12/06/2025

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

Les enfants, gardiens de la tradition

01/03/1989
Avec l'autorisation du Musée du Palais à Taipei. Le marchand de jouet (détail), de Sou Han-tchen (dynastie Song, 960-1279)

De tous temps, les enfants ont joué, parfois à la grande appréhension de leurs parents, avec des objets de toutes formes et de toutes dimensions, produisant chacun de différentes tonalités. En Chine, l'accent est particulièrement mis sur les jouets qui évoquent le rayonnement de l 'héritage culturel. Les jeux d'enfant ont été maintes fois décrits dans les romans anciens ou dépeints dans de nombreuses œuvres picturales classiques. Beaucoup de jouets d'origine très ancienne sont toujours très aimés des enfants de Taiwan aujourd'hui.

Les Chinois sont essentiellement un peuple d'agriculteurs. Leur cadre de vie faisait la joie des enfants dont la créativité trouvait sans cesse des moyens d'expression : les feuilles devenaient navires, celles plus longues de bananier se transformaient en bandeaux. Les brins d'herbe ou de paille habilement noués ou tressés reproduisaient des criquets ou d'autres insectes, les tiges de bambou repliées imitaient des moulins à vent.

Auparavant, les enfants fabriquaient leurs propres jouets qui peu à peu se sont incorporés au patrimoine folklorique. De nos jours, la vie à la ville a beaucoup altéré cette tradition. Les enfants se contentent de jouets en plastique ou en métal fabriqués en série, n'éveillant plus guère leur créativité, ce que déplorent les parents et les instituteurs.

Il reste heureusement quelque espoir de sauvegarder la tradition,malgré les Goldoraks et les autres conquérants de l'espace, simplement parce que les jouets traditionnels sont toujours une source d'amusement.

Un artisan-colporteur sculpte la tête d'une marionnette.

Une légende chinoise raconte l'histoire d'un homme, appelé Liang Ping-lin, qui échouait régulièrement aux grands examens impériaux permettant l'accès à la fonction publique et, en même temps, aux honneurs et aux privilèges. Se croyant victime du mauvais sort, Liang Ping-lin se rendit tout désespéré au temple de Sien Kong, le dieu de la Droiture, à qui il demanda d'être éclairé sur son avenir. Pendant la nuit qu'il passa au temple, il fit un songe où Sien Kong lui promettait « fortune et célébrité à portée de la main ».

Comprenant dans ce rêve un heureux présage, Liang Ping-lin tenta à nouveau de passer les examens impériaux mais échoua. Accablé et désorienté, il partit à la campagne pour réfléchir sur son sort. Il vint s'asseoir, l'air absent, devant un groupe d'enfants qui jouaient avec des marionnettes assez rustiques, probablement de leur propre fabrication. Intrigué, il les observa attentivement et, soudain, il comprit la signification des paroles du dieu de la Droiture.

Candidat malheureux à la fonction publique, il possédait de par ses études une grande connaissance des Classiques chinois et se trouvait enfin en mesure de la concrétiser. Il fabriqua des marionnettes plus élaborées à l'effigie des héros légendaires et des personnages historiques et donna des représentations qui attirèrent les foules. Il gagna ainsi fortune et célébrité comme le lui avait prédit Sien Kong.

Avec l'autorisation du Musée du Palais à Taipei.
Enfants montant un théâtre de marionnettes (peinture des Song).

 

Les marionnettes à gaine ont captivé des générations d'enfants et d'adultes. Celles utilisées de nos jours à Taiwan tirent leur origine de Tsiuantcheou, dans la province du Foukien. Le spectacle des marionnettes à Taiwan s'est développé selon différentes tendances. Au nord, l'influence du continent est plus marquée et les marionnettes se rapprochant du style de l'opéra de Pékin sont vêtues de somptueux costumes de brocart.

Généralement, deux types apparaissent dans les spectacles : l'homme de lettres et l'homme de guerre. Les montreurs habiles leur donnent vie au cours de scènes hautes en couleur qui enseignent les valeurs morales, le courage et le bon sens. La poésie du lettré, accompagnée d'une musique subtile, contraste violemment avec les combats du soldat sur fond de cliquetis d'armes, bruits de gong et de tambour.

Les têtes des marionnettes traditionnelles sont en terre ou en bois sculpté. Les traits du visage, délicatement peints ou gravés, dénotent le caractère du personnage, généralement un dieu ou un héros légendaire. Les mains sont conçues pour des performances difficiles, comme des scènes de libations ou de calligraphie. Les marionnettes qu'utilisent les enfants sont apparemment identiques, mais beaucoup moins élaborées et aujourd'hui le plus souvent en plastique pour durer plus longtemps. Faites de tissu et de ficelle à la campagne, elles gardent toujours cette simplicité qui charma tant Liang Ping-lin autrefois.

Avec l'autorisation du Musée du Palais à Taipei.
Jeux divers, détail de la célèbre peinture des Song, les Cent enfants.

Les enfants aiment le bruit, et tous les parents du monde le savent très bien. Les deux « jouets bruyants » préférés des enfants chinois restent le « bourdon » et le tambourin. Le « bourdon » se compose d'une bobine creuse en bambou ou en carton fort, fermée d'une feuille de papier huilé et tendue, percée en son milieu d'une ficelle reliée à une baguette. Celle-ci, servant de pivot est actionnée de sorte que la bobine tournoie dans les airs au bout de la ficelle tendue et produit une sorte de vrombissement ou de bourdonnement. Les enfants manient notamment le « bourdon » pendant la saison du Nouvel An chinois.

Ce jouet que les parents n'apprécient guère pour son bruit crispant est pourtant le sujet d'un conte de piété filiale. Il était une fois en Chine pendant la période dite des Printemps et Automnes (770-476 av. J.-C.) un personnage d'âge mûr, Lao Laï-tse, qui veillait encore sur ses parents malades et aigris, passant la journée à regretter leur jeunesse d'antan. Un jour, il voulut les distraire. Après l'avoir maintes fois tenté avec quelques gamineries, il inventa la meilleure : le « bourdon ». Il se mit à danser autour du vieux couple en faisant tournoyer à grand bruit son « bourdon », si bien que ses parents retrouvèrent leur gaieté. Grâce à cet artifice, ce fils dévoué fut élevé au rang des héros légendaires du confucianisme.

Une parade de joueurs de tambourin sur des échasses.

Le tambourin chinois est formé d'une membrane huilée et tendue sur chaque bout d'une boîte d'une dizaine de centimètres de diamètre, à l'instar d'un tambour. A chacun des bords du tambourin est attachée une ficelle portant en son autre bout une grosse bille. Le tambourin comporte un court manche auquel on imprime un mouvement semi-rotatoire pour lancer les billes qui frappent à tour de rôle les peaux et produisent un son saccadé. Plus rapide est le mouvement, plus bruyant est le jouet.

Pendant la saison du Nouvel An chinois, et notamment lors de la fête des Lanternes, le crépitement des tambourins effraie ou chasse les mauvais esprits pour toute l'année. Les parents amusent souvent les nouveaux-nés avec ce jouet. Les colporteurs l'utilisent également pour signaler leur présence au voisinage.

Le plus connu des jeux d'enfant chinois est certainement le cerf-volant. Si les enfants sont de loin les plus nombreux à lancer leurs cerfs-volants dans les vents d'automne, les adultes se joignent volontiers à leurs ébats qui, pour ces derniers, sont plus qu'un simple divertissement, surtout lors des « batailles de cerfs-volants ». Deux concurrents doivent manœuvrer habilement leur armature éolienne pour parvenir à couper le lien de l'adversaire qui voit son cerf-volant lui échapper. En effet, la queue de ces cerfs-volants est munie d'une lame de rasoir. Aujourd'hui, ces « batailles » agrémentées de nombreux paris attirent autant les adolescents que les adultes...

Retour du dragon après un envol superbe. Le cerf-volant est un jeu fort goûté des adultes aussi.

Les cerfs-volants sont au cœur de la fête du Double-Neuf, le neuvième jour du neuvième mois lunaire, célébrée par les Yué, au sud de la Chine, pour éloigner les maladies et les mauvais esprits qui sévissent au moment des moissons.

Cette coutume vient d'une légende des Han (206 av. J.-C. -220 ap. J.-C.). Un fermier, Houan King, fut averti par son ami magicien, Feï Tchang-fang, que le malheur s'abattrait sur lui et les siens pendant la période des moissons à moins qu'il ne se rende avec sa famille sur une haute montagne. Là, il y boirait du vin de riz mélangé à des pétales de chrysanthème pour conjurer le sort. Et le fermier de suivre pieusement ce sage conseil qui lui épargna le malheur prophétisé.

Ainsi, les Yué célèbrent tous les ans la mémoire de Houan King par un pélerinage familial dans la montagne ou la colline voisine où ils accomplissent quelques rites pour conjurer le mauvais sort et consomment abondamment le même vin mélangé à des pétales de chrysanthème et d'autres fleurs fraîchement cueillies. Sur les hauteurs et en plein air, comme toute la famille s'ébat joyeusement, les enfants en profitent pour lancer au vent leur cerf-volant.

Les cerfs-volants traditionnels du Double-Neuf en soie et en papier prennent la forme d'animaux de bon augure : poissons, oiseaux, chauves-souris, insectes et d'autres symboliques. Parfois, on attache sur les queues de cerf-volant des pétards qui crépitent en plein vol et brûlent quelquefois le jouet à la plus grande joie des spectateurs. C'est le moment d'applaudir et de porter des toasts ou d'exprimer des souhaits.

Avec l'autorisation du Musée du Palais à Taipei.
Divertissements en temps de paix (détail), le cerf-volant (peinture des Tsing, 1644-1911).

Ces manifestations de joie se sont au fil des siècles transformées en véritable attraction populaire. C'est avec enthousiasme que les enfants et les parents déploient dans le ciel d'été des flottes d'insectes, de dragons et de créatures aux mille formes et mille couleurs.

Aujourd'hui, les cerfs-volants en plastique ou en papier, en forme d'avions, de véhicules modernes, de supermans ou de héros de science-fiction, ont tous rejoint les traditionnels symboles de bon augure sur les étalages des marchands... et dans les airs. Mais beaucoup préfèrent encore confectionner le leur et avoir le plaisir de voir planer leur propre création.

Le petit moulinet, constitué d'une hélice montée sur un bâton, un peu comme en Europe, est l'un des autres « jouets éoliens » favoris des enfants chinois. Son invention est attribuée à Mo Ti, philosophe de l'époque des Royaumes combattants (453-256 av. J.-C.). A l'origine, le moulinet était entièrement en bois. De nos jours, il est en bambou, en papier ou en plastique. Si le vent est assez fort, l'hélice tourne toute seule. Mais les enfants préfèrent bien souvent courir dans les cours, les parcs et les jardins pour le faire tourner.

Avec l'autorisation du Musée du Palais à Taipei.
Les lanternes multiformes et multicolores, détail de Divertissements en temps de paix (peinture des Tsing).

Il existe de nombreuses variantes du petit moulinet dont une qui consiste en une simple hélice que l'on lance en l'air. Celle-ci, taillée dans du bois de sycomore et percée d'un trou en son centre, est d'abord posée sur un bâtonnet. On la fait tourner sur son support jusqu'à ce qu'elle s'en détache et tournoie dans les airs.

Sous les Han, les dames de la cour inventèrent toutes sortes de divertissements. L'un d'eux consistait à jouer au volant avec le pied. Le volant était fait d'un matériau simple et léger (une pièce de métal, de bois ou un caillou) enveloppé de tissu ou de cuir auquel on fixait des plumes. Pendant la partie, le volant ne devait point toucher terre. On pouvait se servir du cou-de-pied, des orteils, de la cheville ou même du genou pour maintenir le volant en l'air, mais jamai des mains. La partie de volant prenait fin lorsque le volant tombait à terre.

Jeu féminin de cour, il se répandit rapidement dans tout l'empire chinois, et les hommes se mirent à le pratiquer. De nos jours, c'est un divertissement très populaire qui demande promptitude, résistance et habileté aux joueurs. Il existe de nombreuses variantes, mais les règles essentielles ne sont point altérées.

Un ouvrage du XIIIe siècle, sous la dynastie Song (960-1279), mentionne un autre jeu qui demandait beaucoup moins d'énergie que le volant : la toupie. Ce passe-temps apprécié des jeunes comme des adultes attirait également les badauds. De nombreuses peintures des Ming (368-1644) dépeignent les concours de toupies dans les cours de temple et la foule de curieux massés autour des joueurs.

Un jeu d'adresse : le tressage de criquets et autres insectes avec des brins de paille.

Les toupies traditionnelles surprennent par leur taille imposante et par leur poids qui peut atteindre jusqu'à 80 kg. Les faire tourner n'est pas une mince affaire, même pour ceux qui ont pratiqué ce sport depuis l'enfance avec des toupies de taille plus réduite. On enroule sur la partie conique de la toupie une corde d'une longueur égale à deux fois la plus grande circonférence, laquelle corde sert au lancement. Chaque année, il y a à Taiwan des concours de toupie qui rassemblent de nombreux concurrents et parieurs. Jeu de cour, il est aussi devenu un jeu populaire qui se pratique le plus sérieusement du monde.

Les lanternes ne sont pas des jouets au sens strict du terme, mais elles font la joie des enfants et des adultes durant certaines festivités. Les taoïstes, pour leur part, y peindront les Huit Immortels ou les Généraux célestes. Quant aux lanternes blanches, on ne les utilise que pour les cérémonies cultuelles aux ancêtres.

Le 15e jour du premier mois lunaire, a lieu la fête des Lanternes qui marque la fin de la saison du Nouvel An chinois et doit porter bonheur pendant toute l'année. Les enfants déambulent le soir dans les rues, une lanterne à la main pour accueillir l'année nouvelle. Ces lanternes brillent partout dans la nuit comme autant de signes de renouveau et d'espoir. Autrefois, la fête des Lanternes donnait lieu à un concours où les familles rivalisaient d'habilité et d'imagination pour confectionner la plus belle lanterne. Le gagnant relevait le prestige de sa famille pour qui ce succès promettait une année heureuse.

Un jeune lanceur de toupie et son jouet énorme...

Les enfants aidaient souvent à la confection des lanternes, faites d'une pièce de soie ou de papier tendue sur une charpente fine en bambou à l'intérieur de laquelle on disposait une bougie ou une mèche à huile. De nos jours, certaines lanternes exposées dans les temples respectent la tradition mais celles qu'achètent les enfants sont en plastique, munie d'une pile sèche et une ampoule électrique, beaucoup moins dangereuses. Les navettes spatiales, les soucoupes volantes, les autres merveilles de la technologie moderne et même les héros de bandes dessinées ont quelque peu supplanté les divinités ou symboles propitiatoires du passé. Elles plaisent certainement beaucoup plus à tous les fans de la télévision.

A Foutcheou, capitale du Foukien, la famille offrait aux jeunes femmes mariées sans enfant une lanterne décorée à l'effigie de Kouan-yin, déesse de la Miséricorde, avec l'inscription : « Puisse Kouan-yin te donner un fils. » Cette lanterne était apportée au temple de la déesse entre le 5 et le 14 du premier mois lunaire, juste avant la fête des Lanternes.

Les enfants suivent du regard les doigts agiles du modeleur de figurines.

Les statuettes disposées ou exposées dans les maisons et les temples ne sont bien souvent qu'un modelage de pâte de riz durcie. Les plus courantes représentent les parents et leur poupon joufflu (un signe de prospérité), des héros légendaires, des dieux, des animaux symboliques. L'œuvre célèbre de Tchang Tse-touan de la dynastie Song, La cité de Cathay, retrace la vie quotidienne des Chinois de l'époque dans la capitale de l'empire, Pien-king (aujourd'hui Kaï-fong) et le long de la rivière Pien qui la traverse. On y voit des marchands de porcelaine, de jouets, des paysans chargés de riz ou des femmes comparer le prix des légumes. Au coin d'une rue, un homme modèle de petites figurines en pâte de riz sous le regard intéressé des enfants.

Cette œuvre révèle que le modelage existait déjà au XIe siècle et est donc populaire en Chine depuis quelque mille ans. Ces figurines, riches en couleurs et en détails, étaient à la fois jouets d'enfant et offrandes dans les temples ou pour le culte des ancêtres.

Avec l'autorisation du Musée du Palais à Taipei.
A la poursuite d'un couvre-chef (à gauche) et un jeu de balle (à droite). Des jeux universels et immémoriaux... (peinture classique).

La pâte faite de farine, de riz glutineux, d'eau, de conservateurs (huile de banane et sucre) et divers pigments, est d'abord sommairement modelée et fichée sur un support en bois. Une fois sèche, elle est délicatement incisée. Les figurines s'inspirent en général des contes moraux ou des croyances taoïstes, comme celles qui représentent les Huit Immortels.

Ces jeux traditionnels continueront d'exister tant que les enfants chinois feront agir et parler leurs poupées en pâte de riz, qu'ils lanceront à l'assaut leurs cerfs-volants coupeurs de liens, qu'ils feront tourner leurs toupies ou tinter leurs tambourins. En fait, les enfants sont à leur façon de bons gardiens de la tradition.

Les lanternes en plastique imitant les navettes spatiales ou les héros de la fiction télévisée attristent certes les traditionnalistes. Qu'ils ne désespèrent point, les artistes, les instituteurs et les animateurs sont toujours là pour rappeler la tradition aux enfants et éveiller leur créativité. Les dieux ne sont pas oubliés mais seulement réinterprétés dans l'environnement moderne. Peut-être se réjouissent-ils même de leur nouvelle allure!

 

Autour des « neuf anneaux », jeu de réflexion et de perspicacité.

 

Photographies de Joseph Chen.

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