidèle du mitsong revêtu de la cagoule traditionnelle en prière.

Si un commerçant ne gagne pas d'ar­gent, des dévotions à Zambala (Dieu de ) l'aideront; et si un chef d'en­treprise n'est pas apprécié par ses supé­rieurs ou n'a le respect de ses subor­donnés, c'est la générosité et la charité qui le serviront, dit un vieil adage.

Dès que l'on parle de bouddhisme tantrique, de tantrisme ou de mitsong (son nom en chinois), on pense aussitôt à la géomancie, à la roue du dharma (loi, morale), aux anneaux gravés des écri­tures saintes du mantra, aux moudrâ (rites manuels), aux chapelets sculptés en os de crâne de lama, ou encore aux mandala (brocarts religieux) peu compréhensibles des non-fidèles et sur lesquels sont pieusement représentés les bodhisattvas les plus communs, les pro­tecteurs du dharma et les divinités cour­roucées du Vajrayâna (le Véhicule du diamant).

Mais qu'est donc le mitsong? Pour ceux qui n'ont pas encore pénétré ses mystères, c'est quelque peu incompré­hensible. Mais en fait, le mitsong se rap­proche de l'Ecole tch'an (en sanscrit, dhyâna) ou de l'Ecole amidiste (ou de ). C'est l'une des treize écoles orthodoxes du bouddhisme et elle se divise en quatre ordres, le nyingma-pa (le vieil ordre), le kagyu-pa (l'ordre transmis), le saskya-pa (l'ordre de Saskya) et le gelug-pa (l'ordre des vertueux) .

Il partage avec les autres écoles bouddhiques la transcendance de la vie et de la mort et le salut de tous les êtres vivants doués de sensibilité. Les écoles autres que le mitsong ont une doctrine plus vulgarisée qu'on appelle soûtrayâna ou bouddhisme exotérique. Elles se concentrent sur la récitation des soûtras par les fidèles et sur l'enseignement et la pratique des vertus. Mais le mitsong qui signifie littéralement en chinois 1'« Ecole secrète» enseigne bien sûr la récitation des soûtras et la pratique des vertus mais offre aussi les rites tantriques ou secrets du dharma dans ce qu'on ap­pelle le tantriyâna ou bien le bouddhisme ésotérique. Ces pratiques secrètes sont enseignées par un maître du Diamant ( Vajra gourou) pour que chaque fidèle sa­chent en user personnellement par le corps, la parole et l'esprit. Il apprend éga­lement les moudrâ (rites symboliques des mains et des doigts), l'incantation du mantra et la méditation par la visualisation mentale.

Le mitsong a joui d'une période flo­rissante sous la dynastie Tang (618-907), mais il est tombé en décadence peu après en Chine. Il continua longtemps son apogée au Tibet, au Japon et en Corée. Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, après la prise de Chine conti­nentale par les forces communistes, de nombreux maîtres (gourous) tibétains immigrèrent à Taïwan où ils ensei­gnèrent leur foi. De plus, des bouddhas vivants tibétains y sont de temps à autre venus pour présider des assemblées de prières ou tenir des séminaires. Taïwan est ainsi devenu l'un des plus grands centres religieux du mitsong.

Cette école s'est rapidement déve­ loppée ces dernières années à Taïwan. Le Vénérable Tche-min, de l'ordre de nyingma, estime son église de 200 000 à 300 000 fidèles parmi lesquels sont des avocats, des médecins, des fonction­ naires, des universitaires, et surtout des hommes d'affaires. Les lieux de culte sont toujours encombrés lors des assem­blées de prières ou des séminaires.

Une assemblée de prière devant le maître-autel bouddhique.

L'attrait du mitsong s'est principale­ment exercé dans le milieu des affaires. On l'explique assez simplement, dit M. Cheng Yung-chien, président d'une société de transports et disciple du Véné­rable Tche-min depuis cinq ans. Les hommes d'affaires, essentiellement des gens pragmatiques, ne parlent que du meilleur profit qu'ils pourraient tirer. Le mitsong se définit comme un contenu en soi et reconnaît en toute chose une uti­lité, un besoin. Il peut donc aisément sa­tisfaire beaucoup de gens de ce monde. De plus, les bouddhas et les bodhisattvas du mitsong, par leur austérité absolue et leur sortilège quasi tout puissants, of­frent un refuge aux entrepreneurs dé­ primés et accablés par la terrible compétition commerciale.

Les « voies» qu'offrent le mitsong sont des accès les plus divers. Elles aident ou servent les pratiquants à réali­ser leurs souhaits. On les classe générale­ment en quatre catégories : écarter les préjudices, augmenter les bénéfices, dis­tribuer la charité et vaincre les ennemis. Et on en compte 84 000 qui permet­ traient aux fidèles d'échapper aux mi­sères et douleurs de la vie et de la mort, de faire appel à toutes les divinités et per­sonnages saints pour trouver une aide et, éventuellement, de réaliser des souhaits.

Par exemple, la « voie» pour aug­menter les bénéfices sur laquelle règne le dieu Zambala (de ), le plus vénéré du milieu des affaires, se divise en cinq: la jaune, la rouge, la blanche, la verte et la noire. Chacune d'elle qui pos­sède un élément particulier avec des exercices attitrés et où préside une divi­nité propre permet aux fidèles de choisir celle qui leur convient le mieux.

Comme le mitsong offre tant de com­modités, beaucoup de gens viennent s'y réfugier et prier ce qu'ils désirent. Il est bien normal que de nombreuses gens repartent bredouilles sans avoir rien obtenu de ce qu'ils auraient voulu ou souhaité. Il y a également ceux qui aban­donnent les pratiques cultuelles dès qu'ils ont accompli leurs souhaits ou qui carrément blasphèment quand ils ont échoué. « Mais ceci importe peu, dit le Vé­ nérable Houeï-houa, car, dans le boud­dhisme, les voies vers la transcendance sont nombreuses et larges. Mieux vaut qu'on sache les suivre que les détourner. »

La génuflexion est un acte humilité envers le Bouddha.

Le mitsong possède encore un autre attrait qui répond aux besoins des hommes d'affaires. Il n'est pas indispen­sable de renoncer au monde et d'entrer dans les ordres en se faisant bonze ou bonzesse pour parvenir au nirvâna. Les rites peuvent se pratiquer n'importe où et n'importe quand. Il est même toléré de manger de la viande, de boire de l'al­cool et même de dire de pieux men­songes, pourvu qu'on en fasse amende honorable. Ce dernier attrait est très im­portant pour les négociants et hommes d'affaires qui ne peuvent guère éviter de déformer toute la vérité lors de négociations.

Bien entendu, ces petits égarements sont fondamentalement des péchés. Aussi les fidèles sont-ils instamment priés de participer aux assemblées de prière tenue tous les mois pour les confessions afin de pouvoir tout de même parvenir un jour à la paix inté­rieure du Bouddha.

L'efficacité et le pragmatisme sont les deux principes les plus recherchés dans une entreprise commerciale. Et le mitsong autorise des retraites séquen­tielles pour parachever les « voies ». C'est plus facile que dans l'Ecole de qui exige l'incantation et la récitation des noms des bouddhas et bodhisattvas ou que dans l'Ecole tch 'an qui réclame une prise de cons­cience soudaine.

De plus, le mitsong aide les prati­quants à faire des progrès lentement mais sûrement vers l'illumination. M. Chen Shen-han, un comptable qui prit refuge auprès du Vénérable Tche­min il y a neuf ans, fait une recomman­ dation. Au départ il est préférable d'as­sister aux différents séminaires présidés par les gourous. Si la vocation vient, on peut alors réfléchir à une conversion. Le bouddhisme exotérique met l'accent sur le refuge dans les Trois Joyaux - le Bouddha, le dharma et (sainte communauté du clergé bouddhiste) - alors que le mitsong insiste à son tour sur la protection d'un gourou qu'il place en, premier chef. Dans le choix d'un gourou il faut s'assurer qu'il se consacre vrai­ment aux principes du dharma, à la tran­scendance de la vie et la mort et au salut des âmes. Les « gourous» qui préfèrent la pratique de la géomancie et de la vati­cination doivent être cependant tenus à l'écart.

Devant l'autel des huit présents (eau, fleurs, encens, cierge, fruit, etc.), une fidèle tantriste communique.

Une fois le gourou choisi, il y a les devoirs intérieurs. D'abord l'étude du dharma, du gourou yoga (exercices du maître), ensuite le récitation et l'in­cantation au moins cent mille fois des « Quatre Vœux de salut» jusqu'à ce qu'ils deviennent intrinsèques à la per­sonne. Il y a bien sûr les prédications du gourou auxquelles les néophytes sont moralement tenus d'assister.

En principe, toutes les « voies du dharma » sont égales et mènent toutes à la même destination. Il suffit d'en suivre une en toute sincérité et fidélité sous l'autorité du gourou, du dharma et du Bouddha. Se rendant compte de la diffé­renciation de compréhension et d'assimi­lation de leurs disciples, les gourous leur enseignent également d'autres voies de secours afin qu'ils puissent en choisir une s'ils échouaient à la première.

Bien qu'il y ait diverses méthodes pour franchir le seuil dans le mitsong, la pratique authentique y est plus difficile que dans les autres sectes. Ceci explique pourquoi le nombre de pratiquants reste faible. « La lecture et la récitation des soûtras sont faciles; ce qui est difficile est la concentration et la méditation en même temps que la récitation, dit M. Chang Ching-chow. Cependant le dharma très complexe du mitsong exige une concentra­tion plus forte dans la méditation, sinon il n y a pas moyen de s'élever. »

La pratique dans le mitsong requiert le concours de trois éléments: le corps, la parole et l'esprit. Les positions ri­tuelles symboliques des mains et des doigts, composant les moudrô, sont un outil de communication entre l'homme et le Bouddha. Chacun des dix doigts a une signification complexe et particu­ lière. Le pouce de la main droite, par exemple, représente non seulement le vide mais aussi le tch'an, la sagesse, la roue de la loi (dharma), l'intelligence et la conscience, tandis que le majeur, l'eau et le précepte, les efforts, la hauteur, l'horizon, l'obtention. En bref, les moudrô sont une sorte d'offrande au Bouddha. Ils exorcisent les esprits né­fastes, impénétrables aux non-fidèles. La parole communicative avec le Bouddha ou les bodhisattvas est principa­lement la récitation du mantra où sont exprimés les termes sages et révélateurs lors de leur plus profonde méditation.

Mais le plus important est certaine­ ment la visualisation pendant la médita­ tion. M. Chang Ching-chow prend un exemple. Les incantations pour Candi (une incarnation du boddhisattva A valo­kiteçvara ou Kouan-yin) qui a trois yeux et dix-huit bras. Pendant la méditation, il ne faut pas seulement visualiser son visage ou son image, mais également ses gestes et les objets tenus dans chacune de ses mains. Par la suite, il faudra repla­cer la divinité dans le contexte du pan­théon bouddhique et connaître ce que les boddhisattvas lui dédiaient, y compris les halos de couleurs et les auras de bienveillance qui sont en son pouvoir.

La visualisation interne est comme un film dont les images se déroulent vi­vement dans le vide. Au fur et à mesure, la visualisation s'intensifie, dit M. Chang Ming-wei, un fidèle tantriste depuis plus de vingt ans. Finalement, la vision re­viendra aussi naturellement le jour où l'on rendre l'âme, lui ouvrant une « voie » tandis qu'elle quitte le corps pour accéder au royaume du Bouddha (en sanscrit, 8ouddhaksetra). C'est juste­ment ce secret qu'offre le mitsong pour atteindre l'illumination ou l'état de bouddha au bout d'une vie. De toute façon, la pratique n'est pas aussi facile qu'on l'imagine. En effet, il faut que la visualisation pendant la méditation s'ob­serve en même temps que moudrô et la récitation du mantra. Enfin, il faut sur­ tout une forte concentration, une clarté d'esprit, beaucoup de patience, de déter­ mination et de persévérance. Pour ceux qui ne réussissent pas à oublier leurs pro­blèmes matériels de demain, la pratique du mitsongest quelque peu illusoire. Elle ne pourra certainement pas les aider à faire des progrès dans une vie qui flottent au-dessus des « voies ». Alors, certains disciples s'en sont-ils allés après une pé­riode courte de pratique.

En fait, le mitsong est d'un grand soutien moral, même si l'on ne reçoit pas de réponses directes ou immédiates du Bouddha ou des bodhisattvas im­plorés. Ceux qui parviennent à la concen­tration méditative par une pratique conti­nue éprouvent un état d'âme paisible et serein, dit M. Lai Sing-te, responsable d'une entreprise commerciale et disciple du Vénérable Pou-fang depuis dix ans.

Quant aux gestes salvateurs, toutes les écoles bouddhiques les pratiquent. En général, c'est l'appel au salut des âmes par les quatre principaux pré­ceptes : la distribution de l'aumône et l'obéissance au dharma, les pratiques al­truistes traitant autrui avec chaleur et gé­nérosité, la compréhension mutuelle avec autrui et la sympathie reconnaissant « l'égalité de tous les êtres» dans ce bas monde. Les fidèles bouddhistes recon­naissent bien tous ces préceptes, mais ils doivent également faire régulièrement des exercices et réfléchir introspective­ment. Ils les appliqueront assurément avec facilité dans la vie quotidienne et au travail. Ils se conforment à la règle géné­rale de « se conduire en fonction du tem­pérament de l'homme ».















Un sceptre aux formes du Vajra, la baguette (tougou) et un petit tambour sont des accessoires rituels du mitsong.


M. Cheng Yung-chien évoque une période pénible qu'il a traversée. Peu après la fondation de son entreprise, il connut beaucoup de problèmes de ges­tion et de communication avec son per­sonnel, peut-être à cause de son manque d'expérience. Lorsqu'il faisait un geste de rapprochement envers lui, il en rece­vait toujours un accueil froid. Sa bonté, prise pour de la flatterie, était toujours mal acceptée et mal comprise. Quoi qu'il en soit, il avait beaucoup de difficultés à avoir de la considération. Un jour, l'en­treprise dans une mauvaise passe fit face à une éventuelle faillite. C'est alors qu'il chercha refuge dans le mitsongqui préco­nisait « l'égalité de tous les êtres ». Au début, ce lui fut bien surprenant de trai­ter ses employés comme des partenaires ou des homologues. Mais peu à peu, s'installa un respect mutuel dans l'entre­prise tandis que l'affirmation de ses ef­forts lui remontaient le moral. Puis la so­ciété retrouva de nouvelles perspectives et put faire face à toutes ses échéances au point même d'en acquérir de grands bé­néfices. Depuis, l'indifférence entre la vie et la mort pour parvenir à la liberté sublime et absolue et acquérir l'illumina­tion s'est installée dans son âme. Elle est même devenue la règle la plus impor­tante et le but ultime de sa philosophie. Les profits de son exploitation ne sont plus le fondement de sa pratique ésotérique.

A la maladroite question: « L'avène­ment au statut de bouddha (en sanscrit, bouddhaphala) a-t-il vraiment du charme pour les jeunes entrepreneurs qui ont du succès? », M. Cheng Yung-chien répond invariablement que celui qui connaît bien les valeurs de l'argent ne procla­mera jamais qu'il ne veut que des sous et le succès.

Le succès et la fortune ne sont que deux fruits du dharma selon le mitsong. L'essentiel et le plus important qui méri­tent toute notre appréciation sont dans leur contenu. ■

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