04/07/2025

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

Passerelles rocks

01/09/1997
La musique pop fait son chemin à travers le détroit de Taïwan malgré une bureaucratie tatillonne et aujourd’hui, la culture jeune donne aux autorités du continent chinois des maux de tête qui n’ont rien à voir avec la cacophonie des instruments de musique.

«Un célèbre chanteur de Taïwan disparaît !» proclamait à sa une l’hebdomadaire de Pékin Yinyue Shenghuo (Vie musicale) le 2 mai 1997. Selon l’article, la rumeur affirmait que Jeff Chang (Chang Hsin-che) avait trouvé la mort dans un accident de voiture. La nouvelle a semé un vent de panique parmi les fans du chanteur sur le continent chinois. Les appels ont envahi le standard téléphonique de la publication, demandant des détails sur le décès de Chang Hsin-che. A l’immense soulagement du public, il a finalement été annoncé qu’aucun accident de voiture n’avait eu lieu et que la vedette était en parfaite santé. En fait, au moment où la rumeur est née, elle était en train de donner un grand concert à Taïpei. Les bruits qui couraient sur sa mort n’étaient que des spéculations sans fondement — à peu près aussi fiables que les fréquentes «annonces», par la presse internationale, de la mort de Deng Xiaoping, longtemps avant qu’il ne décède pour de bon —.

Ceci en dit long sur le succès de la musique pop taïwanaise sur le continent, où le classement hebdomadaire du Top Ten ressemble de plus en plus à celui de Taïpei. C’est particulièrement vrai dans les provinces du sud-est, où les contacts entre la population locale et les chanteurs taïwanais en tournée sont fréquents. Jeff Chang a figuré à plusieurs reprises en tête des hit-parades à Guangzhou et à Shanghai.

Mais l’engouement ne s’arrête pas là. Promenez-vous le long d’une rue de Shanghai et la chanson en taïwanais «Une nuit triste et froide à Taïpei» s’échappe d’un bar proche. Autre rue, autre bar : la voix du chanteur Angus Tung An-ke, de Taïwan, s’élève, interprétant «Perdu sur la rue Chunghsiao Est de Taïpei». Le visiteur légèrement désorienté hèle un taxi, soulagé d’être de retour dans la réalité, pour s’apercevoir que le chauffeur fredonne une chanson taïwanaise à la mode.

Le nom du chauffeur est Qi Jianlin. Il sait qu’il y a à Taïwan une montagne qui s’appelle Alishan parce qu’il a entendu la chanson «La haute montagne verdoyante». Il sait aussi, pour avoir écouté «Sérénade sur l’Ile verte», que c’est là-bas que sont incarcérés les plus dangereux gangsters de Taïwan. Il a même appris un peu de taïwanais en écoutant les airs à la mode composés de l’autre côté du Détroit. Toutes ses connaissances sur Taïwan, qu’il n’a jamais visitée, viennent des cassettes et des CD de musique pop.

Qi Jianlin montre des symptômes de cette affection contagieuse qu’est la fièvre de Taïwan mais son cas n’est pas le plus sérieux — certains patients présentent des températures record —. Les groupies du continent sont parfois impressionnantes. «Une cassette coûte environ dix renminbi (1,20 USD), et pour des salaires comme les nôtres, ce n’est pas donné, explique M. Qi. Les billets d’entrée aux concerts sont chers. Certains volent, d’autres vendent leur sang pour en acheter. Beaucoup de fans sont des enfants uniques [nés à l’époque où le gouvernement a commencé à ralentir la croissance de la population en limitant le nombre des naissances à une seule par famille] et ce sont vraiment des mômes gâtés. Il y a quelques mois, il y a eu le cas d’une fille complètement folle qui voulait parler à Chyi Chin [une vedette de Taïwan]. Elle a appelé sa maison de disques à Taïwan tellement souvent que la facture de téléphone s’est montée à 150 000 renminbi (18 290 USD). Son père a dû vendre leur maison pour pouvoir la payer».

Ces extrêmes mis à part, il demeure cependant dans tout cela un côté émotionnel qui ne s’est jamais aussi clairement exprimé que lors de la disparition de la légendaire chanteuse taïwanaise Teresa Teng (Teng Li-chun) en mai 1995, alors qu’elle prenait des vacances en Thaïlande. La chaîne de Télévision centrale n’a divulgué l’information que trois jours plus tard, dans une annonce nationale. Mais les journaux et les autres chaînes de télévision du continent n’avaient pas attendu pour publier des reportages non confirmés sur la mort de la star, citant des sources de Taïwan et de Hongkong. Les magasins de disques du continent ont frénétiquement ressorti tout ce qu’ils avaient en stock sur Teng Li-chun — cassettes et CD, versions originales ou piratées — pour en remplir leurs gondoles au fur et à mesure que les clients s’en emparaient. Lors des émissions en direct, les standards téléphoniques des stations de radio étaient pris d’assaut par des fans qui ne cessaient de redemander des diffusions de chansons de Teng Li-chun. Teresa Teng a peut-être été l’enfant chérie de Taïwan mais pendant des jours et des jours, des gens sur le continent ont réécouté sa douce voix tant aimée, et ils ont pleuré.

Cela fait maintenant deux ans que Teng Li-chun a disparu mais Qi Huibin, maître de conférences à l’université des Sciences et de la Technologie de Pékin, n’est toujours pas parvenu à s’habituer à la perte immense que représente pour lui la disparition de la chanteuse. La voix de Teresa Teng est entrée dans sa vie au début des années 80. C’est à cette époque que le continent chinois a interdit toute musique pop venant de Taïwan, la considérant comme une production capitaliste risquant d’empoisonner jusqu’aux tempéraments communistes les mieux trempés. Mais la nature humaine est ainsi faite que cette interdiction a eu pour seul effet de renforcer la détermination des gens à se procurer de la musique pop taïwanaise par tous les moyens. Qi Huibin a été chanceux. «Mon cousin travaillait pour les douanes, dit-il. Leur travail consistait à confisquer les cassettes introduites en fraude de Taïwan et de Hongkong. Mais ils en gardaient souvent certaines pour eux-mêmes et les écoutaient en cachette. Je les empruntais à mon cousin et j’en faisais des copies».

Pour Qi Huibin, et pour de nombreuses autres personnes comme lui, c’était un ballon d’oxygène particulièrement bienvenu. «Après dix ans de Révolution culturelle, explique-t-il, la censure avait engendré une série de chansons patriotiques stéréotypées. La façon dont elles étaient interprétées les faisait ressembler à des airs d’opéras classiques et nos chanteuses avaient l’air de sopranos. C’était tellement artificiel ! La voix douce et naturelle de Teng Li-chun était comme une ondée dans le désert. Les paroles de ses chansons, où il n’était pas question de dogmes, allaient droit au cœur. Elle nous a conquis si rapide-ment ! Elle a conquis le cœur de chacun».

Qi Huibin sourit en se remémorant une boutade qu’on entendait souvent à l’époque : vous écoutiez le «vieux Teng» (Deng Xiaoping) durant la journée et la «jeune Teng» (Teng Li-chun) pendant la nuit. Il n’a pas fallu longtemps pour que les chanteuses du continent se mettent à imiter l’enfant chérie de Taïwan, malgré la désapprobation des autorités. L’une de ces imitatrices, Cheng Lin, a bientôt acquis une telle célébrité qu’elle a gagné le surnom de «petite Teresa».

Au milieu des années 80, les autorités du continent chinois ont fait preuve de davantage de flexibilité envers la musique pop taïwanaise. La décision a été prise en haut lieu d’en autoriser la diffusion, à la condition qu’elle ne viole pas les «principes communistes». La nouvelle politique encourageait les compositions «saines et utiles». On a estimé qu’«Enfance», du Taïwanais Lo Ta-you, n’était rien d’autre qu’une simple chanson ; à présent, elle figure même dans des manuels de musique disposant de l’imprimatur des autorités. Plus récemment, la composition de Cheng Chih-hua, «Soleil de l’Est», s’est également vue répondre aux critères officiels. Elle a été jugée à ce point orthodoxe que si Pékin avait été sélectionnée pour accueillir les Jeux olympiques en l’an 2000, elle en aurait constitué le principal thème musical !


Passerelles rocks

Chief Chao a conquis le public du continent avec une chanson intitulée «Je suis laid mais je suis tendre». Sa maison de disques, Rock Records, dispose maintenant d’un bureau à Pékin.

Un nouvel assouplissement des règlements a permis aux fans du continent de voir leurs idoles en chair et en os. En 1987, la star taïwanaise Fei Hsiang est apparue dans un programme diffusé à la Télévision centrale avant de partir en tournée, donnant cinquante concerts dans dix grandes villes du continent et faisant à chaque fois sensation. Depuis, un nombre de plus en plus important de vedettes sont venues se produire devant leurs fans du continent.

Le revers de la médaille est que le pouvoir de légaliser implique néces-sairement celui de réglementer. A l’heure actuelle, toute la musique pop venant de Taïwan doit être écoutée par le ministère de la Culture avant d’être distribuée sur le marché du continent. Yin Zhiliang est le directeur du bureau des Affaires culturelles de Hongkong, Macao et Taïwan au sein du ministère. «La musique pop a vraiment marqué le début des autres formes d’échanges, dit-il. C’est une tendance irréversible. Mais en tant que pays socialiste, nous devons aussi en considérer les effets sociaux. La production cultu-relle est différente de la production économique ou industrielle en ce sens qu’elle a un impact idéologique. La musique pop exerce une grande influence, si bien qu’il faut la censurer. Même à Taïwan, elle est encore contrôlée par l’office d’Information du gouvernement. [Cette affirmation est correcte en théorie, bien que peu de restrictions soient imposées depuis la levée de la loi martiale.] Ici, la pornographie est interdite. Les messages politiques très marqués qui menacent la stabilité sociale ne sont pas autorisés. Les importations doivent être sans danger. C’est le principe fondamental».

Que se passe-t-il quand une composition taïwanaise ne répond pas aux critères du ministère de la Culture ? «Parfois, une chanson doit être retirée de l’album, explique Yin Zhiliang. Ou bien certaines paroles doivent être modifiées». Un exemple intéressant est celui d’«Une gloire tachée de sang». Telle qu’elle était interprétée à Taïwan et à Hongkong, cette chanson était clairement destinée à commémorer l’incident de Tiananmen. Mais quand elle a été diffusée sur le continent, ses paroles avaient changé. La phrase «pour le peuple» était devenue «pour la république populaire», et plusieurs autres modifications avaient été apportées, à tel point qu’«Une gloire tachée de sang» s’était finalement transformée en une composition rendant hommage aux martyrs qui ont laissé leur vie dans la guerre sino-vietnamienne.

Même quand une chanson parvient à se frayer un chemin jusqu’au marché du continent, il n’est pas garanti qu’elle devienne accessible à tout le monde. Elle peut ainsi être commercialisée à un prix que les continentaux trouveront trop élevé. Et au moins une animatrice radio de Shanghai est au fait de la nécessité de l’autocensure. «Je sais que je choisis les chansons les moins controversées et les moins sensibles, reconnaît-elle. En général, le rock’n’roll n’est pas très recommandé, parce que la plupart du temps, il critique la société ou la dépeint sous un jour négatif. Je fais très attention à ce que je dis quand je présente une chanson de Taïwan ou de Hongkong. Par exemple, je ne dois pas décrire comme un pays ce qui n’est officiellement qu’une région de la Chine. Il faut aussi que je fasse attention à la façon dont je m’exprime : j’ai peur que l’écoute de la musique pop taïwanaise et plusieurs voyages à Hongkong n’aient donné à mon mandarin un petit accent étranger». Pas étonnant que cette animatrice ne souhaite pas voir son nom divulgué dans le présent article.

Tous les matériaux importés publiés sur le continent deviennent le monopole de la Société nationale chinoise pour l’importation et l’exportation de publications, une compagnie d’Etat. Tang Jianmin est le directeur du département de l’Audiovisuel. Pour lui, la paperasserie commence dès qu’il aperçoit l’emballage. «Quand nous importons des produits de Taïwan, il y a toujours des marques ou des sceaux du gouvernement, dit-il. La première chose à faire est de les enlever».

Malgré la popularité actuelle des chansons taïwanaises sur le continent chinois, Tang Jianmin prévoit des temps difficiles pour les studios de l’île désirant se tailler une part de l’immense marché du continent. Ces problèmes ne sont liés que dans une faible mesure aux questions politiques. Le principal obstacle est la concurrence des autres pays. «Les Big Five [les grands noms du métier] sont tous présents à Hongkong, déclare Tang Jianmin. Soit ils signent des contrats avec les compagnies là-bas, soit ils les achètent. Ils se chargent de la production et de la promotion. Du fait des réglementations du gouvernement de Taïpei, les producteurs de Taïwan doivent traiter avec nous par l’intermédiaire d’un territoire tiers. Ce n’est tout simplement pas rentable pour eux. En ce moment, le commerce avec Taïwan ne constitue qu’une petite partie de notre travail. Les gens ici veulent se faire un nom sur la scène mondiale parce qu’ils pensent que c’est synonyme de meilleure qualité».

Le commerce a peut-être connu des hauts et des bas mais les contacts à la base, eux, ont prospéré et pour les autorités, ils sont beaucoup plus difficiles à maîtriser. A partir de 1987, année qui a marqué le début de la réduction progressive des obstacles, les habitants de Taïwan ont commencé à rendre visite à leurs parents sur le continent, apportant avec eux des enregistrements de chanteurs taïwanais. Les hommes d’affaires de l’île sont venus aussi, à la recherche d’opportunités commerciales, et bon nombre d’entre eux ont construit des usines. Tous ces visiteurs voulaient des loisirs, si bien qu’ils ont souvent apporté les leurs, sous la forme de ces KTV [clubs de karaokés vidéos] omniprésents, où les clients chantent sur un accompagnement de musique enregistrée. L’arrivée de la télévision câblée a permis au public du continent de voir les programmes de Taïwan. Channel [V], une chaîne de musique pop dont les animateurs sont des jeunes branchés hip-hop, font connaître les modes de Taïwan, de Hongkong et des autres régions du monde aux ados du continent chinois. Les autorités ont découvert, à leur grand dam, qu’elles ne peuvent pas grand-chose contre cela.

Le résultat, c’est que la musique pop de Taïwan a désormais une énorme influence sur la culture jeune du continent chinois. Ainsi, les membres du groupe Ling Dian (Point Zéro), qui s’est récemment hissé à la première place du Top Ten à Pékin, ont grandi à l’écoute des succès taïwanais. «Nous aimions Teresa Teng, Julie Sue [Su Rui], Lo Ta-you et Jonathan Lee [Li Tsung-sheng], pour n’en citer que quelques-uns, dit le bassiste Wang Xiaodong. Nos sources étaient les vieux vinyles piratés, les cassettes autorisées, les CD importés, les clips, les KTV et Channel [V]».

Le résultat de cette tendance, c’est que les groupes de rock’n’roll faisant preuve d’une attitude défiante ou cri-tique peuvent s’attendre à faire l’objet d’un intérêt tout particulier de la part de certaines administrations du continent. Le contrôle sur les groupes de musique pop s’est considérablement renforcé en 1989, après l’incident de la place Tiananmen. Le fait que les manifestants étudiants aient interprété des chansons telles que «Les descendants du dragon», écrite par le Taïwanais Hou Te-chien, n’a pas contribué à atténuer le lien établi entre musique populaire et pollution idéologique.

Le groupe Ling Dian a la chance de jouir de relations relativement bonnes avec l’administration. «Nous avons l’impression que les émotions humaines, et tout particulièrement l’amour, sont un sujet inépuisable, déclare Wang Xiaodong. C’est la raison pour laquelle nous ne touchons à rien d’autre, et certainement pas à la poli-tique». Mais même de la sorte, les membres du groupe continuent de se plaindre de ne pas pouvoir apparaître à la Télévision centrale, à moins de porter des chapeaux. «Nos cheveux longs et nos crânes rasés sont inappropriés sur une chaîne nationale», explique Wang avec une ironie désabusée.

Les Panthères noires (Hei Bao) n’ont pas eu autant de chance. Confronté aux restrictions imposées sur le continent et interdit d’entrée à Taïwan, le groupe a donné un grand concert à Tokyo en mars 1996, juste avant la tenue à Taïwan des premières élections présidentielles au suffrage universel direct. Durant le spectacle, les Panthères noires ont interprété une chanson intitulée «Le ciel audessus du ciel», qui avait été interdite sur le continent. Cette chanson critique la bureaucratie continentale. Les paroles disent : «Je n’ai plus besoin de vos récompenses bon marché/Laissez-moi voir le monde extérieur/Je vous en respecterai davantage». Mais les Panthères noires se sont rapidement fait une réputation sur la scène internationale et le groupe a finalement reçu l’autorisation de distribuer ses albums sur le continent.

Une situation semblable est apparue avec la chanteuse tibétaine Dadawa [Zhu Zheqin], que la bureaucratie du continent n’appréciait guère jusqu’à ce que son album, produit par le groupe taïwanais UFO, soit salué par la critique internationale. Ensuite, les choses se sont déroulées à merveille et Dadawa a même reçu un prix décerné par le département de la Propagande du comité central du Parti communiste.

Un autre événement significatif a été l’inclusion récente de deux chansons écrites et interprétées par la star continentale du rock’n’roll, Cui Jian, dans le huitième volume du Centenaire du canon littéraire chinois, publié par l’Université de Pékin. «Ces deux chansons marquent une étape importante dans l’histoire moderne des textes poétiques chinois», explique l’éditeur de l’œuvre, Xie Mian.

Mais même si une ouverture semble en cours dans de nombreux domaines, Taïwan reste un lieu où la plupart des chanteurs continentaux ne peuvent pas se rendre. Pour eux, Taïpei demeurera la cité interdite jusqu’à ce que le gouvernement de la République de Chine en décide autrement. Les CD de Ling Dian ne sont en vente sur l’île que parce que le groupe dispose d’un agent international au Japon, ce qui en fait techniquement un «groupe étranger». «Il est courant pour les chanteurs taïwanais d’organiser des concerts ici, dit Wang Xiaodong. Je ne comprend pas pourquoi nous ne pouvons pas nous produire à Taïwan». Faisant référence à la première chanson de son groupe, «Pont», qui date de plus de dix ans, il poursuit : «J’espère que de plus en plus de ponts seront jetés entre Taïwan et le continent chinois».

Son vœu pourrait devenir réalité. Récemment, dans un mouvement étonnant, le ministère de l’Education de Taïwan a déclaré qu’il permettrait à Cui Jian et aux Panthères noires de venir à Taïwan et de donner un concert, bien qu’il ait eu du mal à expliquer qu’il s’agissait simplement d’une mesure expérimentale et non d’un précédent. L’expérience montre en effet qu’une fois que de telles barrières sont tombées, il est impossible de les remettre en place.

Ceci est d’autant plus vrai dans le cas où les visites qui en résultent se déroulent dans de bonnes conditions. La vedette de Taïwan Lo Ta-you a adapté plusieurs chansons folkloriques du continent chinois qui avaient été recueillies et diffusées par le compositeur continental Wang Luobin. Quand celui-ci est venu à Taïwan en 1993, il a rappelé à ses hôtes qu’il avait combattu pendant la guerre sino-japonaise (1937-1945) et pendant la guerre civile chinoise. «Je suis le premier soldat de l’Armée populaire de libération à installer son camp à Taïwan, a-t-il déclaré aux médias locaux. Mais je n’ai pas de balles avec moi, seulement des chansons». Durant son séjour à Taïwan, ses impressions l’ont incité à écrire une chanson qui résume une émotion partagée par les habitants des deux côtés du détroit de Taïwan : les contacts, dont les échanges musicaux, permettent de rapprocher ceux qui sont demeurés séparés pendant plus de quatre décennies.

Durant la guerre, sur les rives du Fleuve jaune,
J’ai transporté sur mon dos des soldats blessés.
Les avions ennemis volaient en formation au-dessus de ma tête,
tandis que les vagues du fleuve roulaient furieusement en contrebas.
Jour et nuit, je n’avais qu’une seule pensée, un seul désir :
Emmener les blessés à l’hôpital.

Aujourd’hui, je me promène dans un parc de Taïpei.
Je vois un vieux soldat portant les cicatrices de blessures anciennes.
Et soudain, je me dis : est-ce l’homme que j’ai transporté ?
Est-ce que c’est de son sang que se sont teints de rouge mes vêtements ?

Et le détroit de Taïwan, dans le lointain, se réduit et disparaît.
Pas de distance.

Anita Huang
(v.f. : V. Etrillard)

Photos de Tony Kuo

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