06/07/2025

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

Le leicha, ou l’art du thé revisité par les Hakka

01/12/2002
La préparation en commun du leicha réchauffe l’atmosphère entre convives.

>>Une des communautés hakka de Taiwan, celle de Peipu, s’est fait fort de perpétuer les traditions, notamment le leicha, ou « thé en poudre »

Plusieurs communautés hakka - un groupement ethnique chinois distinct ayant sa langue, ses coutumes et sa gastronomie particulières - se sont installées dans l’île il y a quelques siècles déjà. Formant l’une d’elles, les habitants de la commune de Peipu, dans le hsien de Hsinchu, au sud-ouest de Taipei, cherchent à promouvoir leur spécialité, le leicha [擂茶], ou « thé en poudre », un breuvage reconstituant à base de divers ingrédients et de quelques feuilles de thé. C’est une manière de faire connaître leur culture et aussi de développer le tourisme dans la région. Leurs efforts tenaces ont été récompensés puisque même des visiteurs étrangers font le détour pour découvrir autant la culture que le « thé » local. « Moudre son leicha avant de le boire en infusion peut paraître désagréable, plaisante un touriste new-yorkais, alors qu’en fait c’est un plaisir. »

Le thé est sans doute la boisson la plus populaire de l’île, et nombre d’insulaires estiment qu’en humer l’arôme et en savourer le goût fait partie de leur style de vie. « Ainsi, une petite théière de thé Oolong réchauffe vite l’amosphère lors d’une rencontre amicale », dit Peng Meng-hui, propriétaire de la maison de thé Tien Shui à Peipu, ajoutant que boire du thé est redevenu chic.

Il considère que la préparation de thés traditionnels fait partie des coutumes hakka, affirmant que « les habitudes culinaires particulières à une communauté font généralement partie de ses traits distinctifs. »

Il y a cinq ans la première maison servant du leicha s’est ouverte à Peipu, une petite commune de seize cents habitants. « Comme pratiquement tous les habitants de la bourgade sont d’origine hakka, l’endroit est idéal pour en préserver l’identité culturelle, spécialement à un moment où on assiste à une réduction rapide de la population rurale et à l’exode des élites, poursuit Peng Meng-hui [彭孟輝]. C’est pourquoi, j’ai choisi cette boisson pour lancer une campagne en faveur de la culture hakka et redonner de la vitalité à ce village en déclin. »

Un symbole culturel

Le thé a pour les Chinois une signification particulière qu’il n’a peut-être pas en Occident, et chaque variété de thé a des conotations culturelles différentes, un peu comme les crus en Europe. Les Chinois mettent l’accent, entre autres, sur le goût et l’arôme de chaque production.

Le caractère lei, prononcé loui en hakka, a plusieurs sens, tant en mandarin qu’en hakka, signifiant notamment « moudre, pulvériser ». Appliqué au thé, le terme fait allusion à la manière de broyer ou moudre les feuilles de thé avant d’infuser la poudre dans la théière, une opération effectuée par les buveurs.

On trouvera du plaisir à préparer son breuvage soi-même. Dans un petit mortier, on mélangera une pincée de feuilles de thé de son choix à des cacahuètes, du sésame et des haricots rouges. Le tout sera concassé avec un pilon pendant une trentaine de minutes. Plus fine sera la poudre, meilleur sera le leicha. De l’eau brûlante et du riz cuit sont alors ajoutés, et le thé est prêt.

« En général, on moud la préparation avec un pilon, précise Peng Meng-hui. Ce rituel peut servir à détendre l’atmosphère et permettre aux convives de faire connaissance. »

Le leicha est étroitement lié à l’histoire du peuple hakka. Sa préparation a subi des modifications depuis la dynastie des Tang (618-907). Les Hakka, un groupe ethnique originaire de Chine du Nord, ont quitté leurs terres en raison des guerres qui ont longtemps ravagé cette région à partir du Xe siècle et ont émigré vers le Sud où ils se sont installés principalement dans les provinces du Jiangxi, du Fujian et du Guangdong. C’est durant cette longue pérégrination que le leicha a été inventé pour calmer la faim de ces émigrants, en versant dans un peu d’eau des graines de soja ou des lentilles pilées.

«C’était finalement un produit taillé sur mesure pour eux », explique le patron de la maison de thé. Une fois arrivés en Chine méridionale, les Hakkas s’installèrent dans les collines où ils se mirent à cultiver du riz, du thé et des légumes.

D’autres estiment que la boisson a une origine plus ancienne. Ils citent une légende contant comment le thé, le riz et le gingembre en poudre étaient servis en infusion pour se prémunir contre la peste durant la période des Trois Royaumes (220-280). Même aujourd’hui, la croyance populaire attribue encore une valeur médicinale au breuvage.

Au XVIIe siècle, de nombreux Hakka ont bravé le décret impérial interdisant aux habitants de quitter la Chine et se sont aventurés sur les eaux du détroit jusqu’à Taiwan où ils ont fondé de petits villages comme celui de Peipu. Bien sûr, ils ont amené avec eux la tradition du leicha qui s’est ensuite répandue un peu partout dans l’île. Le leicha a une fois encore agrémenté la nourriture frugale des pionniers hakka, alors qu’ils trimaient pour survivre sur ces terres nouvelles en friche.

Le leicha reflète une philosophie de vie hakka : les repas ne sont pas faits pour se gaver ou savourer un mets précieux mais simplement pour se nourrir. Puisque le leicha est énergétique et riche en protéines, il est servi comme complément nutritif. A l’origine, il était d’ailleurs préparé sous deux formes : l’une était un consommé salé avec du porc et du vermicelle de soja sautés, l’autre était une soupe sucrée assez semblable au breuvage servi aujourd’hui à Peipu.

Les Hakka considèrent le leicha plus comme un aliment que comme une boisson. Il ne calme pas la soif, explique Peng Meng-hui. « Et même, on peut avoir encore plus soif après en avoir bu ! »

Dans les familles hakka, il est servi aux invités de marque, et plusieurs variétés de thé leur sont alors proposées. Un des plus appréciés, pour son arôme et son goût délicats, est sans doute le thé Oolong blanc, aussi appelé thé de la Belle d’Orient ou encore localement thé Pong Hong.

Si le leicha a longtemps été considéré par les autres Chinois comme un breuvage bizarre, il a acquis aujourd’hui une plus grande popularité à travers l’île. « Cela fait plaisir de voir qu’une tradition hakka s’est ainsi diffusée », indique Peng Meng-hui. Il espère qu’à travers le leicha, on continuera de promouvoir la culture hakka.

« Les touristes qui viennent à Peipu apprécient le leicha pour son goût délicat et peut-être aussi pour le plaisir de préparer sa propre boisson », assure Peng Meng-hui. Faire son leicha rappelle l’expérience de vie des Hakka qui, d’amère qu’elle fut autrefois, s’est aujourd’hui adoucie. ■

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