13/06/2025

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

Le soja, une histoire de passion

01/03/2006
(AIMABLE CREDIT DE MOTHER NATURE CO., LTD.)

>> Malgré ses 2 000 ans d’histoire, le soja n’en finit pas de se réinventer

Difficile d’imaginer la cuisine traditionnelle chinoise sans tofu, sauce de soja, lait de soja, substitut de viande à base de pâte de soja... Il s’agit cependant d’un aliment en pleine mutation. Les habitudes alimentaires évoluent, l’industrie agroalimentaire aussi.

En Occident, le soja n’a acquis ses lettres de noblesse que très récemment, notamment grâce aux végétariens qui le consomment sous forme de tofu ou de lait pour combler les carences en protéines dues à leur régime. La Chine, elle, a plus de 2 000 ans d’expérience de la transformation du soja en toutes sortes d’aliments, des boissons aux condiments, un savoir-faire qui a traversé le détroit de Taiwan.

De nombreuses légendes évoquent le développement des produits à base de soja. Bien que personne ne soit en mesure de le certifier, le tofu aurait été inventé sous la dynastie Han (206 av J.-C. 220 ap. J.- C.) par Liu An [劉安] dans la province chinoise d’Anhui, où un festival annuel lui y est consacré.

Malgré la place importante du soja dans la gastronomie insulaire, sa culture a aujourd’hui pratiquement disparu ici. Anthony Thang [呂紹聯], directeur à Taiwan de l’Association du soja américain (ASA), indique que l’île n’en produit plus que 2 000 à 3 000 t par an, tandis que 1,5 millions de t ont été importées des Etats-Unis d’août 2004 à août 2005, selon les statistiques du commerce extérieur américain. En fait, Taiwan est le 5e débouché pour le soja américain derrière la Chine, le Mexique, le Japon et l’Allemagne. L’île importe également du soja du Brésil et, dans une moindre mesure, de l’Argentine.

Anthony Thang estime que le recul de la culture de cette plante à Taiwan sur les 40 dernières années est lié à la nature même de la récolte. Les surfaces cultivées ayant été réduites d’une façon générale, pour des raisons économiques et de rendement, les productions doivent très rentables, ce qui n’est pas le cas du soja.

Les Etats-Unis sont, quant à eux, à la pointe des nouveaux procédés agricoles et ont développé de nouvelles variétés qui permettent aussi bien aux producteurs qu’aux consommateurs d’y trouver leur compte.

A Taiwan, le commerce du soja a connu sa plus forte croissance à la fin des années 80 et au début des années 90. Cela ne signifie pas pour autant que les Taiwanais, en s’enrichissant, ont mangé plus de soja - il est loin d’être considéré comme un produit de luxe. De fait, les Taiwanais consomment de plus en plus de viande, en particulier de porc et de volaille. C’est donc en tant qu’aliment pour le bétail que sa consommation a le plus augmenté. Un pic a été atteint en 1997, mais l’épidémie de fièvre aphteuse qui a ensuite décimé l’industrie porcine a eu pour conséquence une chute de 35% des commandes.

Si l’on a toujours pas retrouvé à ce jour le niveau de 1997, la consommation humaine augmente, elle, d’environ 5% par an. Actuellement, seuls 15% du soja importé sont destinés à l’industrie alimentaire, principalement pour la fabrication du tofu, du lait de soja et de la sauce de soja. Les 75% restants sont transformés en huile de soja ou utilisés en aliment pour le bétail.

Si on consomme plus de soja, c’est parce que l’aliment est réputé sain. De nombreuses études ont effectivement mis en évidence son action bénéfique dans la prévention de l’ostéoporose, de problèmes liés à la ménopause, du cancer et des maladies coronariennes.

Puisque l’on touche au domaine de la santé, on ne peut cependant pas ignorer le fait que 90% du soja américain sont issus de la culture d’organismes génétiquement modifiés (OGM). Et c’est tout particulièrement dans ce secteur agricole que la biotechnologie a le plus d’influence, puisqu’elle permet d’optimiser les rendements.

La tendance a commencé dans le milieu des années 90, quand le fabricant américain d’engrais Monsato a développé le soja génétiquement modifié Roundup Ready, résistant à son herbicide Roundup, ce qui a incité les agriculteurs à appliquer celui-ci plus généreusement.

Aux Etats-Unis, il n’y a que peu d’opposition aux cultures OGM. Les Européens sont, eux, beaucoup plus réticents, et de nombreux pays ailleurs dans le monde se montrent également prudents. A Taiwan, les médias ont joué un rôle très influent dans la perception des consommateurs, et ce, rarement au bénéfice des producteurs de soja américains. Cependant, même si les sondages montrent qu’ils se sentent concernés par le problème, les Taiwanais ne sont pas prêts à payer plus pour des produits sans OGM.

Selon la législation taiwanaise, les importateurs de soja génétiquement modifié doivent remplir une déclaration avant de prendre possession de leur marchandise, et les produits doivent être étiquetés comme tels si leur teneur en OGM est supérieure à 5%. Ce seuil officiel de tolérance est similaire à celui en vigueur au Japon, mais inférieur à celui qui prévaut en Corée du Sud (3%) ou dans l’Union européenne (1%). Les produits tels que l’huile ou la sauce de soja sont exempts de cette mention.

Anthony Thang explique que l’impact de la réglementation concernant l’étiquetage, introduite progressivement depuis quelques années, est négligeable, la raison étant que 80% du tofu, l’une des principales préparations à base de soja, est consommé dans les restaurants ou est vendu en vrac sur les marchés traditionnels, sans son emballage d’origine.

Il n’en est cependant pas de même pour le lait de soja. Les fabricants ont commencé à utiliser du soja non transgénique à la suite de l’entrée en vigueur de la loi sur l’étiquetage, ce qu’ils ont pu se permettre puisque la marge de profit lors de la vente de lait de soja est bien supérieure à celle du tofu.

La recherche de la qualité se poursuit. Jusqu’à il y a quinze ans, le soja était traité comme un produit vendu en vrac alors qu’il provenait de différentes exploitations et même de divers Etats américains. En réponse notamment aux exigences japonaises, les producteurs américains ont mis au point un « label de qualité » - sans OGM ou conservateur - issu de l’agriculture biologique, avec une traçabilité permettant de remonter jusqu’à la ferme de production. Ce soja d’origine contrôlée a une teneur en protéines particulièrement élevée, ce qui facilite la fabrication du tofu. La demande pour ce genre de produits bio augmente ici annuellement de 5%.

Le Japon est à l’origine d’une autre spécialité apparue sur le marché taiwanais récemment : le natto . Issu de la fermentation de graines de soja, le natto a une consistance comparable à celle du fromage et une odeur âcre qui peut répugner au premier abord. C’est toutefois un aliment apprécié pour son action bénéfique sur la digestion. Depuis des siècles, la formule est utilisée dans certaines régions du Japon où on le mange en garniture du riz au petit déjeuner.

Carol Lee Wang [李秀蘭], une autre responsable de l’ASA à Taiwan, explique que quatre ou cinq producteurs taiwanais de natto mènent actuellement des recherches, afin de rendre son odeur agréable ou, en tout cas, moins forte, mais le natto ne représente qu’une petite niche sur le marché.

Hors industrie alimentaire, l’huile de soja entre dans la fabrication d’encres écologiques, en remplacement des substances dérivées du pétrole généralement utilisées pour les résines et pigments. L’encre à base de soja a de nombreux avantages, surtout dans l’impression en couleurs, et son prix est relativement stable. Anthony Thang nous confie que son organisation reçoit au moins une nouvelle demande par semaine d’imprimeurs souhaitant obtenir le label « Soy Ink Seal » , un logo certifiant une impression avec de l’encre écologique à base de soja.

Dans un futur proche, il existe une menace sérieuse pour les importateurs : une apparition du virus H5N1 de la grippe aviaire parmi les élevages de volaille de l’île est un ris que réel mais difficile à évaluer. Dans ce cas, beaucoup de gens pourraient certes consommer plus de tofu en remplacement de la viande de poulet, mais il faut toutefois savoir que l’industrie de la volaille elle-même est le premier acheteur de soja en tant qu’aliment pour les animaux, après l’élevage porcin. L’ASA travaille donc avec un certain nombre d’organismes à la mise en place de dispositifs de prévention et de gestion des risques sanitaires et économique.

Sur une note plus pessimiste et à plus long terme, tous les effets néfastes secondaires de l’accroissement de la demande mondiale en soja n’ont pas encore été complètement analysés. On connaît déjà le problème de l’intense déboisement sauvage en Amazonie, souvent pour créer des surfaces d’élevage de bovins destinés à l’industrie de la restauration rapide. Or, aujourd’hui, il s’avère qu’on défriche pour étendre la culture du soja et mieux répondre aux commandes de plus en plus importantes que passe la Chine auprès des producteurs brésiliens.

Si l’on ajoute à tout cela les problèmes d’éthique et les conséquences de l’utilisation d’organismes génétiquement modifiés, que ce soit l’impact sur l’environnement ou sur la santé, se pose alors la question des bénéfices réels du soja pour le consommateur. ■

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