26/04/2025

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

Les visions de Chen Chao-pao

01/05/1984

Un artiste qui transcende les traditions de la peinture chinoise

Une perception vigoureuse de l'histoire chinoise.

Chen Chao-pao, de sa main habile, s'est débarrassé des lourdeurs de l'his­toire et a appris à faire danser cette vieille maîtresse avec aisance et charme. Se servant du passé pour s'adresser au présent, il suit les plus hautes exigences de la peinture traditionnelle chinoise.

Il y a deux choses qu'il aurait pu faire. D'une part, il aurait pu, comme tant d'autres, simplement développer son idée de la tradition et ignorer le monde moderne qui pénètre de tous côtés. D'autre part, il aurait pu refuser son propre héritage et s'échapper dans quelque création moderne à l'occiden­tale. Esquiver les réponses banales l'a amené à poser des questions plus intéres­santes. Ce qui le met maintenant en mesure de peindre quelque chose de plus intéressant. Pour cette exposition, il s'est restreint aux thèmes et aux sujets de la peinture chinoise tout en y appor­ tant un rythme et une perspective modernes.

Notons tout d'abord que M. Chen Chao-pao est un dessinateur largement publié et, bien que les peintures exposées ne soient pas de simples bandes dessi­nées, elles témoignent néanmoins de la maîtrise de leur auteur en tant qu'illus­trateur. Nous remarquons, quand il traite les thèmes et les mythes chinois les uns après les autres, qu'il lui suffit de quelques touches de couleur posées comme au hasard pour apporter à ces peintures vie et animation. C'est de l'il­lustration si nous pouvons encore l'appe­ler ainsi; à un très haut niveau en tout cas: une manière qui à une longue his­toire dans la peinture chinoise.

Les oeuvres de cet artiste vont dans de nombreuses directions à la fois et avec un succès inégal. Cette exposition est de qualité inégale mais ses points forts sont plus impressionants que ses fai­blesses. Ceci nous amène à sélectionner quelques oeuvres dans l'espoir de saisir le meilleur de ce que M. Chen Chao-pao peut offrir.

Le premier groupe, je l'appellerai les peintures "historiques". Ce sont les plus anciennes de l'exposition. Ici, M. Chen Chao-pao fait face au problème des peintres chinois qui veulent articuler la réalité d'aujourd'hui avec le langage d'autrefois. Dans chacune de celles-ci, il présente une image bien connue du passé et y juxtapose une image moderne. Il pose ainsi la question de l'utilité du passé pour le présent. Il n'accepte pas le passé mais le questionne. Dans chacune des peintures, quelque interrogation est posée et dans l'ensemble, elles réflètent les sentiments mêlés de l'artiste quant à son passé artistique.

Par exemple, dans Femmes qui chan­gent: sur la gauche, peint de manière tra­ditionnelle, se trouve un groupe de cour­ tisanes en robes longues, cependant que sur la droite, une femme nue, peinte dans le goût français du XVIIe siècle, en­ cadre les autres en contre-profil.

Dans une autre, Culture en détériora­tion, il y a un morceau de soie en lambeau orné d'un vieux dragon chinois. S'envo­lant d'un coin, plus bas, comme misé­rable et suppliant, toujours ce nu fran­çais, très sensuel. Le message pour ceux qui ont des yeux pour questionner est une image très ambiguë et suggestive. Il est clair que le dragon, autrefois roi du Ciel, ne le parcourt plus tout seul parce qu'il n'a plus maintenant pour les Chi­nois l'importance qu'ont encore l'ours pour les Russes ou le bouledogue pour les Anglais.

Un troisième exemple, peint un peu plus tard, mais traitant le même thème du passé culturel perdu s'intitule La dynastie Tang s'efface de nos mémoires. Il montre une femme de cour sur sa mon­ture et nous regardant, mais comme le titre le suggère nous perdons contact avec elle car elle est représentée sur un cheval gris sur fond gris. Même si nous pouvons encore nous rappeler à quel type elle correspond, par la façon dont elle est peinte, elle glisse entre nos doigts et elle devrait être peinte aujourd'hui d'une façon moderne tachiste. Le temps s'écoulant les styles perdent de leur charme et les gloires d'hier s'estompent. C'est ce que M. Chen Chao-pao semble dire et redire.

Parlant de femmes, nous en arrivons à un second groupe de peintures: ses nus français en Chine qui montrent une autre facette de l'intérêt artistique de l'auteur. Leurs contours sont juste es­quissés, leurs attitudes alanguies, leur franche nudité et sensualité un vrai piège pour cupidon, le tout rappelant quelque origine française. Elles flottent malgré cela à travers des paysages chinois pleins de fleurs, d'oiseaux et de fleurs de pru­nier. Ces femmes aguichantes se prélas­sent un peu partout, étirant leurs membres graciles sur tout le papier blanc comme s'abandonnant sur des draps de soie. Elles ne sont pas des femmes vrai­ment modernes, certainement pas des femmes actuelles. Elles sont les fantaisies d'un artiste qui aime à se complaire dans un art exotique et étranger. Tout cela est très lointain au point que M. Chen Chao­-pao, se demande peut-être s'il est un peintre de cour français qui rêve être un peintre chinois ou, se réveillant soudain, il se demande si l'inverse n'est pas vrai aussi.

Nous en arrivons alors au troisième groupe, Illustration. Dans le tableau inti­tulé Pas de moi, nous trouvons un pay­sage sauvagement éclaboussé d'encre avec ce que nous pourrions prendre pour des montagnes, un petit village à l'arrière plan et une rivière en premier plan. Un gentilhomme chinois se tient sur la rive regardant quelqu'un qui se trouve dans ou sur la rivière. Ce tableau représente l'histoire de Tchouang-Tseu qui, se pro­menant avec un ami le long d'une ri­vière, vit des poissons dans le courant et s'exclama sur leur bonheur à jouer dans l'eau. L'ami lui répliqua qu'il ne pouvait savoir si les poissons étaient heureux et qu'il n'avait aucune raison de dire qu'ils l'étaient. Sur quoi Tchouang-Tseu répon­ dit qu'il, l'ami, n'avait aucune raison de dire que lui, Tchouang-Tseu, n'avait pas le droit de dire comment les poissons se sentaient. La peinture de M. Chen Chao-pao ajoute quelque chose à cette histoire en nous donnant une image de Tchouang-Tseu telle qu'il nous est im­possible de dire s'il est vraiment un homme ou un poisson. Son ami, debout sur la berge, allonge le cou d'étonnement en voyant ses propres certitudes conventionnelles réduites à rien par l'esprit du maître.

Pour ce qui est du tableau Videz votre esprit (sur le chemin de la réalisation spi­rituelle), l'image présentée est évanes­cente. Deux monticules de terre déli­mités par de fines lignes brisées et ponc­tuées par seulement cinq points d'encre sont suffisants pour nous rappeler l'in­jonction littérale du peintre pour écono­miser l'encre. Au sommet de les monti­cules se trouve une petite tache d'encre rouge dans laquelle on peut reconnaître un moine ou un étudiant assis regardant le ciel. Ce sur quoi il est assis, bien sûr, n'est rien, c'est-à-dire rien que son esprit près de se libérer dans le vide de la pure joie.

Un quatrième ensemble de peintures est plutôt ce que l'on pourrait nommer expériences dans l'abstraction. Ce n'est pas que ces images soient dénuées de sujet, car la plupart sont des paysages à l'origine chinoise discernable. Il reste clair cependant qu'à travers elles, l'artiste transcende la tradition de peinture chi­noise et introduit quelque chose de l'expressionisme abstrait américain.

La plus belle oeuvre de cette série est intitulée Grandeur du temps. Se pro­pulsant à travers des paysages surchargés, un cheval rouge et son cavalier abandon­nent toute prudence dans leur chevau­chée à travers un temps sans limite. Le cheval rouge qui n'est pas un cheval du tout, comme on nous l'a dit dans une peinture précédente, emmène son cava­lier à toute allure avec une folle détermi­nation. Le cavalier semble avoir oublié son but et regarde par dessus son épaule le spectacle qui défile. Dans une profu­sion de montagnes empilées les unes sur les autres, la vitesse vertigineuse des temps modernes est évoquée, et, ce mo­numental érudit à cheval sur sa toni­truante "absence de monture" file à tra­vers l'histoire. M. Chen Chao-pao est ce joyeux cavalier tout à sa chevauchée, in­souciant et téméraire. Nous lui souhai­tons bonne route.

Ce qui me touche le plus, comme sous-jacent à toutes ces oeuvres, est leur tempo singulier qui est très rapide et mo­derne comme celui du jazz ou du jitter­bug. L'esprit qui questionne derrière toutes ces oeuvres est celui d'une menta­lité actuelle. Bien qu'être moderne en soi-même n'implique aucune qualité d'excellence ni même aucun intérêt, être traditionnel de la même façon n'im­plique aucune garantie non plus. Pour ce qui est de l'art, il n'existe simplement pas de chemin tout tracé. Quoiqu'il en soit, M. Chen Chao-pao résolu le pro­blème pour l'instant en étant tout ensemble un peintre chinois et un homme moderne. Ses oeuvres sont une des nom­breuses réponses possibles à cette diffi­cile confrontation. Un art vraiment chi­nois va-t-il s'épanouir à notre époque? ■

 

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