08/08/2025

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

Le goût des fleurs

01/07/1992
Incroyable, la fleur du cactus épiphytique est comestible.

est renommée pour la pluralité et la variété des ingrédients contenus dans ses cuisines régionales. Mais curieusement, il fait rarement men­tion des fleurs comme partie intégrante de cet art culinaire même si on les uti­lise dans l'alimentation ou la boisson depuis au moins deux mille ans.

Kiu Yuan (343-290 av. J.-C.), un des premiers poètes chinois connus, écrivait déjà : « Le matin, je m'humecte les lèvres de la rosée des fleurs de magnolia. Le soir, je dévore les pétales marcescents des chrysanthèmes. » Certainement plus poétique que réelle, ne pourrait-on pas y observer quelque vérité dans ces propos?

A Taiwan, les fleurs cultivées pour l'alimentation et la boisson peuvent se compter sur les doigts de la main. Les plus courantes sont l'hémérocalle, le chrysanthème et le jasmin à thé, tous en usage répandu depuis des siècles en Chine. Dernièrement, on a essayé de lancer sur le marché une plus large gamme de fleurs comestibles, de fleurs à thé et des alcoolats de fleur.

L'hémérocalle, ou lis jaune, est la seule fleur de Taiwan cultivée commercialement pour sa valeur comestible. Dans l'ancienne Chine, on l'appelait la « plante de la mère » ou encore la « libératrice de la tristesse ». Selon la croyance populaire chinoise, l'hémérocalle a le pouvoir de diminuer le cha­grin. On rapporte encore qu'un jeune homme qui quitte sa famille pour des études ou une carrière plante quelques graines de cette fleur dans le jardin familial avant de partir. Il les laisse à sa mère afin qu'elle n'attriste pas trop de son absence. Les pouvoirs de cette plante sont exprimés dans de nombreux poèmes classiques de la dynastie Song (960-1279). Aujourd'hui, la forme et les couleurs de l'hémérocalle séchée la font surnommer aiguille d'or.

Dans de nombreux pays, l'hémérocalle est généralement cultivée comme plante décorative d'intérieur. Mais à Taiwan, elle apparaît sur la ta­ble, non seulement en bouquet dans un vase, mais aussi cuite dans la soupière. En effet, cette fleur possède des qualités fort nutritives. Elle est riche en protéines et en vitamines Bl, B2, et C. Une recette taiwanaise : faire cuire à point des côtelettes tendres de porc dans l'eau. Ajouter des hémérocalles séchées dans le bouillon. Faire mijoter le tout pen­dant une vingtaine de minutes en prenant soin de ne pas trop cuire les fleurs. Si l'ensemble mijote trop longtemps, il vire au brun.

L'hémérocalle pousse principale­ment dans l'est de l'île sur un millier d'hectares. Selon M. Li Shan-chen, de agricole expérimentale de la région de Taitong, on la cultive normale­ment à une altitude entre et 1 . On la récolte en août ou septembre. Et pour conserver son parfum et son arôme, il faut la cueillir tôt le matin, encore en bouton, habituel­lement la veille de son éclosion éven­tuelle. Les boutons frais sont ensuite séchés au soleil ou mécaniquement pour être empaquetés aussitôt après.

La culture de l'hémérocalle n'est plus une source de grands profits comme elle le fut auparavant. En ce temps-là, les jeunes venaient ramasser les fleurs en bouton pour une petite rémunération pendant les vacances d'été. Mais aujourd'hui, ce pécule est beaucoup trop faible pour les attirer en masse. Aussi, les chercheurs de la sta­tion de Taitong étudient-ils un moyen de commercialisation de l'hémérocalle fraîche. Les fleurs fraîches qui sont bien sûr plus parfumées que les sèches se commandent à un prix plus élévé sur le marché. Heureusement pour le marché insulaire, la fleur ne garde sa fraîcheur que trois ou quatre jours, ce qui retire toute concurrence dans ce domaine aux hémérocalles de Chine continentale. Pour la promotion de la consommation de cette fleur, la station expérimentale a diffusé une bonne douzaine de recettes culinaires.

L'hémérocalle a certes longtemps eu la faveur des Chinois, mais ils ont apprécié d'autres fleurs. M. Cheng Lin­-chih, un instituteur en retraite, pense qu'on devrait manger beaucoup d'autres fleurs. Il a édité des recettes florales pendant plus de dix ans. Ses connaissances en fleurs comestibles proviennent partiellement d'avoir été élevé à la campagne où sa famille cultivait les espèces de roses, de chrysanthèmes et de balisiers utilisés en préparation culinaire. Il a également étudié le grand traité des usages médicinaux et culinaires de nombreuses plantes hérité de sa grand-mère qui pratiquait la médecine traditionnelle chinoise. Malheureusement, pendant son séjour à Taipei, il a rarement eu la chance de savourer les plats floraux préférés de son enfance.

Le lis jaune : en nature dans les champs de montagne (en haut); après séchage au soleil (en bas).

Un jour en 1977, M. Cheng Lin­-chih assista à une conférence tenue à l'université où on mentionna l'existence de « clubs floraux » au Japon. Leurs membres y apprennent, selon leur mo­tivation, tout sur les fleurs, l'art de leur arrangement (ikébana), la cuisine, la préparation des thés, la composition de vins et même la poésie. Ce fut pour lui l'étincelle. Il se lança alors dans la cuisine des fleurs. En 1981, seul, il ouvrit une campagne en écrivant des articles dans les journaux et les périodiques où il décrivait la cuisine florale. Rappelant qu'aujourd'hui, on mangeait beaucoup trop de viandes et de poissons, il offrait une solution saine avec les fleurs. C'est surtout l'exotisme de sa cuisine qui assurément attire le plus.

Depuis, il a écrit un ouvrage complet sur la cuisine florale avec plus de cent recettes utilisant plus d'une cinquantaine d'ingrédients floraux. Parmi elles, on relève les dés de poulet aux camélias à l'aigre-douce ou le hachis de porc aux pétales de rose ou encore le porc frit aux lis jaunes. En mars dernier, lors de la manifestation « Fête florale du printemps » au musée provincial de Taiwan à Taipei, M. Cheng Lin-chih a présenté plusieurs préparations culinaires florales. Une foule de curieux s'attroupaient autour de lui dans la salle, mais beaucoup ont hésité au moment de la dégustation de roses frites ou d'œillets sautés. Tout le monde l'interrogeait sur la vénénosité des ingrédients ou la teneur résiduelle des pesticides. Après avoir été frites ou sautées, les fleurs avaient perdu leurs forme, couleurs et aspect originels, ce qui les rendaient beaucoup moins « appétissantes ».

Mais M. Cheng Lin-chih précise bien que les fleurs ne sont pas toutes comestibles. Par exemple, des gens ont pu, par confusion avec le lis, absorbé la fleur aux formes similaires, la stramoine qui contient de l'atropine alcaloïde toxique. De même, les fleurs de plantes ornementales, l'oléandre ou la poinsettie, sont aussi toxiques qu'admirables. Plusieurs personnes ont alors suggéré de les éliminer. Ces gens sont un peu empressés, dit-il, puisqu'il suffit d'apprendre aux enfants, et aux adultes aussi, quelles fleurs sont toxiques.

Si l'enthousiasme florivore est loin de faire l'unanimité, les fleurs à thé sont en revanche tout à fait populaires à Taiwan. Ainsi, le « thé de chrysan­thème » glacé est une boisson courante aux quatre coins des rues de Taipei et des autres villes de Taiwan, en particulier pendant la canicule. Selon des experts en pharmacopée chinoise, le « thé de chrysanthème » est fébrifuge et améliore la vue. Il se fabrique à partir du chrysanthème indien, une petite fleur blanche ou jaune qui donne un suc. Il ne doit pas se confondre avec la plante ornementale qui couvre les jardins et les demeures pendant la saison automnale et hivernale. De ce suc contenant de la chrysanthémine, un alcaloïde doux, on fabrique un « thé » d'un goût assez amer qu'on adoucit habituellement avec du sucre.*

La bourgade de Tonglouo (hsien de Miaoli), au nord-ouest de Taiwan, est certainement la capitale du « thé de chrysanthème » de Taiwan. A l'heure actuelle, on ne cultive plus que quelque six hectares de cette espèce de chrysanthème. Il y a deux ans, on comptait encore plus de dans les environs. Cependant, comme la culture du chrysanthème indien est une entreprise de main-d'œuvre puisque la fleur se cueille à la main, il revient moins cher d'en importer de Chine continentale. Sa récolte locale coûte en effet cinq fois plus que celle de Chine continentale pour une qualité sensiblement identique. Le chrysanthème « à thé » est cueilli en novembre, séché et expédié sur le marché insulaire.

Le chrysanthème indien est l'ingrédient d'une boisson rafraîchissante.

Pour satisfaire la demande du marché, plusieurs entreprises de boissons légères, comme Kuang Chuan Dairy Company et President Entre­prises, ont commercialisé le thé aux fleurs. Outre le « thé de chrysan­thème » au miel, le thé parfumé au jasmin ou à l'osmanthe est certainement des plus populaires. Le jasmin utilisé pour son arôme dans le thé pousse principalement dans la région de Pouli, au centre de Taiwan, alors que le thé à l'osmanthe est directement parfumé avec de l'extrait importé du Japon. Selon le directeur des boissons de Presi­dent Entreprises, le marché du thé noir est complètement saturé, aussi sa société a-t-elle lancé une nouvelle gamme de thés aux fleurs. Avant de conquérir le marché, l'entreprise a effectué de nombreux essais prélimi­naires tant pour déterminer le goût, la teneur aromatique et la siruposité des nouvelles boissons. Des études de marché font état que les thés doux et aromatisés ont particulièrement la faveur des consommatrices de moins de 25 ans tandis que le thé d'Oulong [Oolung] demeure la boisson de choix des consommatrices de plus de 25 ans. Cette année, l'entreprise projette de lancer le thé à la rose, aromatisé avec de l'extrait de rose.

Les alcoolats de fleurs ont aussi quelque popularité en Chine depuis quelques siècles déjà. Selon la tradition, ces boissons sont brassées dès la saison des récoltes. Le Monopole des tabacs et alcools de Taiwan a lancé sur le marché en février 1990 des alcoolats de chrysanthème et de jasmin. Ce sont des aracks de riz où sont fermentés des fleurs de jasmin ou des chrysanthèmes d'une teneur éthylique de 40°.

Quand les alcoolats de fleurs sont fait leur entrée sur le marché, ils ont vite eu une préférence du public, mais les ventes ont rapidement décru après deux années. M. Chao Chien-kuo, directeur des ventes du monopole taiwanais, explique que Taiwan a un excédent de riz chaque année. Pour uti­liser ces excédents, on en fait donc des alcoolats de fleurs. Pourtant, on a constaté que les consommateurs masculins d'alcool appréciaient mieux l'arack de riz (Chaoching) ou de sorgho (Maotai)*. Le monopole n'a pas réussi à pénétrer le marché des consommatrices avec ces alcoolats, car ils sont encore trop forts à leur goût.

M. Weng Chu-fa, floriculteur d'orchidées de Houalien, dans l'est de Taiwan, est devenu célèbre pour son alcoolat d'orchidée, en fait de cymbidie très parfumée et d'apparence ordinaire. Or cette dernière plante masse tout son arôme dans la fleur proprement dite. L'an dernier, il a tenté une expérience. Il en a coupé plusieurs boutons et les a mis en fermentation dans de l'arack de riz. Peu après, il a eu l'heureuse sur­prise de constater un alcoolat d'orchidée d'une finesse extraordinaire. Il en a alors servi les amis de son entourage qui ont été conquis par le bouquet singulier. Comme seul le monopole d'Etat est autorisé à commercialiser les boissons alcoolisées, M. Weng Chu-fa ne fabrique son cru exotique qu'en quantité négligeable, mais suffisante à lui-même et ses amis.

Quoiqu'absents de la plupart des cartes et des menus, les fleurs ont leur place dans le riche art culinaire traditionnel chinois. En fait, il ne faut pas s'étonner que beaucoup de fleurs ne soient pas consommées dans une civilisation où on mange « tout ce qu'un scorpion porte aux pattes ». Comme il n'y a pas d'aversion ou de phobie culturelle discernable pour expliquer ce manque d'intérêt, peut-être qu'avec les efforts de quelques-uns, comme M. Cheng Lin-chih, l'usage culinaire des fleurs prendra-t-il. En attendant, les thés aux fleurs ont déjà conquis un public enthousiaste, et les entreprises de boissons de Taiwan semblent entrevoir un brillant avenir.

Yvonne Yuan

(V.F., Sa Andeh)

Photographies de Chen Ping-hsun.

NDLR :

* La langue sud-foukiénoise, aussi poétique que sa sœur, la langue mandarine dont le pékinois s'est fait l'héritier, désigne par le phénomène de la métaphore toute boisson non alcoolisée « thé ». C'est ce terme euphémistique qui est passé dans l'expression « thé de chrysanthème » qui ne contient pas de thé.

* L'arack de sorgho est plus connu à Taiwan sous le nom chinois de la plante, kao-liang, à défaut de nom de cru.

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