16/07/2025

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

Le roi du cheese cake

01/08/2004
Wu Zong-en, une valeur montante de la pâtisserie taiwanaise.

A 32 ans, Wu Zong-en [吳宗恩] est un homme heureux. L’ancien boulanger, qui entra en apprentissage à 15 ans parce qu’il se croyait bon à rien, est aujourd’hui à la tête d’un petit empire pâtissier du nom très bretonnant de Yannick : ses « gâteaux français » se vendent par milliers dans sa boutique de Wanli, ainsi que dans les innombrables coffee shops qu’il fournit à Taipei. Il ne se passe pas une semaine sans que la presse ou la télé ne parle de lui.

Wu Zong-en avoue tout étonné un chiffre d’affaires mirobolant de 40 millions de dollars taiwanais l’année dernière – soit plus de 7 000 portions par jour – et estime la cible de 100 millions assez réaliste pour cette année… Les ventes aux chaînes de cafés et aux restaurants, explique-t-il, représentent environ un tiers de ses activités.

Gourmands cherchent gâteaux

Qu’il pleuve ou qu’il vente à Wanli, de 10 h du matin à 6 h du soir, on voit les gens faire la queue, le sourire aux lèvres, salivant devant les vitrines, dans l’attente de leur tour. Les mêmes, une heure plus tard, emportent par cartons entiers moelleux au caramel, choux à la crème, entremets à la mangue, parfaits au chocolat, forêts noires, mousses au thé vert et aux haricots rouges…

Ce n’est pas le paysage des alentours qui pousse les gens à faire parfois 25 km en scooter pour une part de gâteau : Wanli est une petite ville sans relief, sur la côte nord de l’île, et on n’aperçoit même pas la mer depuis le salon de thé. Pire encore, la pâtisserie Yannick est située sur une grande artère de communication, et elle passerait inaperçue, n’étaient justement les cinquante personnes qui patientent sur le seuil et les voitures garées en double file dans les deux sens.

« Nous n’avons jamais fait aucune publicité, commence par souligner Wu Zong-en, comme dépassé par son succès. C’est le bouche à oreille qui a marché à plein. Au début, je faisais les gâteaux chez moi, dans ma propre cuisine. Lorsque nous avons ouvert une première boutique, avec quelques copains, il y a cinq ans, nous n’avons fait que 20 000 dollars de ventes le premier mois. Tout ce que je voulais, c’était ouvrir une petite boulangerie-pâtisserie dans ma ville natale, je n’avais aucune ambition particulière. »

Modeste, le pâtissier explique que le succès tient certes à la qualité de ses produits, mais aussi à d’autres éléments hors de son contrôle. C’est dans l’air du temps : les Taiwanais sont plus riches, ils voyagent, ils découvrent d’autres façons de vivre et de manger. Ils ont davantage de temps pour s’asseoir avec un livre, un café et quelque chose à grignoter. Leurs papilles s’habituent aux saveurs étrangères – le chocolat entre autres.

Calme et ouvert à la discussion, Wu Zong-en n’a pas la grosse tête. A Taiwan, dit-il, tout le monde veut être patron. « Moi, ce qui m’intéresse, ce sont les partenariats. Chacun son domaine d’expertise, on ne peut pas tout savoir. » Etant lui-même parti de rien, il donne leur chance à quantité de jeunes, dont des délinquants. Il insiste beaucoup sur le travail d’équipe et le respect mutuel, en se présentant plus comme un coach que comme un patron.

Raison d’être

Apprend-il à ses employés comment faire les gâteaux ? Oui bien sûr, mais ce n’est pas cela qui compte. « Il y a maintenant des tonnes de livres de recettes en chinois, tout le monde peut faire des gâteaux. C’est tout le reste qui est important. »

Voilà, dit Wu Zong-en, la certitude qu’il retire de son stage de deux mois chez Lenôtre, à Paris, à la fin de sa formation professionnelle taiwanaise. Evidemment, dit-il, c’était déja formidable de passer quelques semaines à observer comment travaillent les chefs de la vénérable maison. « Mais j’aurais voulu avoir plus de temps pour étudier l’histoire du pain par exemple, ou celle des desserts. J’ai été très impressionné par la culture française, l’architecture, la peinture, etc. J’ai beaucoup aimé traîner à la terrasse des cafés parisiens – cela m’a permis d’apprendre énormément de choses. »

Ce qui l’a le plus impressionné lors de cette formation auprès de grands pâtissiers français, c’est leur attention au détail, à l’esthétique, et surtout le parti pris d’utiliser des ingrédients exclusivement naturels – par exemple des extraits de fruits pour colorer un coulis –, alors qu’on enseigne ici d’emblée aux pâtissiers l’emploi d’additifs chimiques, sans les inciter à chercher des équivalents naturels.

On peut apprendre à faire des gâteaux ou des chocolats fins n’importe où, en conclut le patron de Yannick, dans une pièce de bureaux transformée en micro-salle de classe, mais si on ne connaît pas la culture qui va avec, leur raison d’être, il manque quelque chose. Le pâtissier préconise des formations à l’étranger – en France surtout – pour les jeunes qui se destinent à ce métier. Malheureusement, la filière n’est ici guère développée. Wu Zong-en participe à de nombreux salons et compétitions à l’étranger, une façon, dit-il, de se remettre en question et de partager son expérience avec d’autres professionnels.

Trop sucré

Il est difficile de vendre de vrais gâteaux français aux Taiwanais qui les jugent trop sucrés, trop secs, trop ceci ou pas assez cela. Le pâtissier reconnaît avoir adapté ses recettes, en jouant par exemple sur les différentes sortes de chocolat ou de sucre. Malgré tout, il a retiré de la liste certaines pâtisseries qui se vendaient moins bien, comme l’opéra, et en a rajouté d’autres que les Taiwanais estiment indispensables dans toute pâtisserie qui se respecte, comme le cheese cake – dont Yannick propose une dizaine de variantes.

Cela dit, il trouve un peu dommage que les desserts français n’aient pas encore obtenu ici la place qui leur revient. Mais après tout, chacun trouve son plaisir où il veut, et si les clients mangent leur crème brûlée au petit déjeuner, ce n’est pas lui qui les jugera. ■

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