28/08/2025

Taiwan Today

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La santé au fond du bol

01/01/2001
Cette sélection de huit plantes entre dans la préparation d'infusions et de soupes reconstituantes surtout utilisées par les femmes.
agissant de culture chinoise, il est difficile de trouver plus ancien que la pharmacopée traditionnelle. Comme en Occident, les historiens estiment que les débuts de l'utilisation des plantes médicinales sont antérieurs à l'histoire documentée, ce qui rend difficile sa datation exacte. Il serait de la même façon impossible de dire quand l'herborisation a commencé à prendre un tour plus scientifique que folklorique. On sait cependant qu'avant même l'avènement de la dynastie Tang (618-907) une période approximativement contemporaine du Moyen Age européen , les Chinois faisaient figure de pionniers dans l'exploitation de la nature à des fins curatives. En ce temps-là, le légendaire médecin impérial Sun Simiao diagnostiquait et traitait déjà des affections que les Européens continueraient d'attribuer aux « esprits démoniaques » pendant plusieurs centaines d'années encore.

La médecine chinoise par les plantes a parcouru bien du chemin, depuis les potions et les baumes élaborés par Sun Simiao. Des milliers de plantes et de produits issus d'animaux ont été identifiés et catalogués pour leurs vertus curatives dans toutes les affections imaginables. Vous avez les tempes qui grisonnent ? Essayez-donc les luisantes baies du troène. Le souffle court ? Une pincée d' Ophiopogonis tuber pourrait faire effet. L'ennui et Sun lui-même en faisait état dans ses écrits , c'est qu'on peut rêver mieux pour les papilles ! Le goût désagréable des remèdes devient problématique pour les traitements s'étalant sur plusieurs mois et nécessitant d'ingurgiter plusieurs doses par jour. Prenons le cas du populaire huanglien , ou « fil d'or » littéralement, dont le nom latin est Coptis japonica : cette plante utilisée pour « refroidir » l'organisme est si amère que l'expression « un muet mange de la coptide » suggère pour les Chinois un « malheur indicible ».

Sans doute est-il difficile d'éviter toute torture gustative dans le cas d'une affection grave. En revanche, les cures préventives à base de simples, qui sont conçues pour maintenir le sujet en pleine santé, peuvent se révéler une expérience culinaire agréable. L'idée de rendre les remèdes traditionnels plus doux au palais n'est pas nouvelle, mais jusque récemment, le concept était limité à une poignée de recettes, tels les plats de poulet préparés avec de l'alcool de riz et servis aux jeunes accouchées pour les aider à reprendre leurs forces.

Les années passées ont vu une évolution avec l'ouverture çà et là dans le monde chinois de « restaurants médicinaux », qui proposent à leurs clients de se faire du bien tout en se régalant de mets délicieux. Délicieux, vraiment ? La question nécessite une petite enquête jusque dans les avant-postes de la cuisine médicinale moderne.

Yang Ling-ling, professeur à l'Université de Chiayi, est à la pointe de la recherche concernant l'amélioration des qualités gustatives de la cuisine médicinale. « Les Taïwanais, surtout les jeunes, n'aiment pas le goût de plante caractéristique de la cuisine médicinale, explique-t-elle. Ce que j'essaie de faire, c'est d'améliorer ces plats leur saveur et leur arôme de façon qu'ils conservent tous leurs bénéfices curatifs, leur fort goût de médicament en moins. »

A cet égard, Mme Yang a atteint son objectif : ses petits plats sont suffisamment fins pour être servis dans un des hôtels cinq étoiles de la capitale. Un coup d'oeil au « Menu santé de l'été » concocté pour combattre les affections associées à la chaleur et à l'humidité estivales dévoile un tableau de comestibles qui évoque plus un traité de médecine chinoise qu'une carte de haute cuisine. Mme Yang mélange la traditionnelle racine médicinale Radix adenophorae, plus connue en chinois sous le nom de nanshashen , avec quelques crevettes préparées avec art : une façon savoureuse de stimuler son système respiratoire. Tel autre plat à base de fruits de mer consiste en un émincé de pétoncles sur un lit de bulbes de lis : de quoi renforcer le système immunitaire. Ces deux mets figurent dans l'un des menus de neuf plats composés par Mme Yang, celui se
nsé prévenir le cancer.


La santé au fond du bol

Les alcools médicinaux, vendus en pots ou faits maison, ont leur place dans la cuisine médicinale.

Mme Yang, qui dirige également le cycle supérieur de pharmacognosie de l'Institut de médecine de Taïpei, révèle qu'il existe quelques principes de base pour masquer les relents délétères des produits médicinaux. Les bouillons de poulet et de boeuf, par exemple, sont largement utilisés dans les plats médicinaux, car leurs qualités gustatives se marient bien aux racines et tubercules qui composent en général le fonds actif du mets. D'autres ingrédients possédant eux-mêmes des propriétés curatives peuvent également servir à augmenter l'efficacité d'un plat. Mme Yang utilise volontiers les haricots noirs fermentés qui, dit-elle, ont un grand pouvoir antioxydant et sont en même temps une bonne source de fibres.

Pour ceux dont le budget ne permet pas les 1 600 TWD (52 USD) que coûtent les agapes médicinales cinq étoiles de Mme Yang, il y a d'autres options. A travers Taïwan, les petits restaurants, et même quelques étals du marché de nuit, se mettent à proposer ces plats médicinaux. Depuis qu'il a commencé dans ce métier il y a de cela dix-sept ans, l'herboriste Liao Chao-chuan note que l'intérêt de la population pour les alicaments a augmenté de façon significative. «De plus en plus, les gens se penchent sur les effets bénéfiques des nourritures médicinales, et vous avez toutes les chances d'en trouver au marché de nuit de votre quartier. Les Taïwanais redécouvrent leurs racines et en viennent à accepter la cuisine médicinale à la chinoise comme une alternative viable aux concepts nutritionnels de la médecine occidentale. Les jeunes, en particulier montrent un intérêt accru, et j'en suis ravi. »

Cette renaissance, dit M. Liao, s'est accompagnée d'une tendance à adapter les plats aux caractéristiques climatiques de Taïwan et aux besoins nutritionnels qui en résultent pour la population. Les affections communément traitées à Pékin ou à Nankin sont plus rares ici. « Les aliments médicinaux n'ont pas suivi la même évolution ici qu'en Chine continentale, à cause des différences de style de vie et de climat. Les herbes utilisées viennent de Chine pour la plupart, parce qu'elles ne sont pas cultivées à Taïwan, mais les restaurants spécialisés dans la cuisine médicinale adaptent en général leurs recettes aux besoins des Taïwanais. »

David Yin, qui dirige le restaurant King Join, à Taïpei, est d'accord pour dire que Taïwan se tourne de plus en plus vers un concept de cuisine intégrant des remèdes traditionnels à base de plantes, mais il ajoute que cette cuisine est loin d'avoir la même popularité ici qu'à Hongkong ou sur le continent. Toutefois, que le noroît se fasse mordant, et les plus attentifs à leur santé se mettent à parcourir les rues à la recherche de snacks fortifiants pour défendre leur organisme contre les rigueurs de la saison froide. Chaque année, quand le temps fraîchit, les journaux télévisés proposent régulièrement des reportages sur les « casse-dalle d'hiver », sensés renforcer les défenses immunitaires de l'organisme contre le rhume et la grippe lorsque le temps change.


La santé au fond du bol

A la base, tous les aliments ont des propriétés particulières. Ces livres de cuisine proposent des recettes à la fois simples et bonnes pour la santé.

M. Yin remarque que plus les Taïwanais se tournent vers la diététique chinoise, plus on voit apparaître de gens sans scrupules cherchant à grappiller quelques dollars de plus en prétendant que leurs plats ouvrent la voie de la santé. «Pour ouvrir un bon restaurant médicinal, il faut vraiment avoir des connaissances en pharmacopée traditionnelle. Malheureusement, de nombreux restaurants servent des imitations. Ce que je veux dire, c'est que le corps de chacun est différent. Il ne faut pas se gaver de cuisine médicinale en espérant résoudre tous ses problèmes de santé. »

L'herboriste Liao Chao-chuan acquiesce : « Lorsque vous vous attablez à une buvette ambulante ou dans un restaurant qui affiche des plats médicinaux au menu, vous n'avez aucune garantie sur les plats qui vous sont servis. Certains restaurateurs sont dignes de confiance, ils respectent les principes de la médecine chinoise, mais pas tous. » M. Liao se montre particulièrement sceptique à l'égard des petits restaurants de rue, qui se contentent souvent d'ajouter un « arôme médicinal » à des soupes ordinaires. Le signe le plus clair de manque de sérieux est d'être servi en deux petites minutes alors que le restaurant offre un large choix de plats différents. La plupart des mets demandent en effet une préparation savante, prenant même plusieurs heures pour certains, comme la célèbre soupe aux ailerons de requins.

Hélas, explique M. Liao, les professionnels du secteur ne se sont toujours pas dotés d'un code de déontologie ou de normes qui pourraient permettre de séparer les cuisiniers honnêtes des profiteurs. « Cette fausse bouffe médicinale continuera d'être servie tant que les consommateurs n'auront pas décidé qu'ils en ont assez et n'exigeront pas que cela change, dit l'herboriste. D'ici là, la meilleure chose à faire, c'est de se renseigner au maximum sur le contenu médicinal des plats et leur mode de préparation. Et si vous êtes malade, même si vous avez juste un rhume, vous avez intérêt à aller voir un docteur en médecine chinoise ou occidentale plutôt que d'essayer de "guérir en mangeant". »

Un avertissement repris par le Dr Brick Chua, qui pense que la cuisine médicinale peut faire plus de mal que de bien si elle est consommée à l'excès. Le danger vient en partie du fait que les dosages peuvent grandement varier, et que les plats ayant une forte concentration de produits médicinaux peuvent avoir des effets secondaires s'ils sont consommés trop souvent et sur une longue durée. « L'un des problèmes avec les remèdes chinois, en particulier lorsqu'ils sont intégrés à l'alimentation, c'est qu'ils ne sont pas dosés scientifiquement comme les médicaments occidentaux. Vous ne connaissez pas toujours la puissance des substances. Vous devez aussi vous souvenir qu'un grand nombre de produits utilisés en médecine chinoise contiennent une forte concentration de stéroïdes naturels, qui même absorbés en doses infimes peuvent causer des déséquilibres hormonaux. »


La santé au fond du bol

Les effets des préparations médicinales chinoises étant scientifiquement prouvés, la modération est de rigueur pour ne pas absorber de principes actifs en exès.

Le Dr Chua ajoute que les principes actifs utilisés en médecine chinoise sont généralement filtrés par les reins, plutôt que d'être décomposés par le foie ou l'estomac, ce qui rend leur utilisation prolongée susceptible de causer une insuffisance rénale. Encore une fois, la modération est la règle. Le Dr Chua pense que comme les plats sont eux-mêmes à base de produits naturels, ils peuvent avoir des effets bénéfiques, qu'ils soient nutritifs ou simplement psychologiques, mais il ne conseillerait à personne de s'en remettre aux restaurants médicinaux pour traiter une affection ou une maladie particulière.

Quelle est la réelle valeur de cette nourriture ? Les classiques chinois décrivent trois familles de traitements. La première comprend les traitements composés de poisons et de toxines ne devant être utilisés que dans les cas extrêmes. La deuxième englobe certaines herbes et racines employées pour combattre diverses affections chroniques. La troisième catégorie comprend les substances prises par les personnes en bonne santé pour renforcer leur organisme et augmenter leur longévité. C'est la plus diverse et la plus importante, tant était grande l'importance accordée par les Anciens à la prévention.

En fait, à la base, toute nourriture peut être considérée comme ayant des propriétés médicinales. Dans la revue culturelle et linguistique Taiwan Today, Teng Shou-hsin et Perry Sun dressent la liste des combinaisons de plantes associées à la cuisine de tous les jours. Par exemple, si vous manquez d'énergie et ressentez le besoin d'un fortifiant, vous pouvez essayer un des éléments du groupe bu [renforcer] comme les crevettes, l'anguille ou le ginseng. Si vous avez fait quelques excès de boisson, le groupe xie [purger], qui comprend l'ail, les prunes et le thé entre autres, vous aidera à éliminer les poisons. Ceux dont le corps est en surchauffe peuvent se tourner vers le groupe liang [froid] auquel appartiennent la pastèque, les mangues et le miel. Le boeuf, les cacahuètes, les noix et autres membres de la famille wen [tiède] peuvent être utilisés comme remontants. Deux autres catégories, le groupe run [nourrissant] comprenant l'ananas, le lait et les pommes, et le groupe zao [sec] dont font partie le crabe, les tomates et le poulet, peuvent respectivement contribuer à conserver ou éliminer les fluides.

Tout en étant indubitablement utiles, ces indications nutritionnelles ne diminuent pas pour autant la valeur de la cuisine médicinale orthodoxe. Maintes études occidentales reconnaissent volontiers les bénéfices pour la santé de traitements connus de l'Orient depuis des siècles. Et bien qu'un bol de soupe aux ailerons de requins ne guérisse pas du diabète, l'utilité de la cuisine médicinale est indiscutable, étant donné qu'elle se fonde sur un savoir éprouvé. Alors la prochaine fois que vous avez les jambes en coton ou peur d'attraper cette méchante grippe qui traîne au bureau, vous pourriez faire pire que de goûter à la cuisine médicinale chinoise. Après tout, il se pourrait qu'une once d' Ophiopogonis tuber ait autant d'effet qu'une demi-livre de médicaments !

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