29/04/2025

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

L’esthétique des plantes

01/11/1991
Quand le vent d'automne souffle, les ovaires de lis s'ouvrent. Jeu de lumière sur leur paroi.

Une photographe a parcouru toute l’île de Taiwan du littoral aux hauteurs alpines à la recherche de la vie végétale. Les vues qu’elle en a rapportées sont des souvenirs insolites de la flore de Taiwan. On éprouve quelque tendresse en regardant les photos de plantes et fleurs sauvages de Mme Chen Yueh-hsia. Le sens du merveilleux remplit ses vues de feuilles de fougère qui jonchent le parterre des forêts, d’orchidées qui se penchent d’une hauteur dans toute leur splendeur et des baies sauvages qui brillent timidement sous un rayon de soleil. Ses images représentent toute la flore sauvage de Taiwan si variée et si luxuriante, une combinaison de de Taiwan, des plaines fertiles et de la mer environnante. La ligne de ses sujets s’étend des plantes littorales à celles alpines, toutes insulaires d’origine ou qui ont été apportées plus récemment par les oiseaux, le vent ou les hommes.

Ces plantes sauvages à Taiwan ont été l’objet d’une première exposition photographique personnelle de Mme Chen Yueh-hsia dans une gallerie d’art de Taipei. Elle y présentait 85 espèces de plantes. Des prises de vue d’arbres, de fleurs, d’herbes et de fougères au milieu de rochers escarpés ou devant un panorama sublime de montagnes. Elle est restée une photographe de la nature, très active et préoccupée des préjudices causés à l’environnement, donc à la vie des plantes. Si ses vues peuvent évoquer quelque sensibilité aux gens, ils comprendront peut-être ce qu’ils sont en train de perdre et ne permettront pas que la nature magnifique qui les entoure ne disparaisse.

Mme Chen Yueh-hsia dont les cheveux lui descendent jusqu’aux genoux aime s’appeler la « fille des montagnes ». Elle est née en 1955, dans le petit village d’Oufong [Wufeng], qui niche au mont Ali, culminant à 2 d’altitude, et dont il prend couramment le nom, dans la partie orientale du hsin de Kiayi, au centre de Taiwan. Ce village est également le berceau de la tribu aborigène Tsao. Le massif se situe juste à l’est de celui du mont de Jade (ou Yuchan) et est la partie la plus occidentale de centrale. C’est un haut-lieu du tourisme avec ses forêts luxuriantes, le teint rosé de ses horizons au coucher du soleil et la voie ferrée étroite qui gravit au long de ses les flancs de la montagne.

Fleurs parasites sur un liquidambar.

Mme Chen Yueh-hsia a grandi à l’auberge que ses parents tiennent près de la gare. A sept ans, elle partit chez sa grand-mère à Kiayi, dans la plaine, pour y fréquenter l’école primaire et retournait chez ses parents pendant les vacances. Enfant, elle aimait les fleurs et les plantes et, comme beaucoup d’enfants de par le monde, elle en collectionnait en les insérant dans ses livres ou en décorant des cartes. Un jour, elle trouva un appareil-photo oublié par un touriste. Elle se lança alors dans la photographie et, sans surprise, ses sujets préférés étaient les plantes et les fleurs.

Mais, ce n’est pas avant d’avoir recontré M. Chen Yu-fong, avec qui elle s’est marié, que son intérêt pour les plantes s’est approfondi. Elle venait d’obtenir son diplôme de l’académie nationale des Beaux-Arts de Taiwan à Pankiao en art dramatique et retournait à Alichan pour aider les siens à l’auberge familiale. M. Chen Yu-fong était diplômé en botanique de l’université nationale de Taiwan à Taipei. Il était venu à l’auberge pour poursuivre ses travaux de recherches sur les plantes de montagne. De l’intérêt partagé des deux jeunes gens naquit leur romance.

Sachant que c’est le tournant de sa vie, son amour pour les plantes se transforma en une véritable relation entre l’homme, les végétaux et l’environnement. Le couple vit aujourd’hui à Taïtchong où M. Chen Yu-fong enseigne l’écologie à l’université de Tong-haï [Tunghai] tandis qu’elle dévoue son temps à l’éducation de leur fille de sept ans. Elle a donné des conférences avec projections de diapositives sur les plantes taiwanaises dans les universités, les musées, les centres culturels et ailleurs dans le cadre des programmes culturels districtaux de l'Etat. Elle a également écrit plusieurs articles dans la presse pour lesquels son époux était une source de soutien et d'enthousiasme. « Son approche scientifique ne fait que renforcer la mienne plus sentimentale à la vie des plantes », dit-elle humblement.

Le fruit cramoisi de la mélothrie.

De 1983 à 1989, elle a accompagné son époux dans ses promotions successives jusqu'à celle de chef du Service d'information de la direction des Parcs nationaux du ministère de l'Intérieur. Ce service publie des brochures sur les différents points touristiques de l'île. Le couple est d'abord allé au Parc national de Kenting, dans l'extrémité sud de Taiwan, puis au Parc national de Yuchan, dans le centre de l'île. Au cours de ces années de séjour, elle a pu aider son mari à recueillir nombre de renseignements sur les diverses plantes des régions habitées. Il rapportait parfois quelques spécimens à la maison, et elle en prenait toutes sortes de prises de vues tant scientifiques qu'artistiques. Quant à celles-ci, elle prétend qu'elles ne sauraient être artistiques puisqu'elle ne travaillait qu'en chambre. Alors, ces images sont celles de feuilles, de branches ou de racines à l'état brut, mais ce fut un travail à la fois net et précis.

Ayant besoin d'une plus grande créativité, elle partit alors grimper dans les montagnes pour passer au peigne fin les diverses plantes qu'elle pouvait rencontrer. Elle laissait sa fille dans une garderie d'enfants ou bien auprès d'une parente ou une amie et passait toute la semaine ou une dizaine de jours en plein air sur les hauteurs, malgré l'inquiétude causée aux siens. D'une taille menue, l, et , elle paraissait assez frêle pour porter un tel équipement d'alpinisme et de camping, sans parler de son exposition aux animaux sauvages. Devant cette stupéfaction, elle rit aux éclats, car il n'y a plus d'animaux sauvages, mais seulement des singes et des mulots, dit-elle. Quant aux serpents, ils ne sont pas méchants, si on ne les dérange pas.

Le baies rouge vif de la vinette yuchanaise donnent de l'éclat à ces hautes altitudes.

Quand le lieu était trop reculé ou peu familier, elle demandait à un guide aborigène de l'accompagner, notamment dans les hautes terres désertes de la Chaîne centrale, au nord du hsien de Kaochiong ou dans la haute vallée de la Siokoulouan sur la limite des hsien de Houalien et de Nanto, au centre de Taiwan. Après dix années de tels périples dans les forêts montagneuses, elle s'est assez familiarisée des nombreux sentiers et même, à la vue des plantes, de la température, des précipitations et de la direction des vents. Pour ces voyages, elle emportait deux ou trois appareils de avec des lentilles de 18, 24, 55 et et quelquefois un trépied. Elle ne prenait pas de photo des plantes pour leur rareté ou leur curiosité, croyant que toutes les plantes sont d'une égale beauté. Mais, c'est surtout l'aspect optique fascinant ou merveilleux qui s'offrait pour en saisir tel ou tel moment.

Ce sont certainement les instants les plus chéris de Mme Chen Yueh-hsia qui l'attristaient si elle ne parvenait pas à en prendre l'image ou qu'elle manquait pour avoir oublié son appareil-photo. Pour capturer l'image impressionnante d'une renouée cuspidifoliée qui surgissait au milieu d'un amas de petits rochers, elle attendait de longues heures la direction propice des rayons solaires. Quand, de pleins feux à l'arrière, il créait un jeu d'ombres et de lumières, elle en saisissait le moment.

La renouée cuspidifoliée qu'on trouve également en Chine continentale, au Japon ou en Inde, pousse à Taiwan à une altitude de 2 à 3 . On l'appelle à Taiwan « bâton du tigre ». Les racines de cette plante ont une grande valeur médicinale. Trempée dans de l'alcool, elle adoucit la douleur et neutralise un empoissonnement. La sève de la racine peut étancher la soif et le suc des feuilles cicatriser une plaie. A cause du profit qu'on en tire de son ramassage pour la vente aux herboristes, plus de gens de la plaine que les aborigènes viennent les cueillir à si haute altitude.

Une mer mauve d'agérates houstoniens.

Lorsque Mme Chen Yueh-hsia aborde ces plantes sauvages, elle aime raconter les légendes ou les allusions littéraires qui les entourent et, s'il y a lieu, en indiquer, les propriétés médicinales. Elle a recueilli beaucoup d'historiettes sur telles ou telles plantes auprès des villageois lors de ses recherches. A Kenting, elle fut fascinée par la barringtonie asiatique, un grand arbre d'une hauteur de deux étages et d'une forte densité aux feuilles larges et allongées. Poussant dans les régions côtières tropicales, l'arbre fleurit au sud de Taiwan et dans l'île des Orchidées, un îlot au sud-est de Taiwan. Cet arbuste possède différents noms. Dans l'île des Orchidées, c'est l'« arbre des fantômes », car, y croit-on, on enterrait il y a fort longtemps les morts autour de lui.

Les fleurs blanches étoilées avec un pistil jaune au stigmate carminé ne fleurissent qu'une soirée de l'été. Bientôt après le crépuscule, les bourgeons s'ouvrent à une étonnante rapidité et exposent un bouquet d'une centaine de styles aussi fins que des cheveux. Mais à l'aube les fleurs sont dèjà fanées. Mme Chen Yueh-hsia note que, quoique non scientifiquement prouvé, on croit que les chauves-souris « pollinisent » ces fleurs. On dit aussi que ces mêmes animaux, les « messagers des fantômes » comme les appellent les habitants aborigènes de l'île des Orchidées, volent çà et là au-dessus des morts et des fleurs en se faisant l'écho du bruit de la mer.

La fleur de barringtonie toute épanouie.

Dans la presqu'île de Hengtchouen, au sud de Taiwan, les arbres ont perdu cet aspect macabre et sont appelés le « pied de l'échiquier » à cause de ses fruits qui ressemblent à un sabot de cheval utilisé pour le plateau où on joue au weï-ki (connu en Europe sous sa prononciation japonaise go). Dans le voisinage de Kenting, on l'appelle encore jeou-tsong Hengtchouen, parce qu'ici, les habitants estiment que les fruits ressemblent à la friandise chinoise, le tsong-tseu, un entremet de riz glutineux enveloppé d'une feuille de bambou. Selon Mme Chen Yueh-hsia, la détérioration de l'environnement que provoquent le développement des campagnes a abouti à l'extinction de la barringtonie asiatique. Le ministère de l'Intérieur en a alors tenu compte pour conserver l'arbre au parc de Kenting.

Mme Chen Yueh-hsia est assez déçue que les habitants de Taiwan puissent parfaitement reconnaître et nommer des plantes et des fleurs d'importation sans pouvoir le faire de plantes insulaires absolument originelles. Elle espère que ses photographies remettra en contact la population avec la beauté des plantes indigènes, comme la vinette yuchanaise, dite morrisonnienne dans les textes anglo-américains d'après le nom américain du mont de Jade (Yuchan) où elle a été découverte. C'est en effet dans le massif du mont de Jade qui possède les plus hauts sommets de Taiwan que pousse la vinette yuchanaise à une altitude de 3 à 4 . Elle préfère les grandes hauteurs et un sol peu profond. Elle fleurit de la mi-juin à la mi-juillet ; ses feuilles sont lourdes et leur suc sert à combattre les morsures de serpent vénimeux.

Plusieurs autres espèces d'azalée alpine indigènes de Taiwan sont assez courantes dans les montagnes de l'île. L'azalée, dite de Yuchan, aux fleurs blanches comme neige pousse entre 3 et 4 , l'azalée rouge fauve aux fleurs roses piquetées d'écarlate entre 2 et 3 et l'azalée, dite de Chen, aux fleurs roses entre l et 3 . Dans les terrains plats, l'azalée fleurie annonce le printemps, mais en moyenne et haute altitude, elle s'épanouie beaucoup plus tard, de mai à juillet. Ces azalées alpines seraient des variétés de l'azalée himalayenne. En hiver, le calice se couvre de givre, et les bourgeons apparaissent vers la fin du printemps. En plein épanouissement, elles recouvrent la montagne comme une mer aux couleurs brillantes. Les fleurs sécrètent un suc comestible. On se croirait au paradis, d'autant plus qu'il y a presque personne. Malheureusement, la saison des fleurs coïncide avec les pluies de mousson et les alpinistes hésitent à grimper à d'aussi hautes altitudes.

Mme Chen Yueh-hsia admet qu'elle n'est pas aussi intéressée par les fleurs que par les arbres, les fougères et autres verdures naturelles. Cependant, elle est fascinée par la vitalité de la petite blétie formosane. Ces espèces d'orchidées abondent généralement dans le climat tempéré et sub-tropical. La floraison commence en mars pour s'achever vers octobre selon les régions. La couleur de leur corolle se nuance du rose criard à l'écarlate foncé. A cause de leur merveilleuse beauté, on estime généralement les orchidées très délicates, mais Mme Chen Yueh-hsia a découvert combien était vivace la petite blétie, comme le présente une photo de cette fleur s'épanouissant sur une falaise parfaitement nue.« C'est un rare signe de vie et de couleur dans un endroit aussi stérile », dit-elle.

Le lis taiwanais est une autre fleur qui a conquis la jeune photographe. Au cours d'une manifestation estudiantine de Taipei en 1988, le lis a reçu quelque prééminence grâce à sa reproduction métallique géante sur l'esplanade du mémorial Tchang Kaï-chek de Taipei. Les étudiants avaient choisi cette fleur comme le symbole de leur détermination, car il est indigène de l'île. La plante pousse sur les rivages marins et en altitude jusqu'à 3 . Il donne un fruit brunâtre allongé vers la fin de l'été, et quand les vents d'automne se mettent à souffler, sa fine pellicule externe se brise laissant échapper les graines qui s'envolent au gré du vent. Les fleurs en forme de trompette s'épanouissent de mai à août. Leur tige est un remède contre la pneumonie et leurs graines soulagent la toux.

Mme Chen Yueh-hsia a passé beaucoup de temps à photographier des herbes et des fougères dont la beauté est souvent méconnue. Elles sont magnifiques pour elles-mêmes, comme l'agérate houstonien avec ses fleurs violettes et odorantes. Transplantée d'Amérique du Sud à Taiwan par les Japonais au début du siècle, cette herbe s'est répandue dans toute l'île.

A cause de nombreuses allusions littéraires, la cuscute australe, une autre plante, a reçu une plus grande attention de la jeune photographe. Elle est plus familièrement connue en Europe comme les cheveux-du-diable. Parmi ses propriétés médicinales chinoises, c'est un remède contre les enflures, les ulcères et la jaunisse. Mais la poésie et les romans classiques ont chantée cette plante grimpante sans feuille et sans racine en la comparant à une femme. Ses rameaux filandreux s'accrochent aux arbustes et aux pins, et enveloppent leur support comme un filet qui, vu à quelque distance, a des reflets dorés. La liaison entre cette plante parasitaire et son support végétal a servi aux poètes pour souligner les relations traditionnelles embrouillées et interdépendantes entre un homme et une femme. Ainsi, cette plante a été le sujet de métaphore de nombreux hommes de lettres chinois pour désigner la femme envoûtante qui dépend entièrement de l'homme fort et robuste. En réalité, les rameaux de cette plante se couvrent de petites ventouses qui aspirent les organismes nutritifs de son support végétal jusqu'à ce qu'il s'amenuise et meurt, d'où son nom commun français. « Les hommes devraient réfléchir et prendre conscience du danger qu'ils courent lorsqu'ils comparent la femme aux cheveux-du-diable », dit plaisamment Mme Chen Yueh-hsia.

Détails d'une ptéride longipenne, une fougère qui ne pousse qu'à l'ombre.

Les fougères restent son sujet favori. Elles ne portent pas de couleurs florales, mais uniquement leur verdure ; leur variété et leur sensibilité aux changements de lumière la remplissent de joie et d'étonnement, dit-elle. A Taiwan, on appelle les fougères « dents de chèvre », car la rangée des folioles y ressemble. Avec plus de six cents espèces de fougères disséminées à travers l'île, Taiwan est dénommée par les botanistes le « royaume des fougères ». Les nombreuses images en détail dépeignent les fougères aux feuilles enroulées, prêtes à s'ouvrir, étalant avantageusement leurs sporanges, toutes déployées ou en mouvement comme des danseuses en formation. Par elles, on peut remonter jusqu'à la création du monde. Et après des millions d'années d'évolution de la terre, elles poursuivent toujours le même combat.

Le principal thème des photographies de plantes sauvages taiwanaises de Mme Chen Yueh-hsia est probablement la poursuite constante de leur survie. Et à cette fin, sa préoccupation personnelle se porte plus à effleurer ces plantes qu'à en rechercher les qualités curatives. Leur valeur médicinale a attiré des foules à venir les arracher pour quelque bas profit, une cause actuelle de leur extinction. Mme Chen Yueh-hsia et son époux sont opposés à leur cueillette massive et arbitraire. Si une plante doit être cueillie, dit-elle, elle doit l'être après une sélection prudente. La force de cette protection pour les plantes étincelle nettement dans ses photographies. Comment ses images peuvent -elles rappeler le respect et la crainte, elle répond : « Tout ce qu'elles demandent est un souci du cœur. Sans lui, même le meilleur des équipements modernes manquera la beauté et l'essence d'une plante. »

 

Photographies de Mme Chen Yueh-hsia.

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