19/05/2025

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

Voyager en travaillant

01/04/2013
Un verger en Australie. A l’étranger, quand on change radicalement de vie, on noue parfois des amitiés plus fortes. (AIMABLE CRÉDIT DE REDD YANG)
Périodiquement, les médias s’intéressent au style de vie soi-disant « alternatif » qui consiste à parcourir le monde pour mieux se connaître soi-même. On lui donne à chaque fois un nouveau nom : aventure, année sabbatique, bourlingage autour du monde, voyage d’étude… En ce moment, c’est l’expression « vacances-travail » qui fait florès. Et non seulement les jeunes Taiwanais peuvent maintenant relativement facilement prendre une année pour aller à la découverte de cultures exotiques, mais ils ont aussi, d’une certaine manière, le sentiment que c’est un dû.

Il y a une vingtaine d’années encore, il fallait se battre pour avoir l’opportunité de se rendre à l’étranger et peut-être redorer son curriculum vitae d’un diplôme d’études supérieures décroché dans une université lointaine. De nos jours, les jeunes ont plutôt tendance à travailler pour financer leur séjour à l’étranger, une manière également de se prouver quelque chose. Mais la question est toujours la même : aller où et pour quoi faire ?

Catherine, 27 ans cette année, a pris un vol pour Melbourne, en Australie, avec des rêves d’indépendance, dans un environnement tout nouveau pour elle. Cela dit, elle savait pouvoir rester en contact quasi permanent avec ses amis grâce à l’Internet. Elle a trouvé un job de serveuse dans un restaurant japonais où, à raison de 35 h de travail par semaine, elle arrive à couvrir ses dépenses courantes.

Certains de ses amis, à Taiwan, n’ont pas la même confiance en eux. Beaucoup ont l’impression que leur anglais laisse par trop à désirer pour suivre son exemple. Ils ont donc préféré passer par une agence. Pour Catherine, c’est une solution qui aurait non seulement été trop coûteuse, mais qui aurait aussi diminué le sentiment de gratification que lui apporte la réussite de son séjour à l’étranger. « L’intérêt d’une période de vacances-travail, dit-elle, c’est de prendre des risques, de faire face à l’inconnu. »

Après ses études supérieures, la jeune femme a travaillé dans une boîte de cours du soir pendant quatre ans. Le séjour vacances-travail était pour elle une façon de se lancer un défi, de vérifier qu’elle serait capable de quitter sa routine confortable pour faire quelque chose de nouveau. Naturellement, elle a rapidement épuisé ses économies, et au bout d’un mois à Melbourne en roue libre, elle a d’abord connu quelques moments de désespoir.

La cruelle vérité

« Je peux résumer mon expérience de la recherche d’un travail en ville en un seul mot : dur ! » Catherine parle anglais couramment et n’avait pas peur de travailler de longues heures, ayant effectivement derrière elle ce genre d’expérience lorsqu’elle travaillait pour financer ses études. Elle pensait donc qu’elle n’aurait aucun problème à trouver un job. Mais elle avait sous-estimé la concurrence : en Australie, l’exode rural est une donnée forte, et les employeurs préfèrent recruter parmi la population locale. Elle s’est finalement décidée à consacrer deux semaines à une formation lui permettant d’obtenir un certificat australien de barmaid professionnelle, avec lequel sa recherche d’emploi a fini par aboutir.

Le coût de la vie est toutefois assez élevé à Melbourne. A Taiwan, elle gagnait bien sa vie et se souvient qu’elle n’hésitait pas à prendre le taxi quand elle sortait le soir, mais ici, elle ne peut se permettre que les transports en commun. Il lui en coûte tout de même 7 dollars australiens (environ 210 dollars taiwanais) par jour rien que pour aller travailler et rentrer chez elle, ce qui lui fait regretter le métro de Taipei. « Mais je ne me plains pas. Personne ne m’a forcée à venir. »

Agent ou pas ?

Est-il préférable de passer par une agence spécialisée pour trouver un emploi à l’étranger ? Ceux qui sont pour cette solution apprécient le gain de temps qu’elle offre et aussi son côté rassurant puisqu’elle permet de partir en sachant où on va. D’autres pensent au contraire que tout l’intérêt de l’expérience est de rompre la routine, et que c’est bien cela qui est excitant. S’en remettre à une agence, c’est faire l’impasse sur le sentiment de liberté et d’exploration qu’engendre la recherche d’un emploi dans un pays étranger.

La question qui se pose aussi souvent aux candidats à un séjour de type vacances-travail est de savoir s’il vaut mieux pour eux choisir la ville ou bien la campagne. Il y a ceux qui raisonnent qu’à la campagne, ils auront moins de chances de tomber sur des gens parlant la même langue qu’eux et qu’ils feront donc plus rapidement des progrès dans la langue du pays d’accueil. Et puis les emplois dans l’agriculture, par exemple, promettent davantage de dépaysement.

Catherine, qui à Taiwan enseignait l’anglais, a pour sa part reculé devant l’idée de se retrouver à traire des vaches ou à tailler la laine des moutons. « Le choc aurait été trop fort », dit-elle. Elle a aussi pensé, à tort ou à raison, que de vivre dans une petite ville diminuerait peut-être les possibilités d’échanges avec la population locale. Et puis, à Melbourne, elle peut aller au musée, au cinéma, ou faire du shopping quand ça lui chante.

Belle Chuang, qui adore voyager, a quitté en 2010 un emploi stable pour tenter sa chance en Australie, où elle a finalement trouvé le succès en tant que portraitiste de rue. (AIMABLE CRÉDIT DE BELLE CHUANG)

Question de génération ?

Etrangement, à Taiwan, le succès de la formule vacances-travail suscite des critiques. On a pu entendre des gens avancer la théorie selon laquelle ces jeunes seraient prêts à tout, même à faire un travail d’ouvrier agricole, pour gagner quelques dollars… Ce sont souvent les mêmes qui trouvent dégradant pour des jeunes gens bardés de diplômes d’aller trimer de la sorte chez les autres. Or les motivations des jeunes sont très diverses, et l’espoir d’amasser un pécule rapidement n’est certainement pas la première d’entre elles. Une enquête réalisée par la Fondation Kang Wen pour la culture et l’éducation en septembre dernier auprès de 226 jeunes montre que, parmi 25 raisons de partir travailler pendant ses vacances à l’étranger, le désir de « gagner de l’argent » arrivait en avant-dernière position. La plupart des sondés ont mis en avant des objectifs comme « ouvrir mon horizon », « améliorer mon niveau dans une langue étrangère », « apprendre à devenir plus indépendant » ou « essayer des choses nouvelles ».

A la question de savoir dans quel pays ils voudraient se rendre, 19,5% des sondés ont répondu le Canada, 19% l’Australie et 9,3% le Royaume-Uni, les pays anglophones ayant la faveur des jeunes. Il faut noter que Taiwan a signé un accord sur les séjours vacances-travail avec le Canada, et qu’il est aisé depuis là-bas de se rendre aux Etats-Unis et en Amérique centrale. En outre, alors que dans d’autres pays, la formule vacances-travail est réservée aux 18-30 ans, au Canada, on peut en bénéficier jusqu’à 35 ans.

Lin Yen-jie [林彥潔] a passé l’année 2010 à Vancouver avec un visa vacances-travail. Avant cela, il avait démarré une carrière de cinéaste et producteur. Au Canada, a-t-il rapidement constaté, les seuls emplois disponibles pour les étrangers comme lui sont dans le secteur des services. Mais au moins, ajoute-t-il, au Canada, on peut travailler comme serveur dans un café et se sentir respecté tout de même.

Lin Yen-jie n’aime pas les commentaires désobligeants qu’il a pu entendre dans son pays sur les jeunes gens qui, comme lui, partent vivre quelque chose de neuf à l’étranger. Il en avait tellement marre d’entendre dire que les vacances-travail sont une perte de temps qu’il a tourné un documentaire sur ce thème pour démontrer le contraire.

Tirer un trait sur les difficultés

Dans la culture chinoise, 30 ans est un âge où on est censé être « installé » dans la vie, marié et avec une carrière devant soi. Est-ce donc vraiment le moment de tout quitter sur un coup de tête ?

Belle Chuang [莊蕙如], qui approche la trentaine, a fait des études d’art. Elle occupait un emploi de dessinateur industriel, mais ce travail assez routinier lui avait peu à peu fait perdre sa passion pour l’art. Un jour, c’est la remise en question. « Je n’étais pas faite pour cette vie-là », se dit-elle. Elle a alors décidé de partir à l’étranger avec un visa vacances-travail et de tenir une sorte de journal artistique de cette expérience. Mais, arrivée en Australie, elle s’est aperçue que cela n’était pas si facile d’y trouver un emploi stable, et finalement, sur les conseils d’un ami, elle s’est installée comme portraitiste dans la rue. « Je n’aurais jamais osé faire cela à Taiwan ! », confesse-t-elle. Les premiers jours, assise avec son chevalet dans une rue de Perth, elle n’arrêtait pas de se poser la même question : « Est-ce qu’on peut vraiment gagner sa vie comme ça ? » Mais les clients s’asseyant les uns après les autres pour se faire tirer le portrait, elle a pris confiance en elle.

Son expérience en Australie, dit-elle, lui a permis de regagner ce qui lui manquait le plus – pas tant de dessiner que de pouvoir laisser sa personnalité d’artiste s’épanouir. Après un bref retour à Taiwan, elle est repartie, cette fois pour l’Allemagne, déterminée à se mettre de nouveau au défi et de reconquérir le monde à la pointe de son crayon.

Michelle Wojtkowiak aime tellement les gâteaux fourrés à la pâte de haricots sucrée qu’elle a repris l’étal d’un vendeur ambulant à Banqiao. (CHIN HUNG-HAO / TAIWAN PANORAMA)

Une Allemande à Taiwan

Si les jeunes Taiwanais sont légion à s’expatrier temporairement avec un visa vacances-travail, on ne peut pas dire que, dans l’autre sens, on accueille des cohortes de jeunes étrangers. Un millier à peine ont fait ce choix jusqu’ici depuis que Taiwan a signé son premier accord de ce type, avec la Nouvelle-Zélande, en juin 2004. C’est le cas de Michelle Wotjkoziak, une Allemande d’une vingtaine d’années qui a découvert Taiwan en 2009 et est tombée amoureuse de l’île. L’année suivante, l’Allemagne et Taiwan ayant signé un accord vacances-travail, elle a décidé d’en profiter pour revenir. Sur place, grâce à des amis, elle a trouvé un logement pas cher, mais la recherche de travail n’a pas été aussi aisée. « En général, les employeurs n’ont jamais entendu parler de la formule vacances-travail, et ils hésitent à recruter des étrangers. » Elle a tenté sa chance dans de nombreux bars et restaurants, sans résultat.

Un jour, un peu désemparée, elle a eu envie de quelque chose de sucré pour se réconforter, et elle s’est arrêtée dans la rue Juguang, à Banqiao, devant l’étal d’un marchand de hong dou bing [紅豆餅], des gâteaux à la pâte de haricots rouges, son péché mignon. A sa grande surprise, le vendeur ambulant a pris sa commande dans un anglais parfait, et ils se sont mis à bavarder. De fil en aiguille, le patron a raconté à la jeune femme qu’il avait l’intention de déménager à Yilan, et dans une soudaine inspiration, la jeune Allemande s’est imaginée à sa place, derrière les moules à gâteaux. L’homme lui a généreusement appris les trucs du métier, et quand il a quitté la ville pour la côte est, elle a repris son étal, grâce auquel elle a finalement un revenu stable. En ce moment, elle vend des hong dou bing six jours par semaine, de 13h à 22h. Elle gagne suffisamment pour couvrir ses frais et même un peu plus. Elle en met un peu de côté, dit-elle, pour se payer des cours de chinois et un voyage autour de Taiwan.

Michelle dit qu’elle aime tellement Taiwan que cela lui a permis de surmonter tous les obstacles, mais elle a compris les réalités du marché du travail local et connaît mieux, maintenant, l’attitude des patrons taiwanais. Aussi, elle ne recommanderait pas à ses amis allemands de suivre son exemple.

Il faut savoir que le salaire minimum n’est à Taiwan que de 109 dollars taiwanais de l’heure, c’est-à-dire moins de 3 euros, et que les conditions de travail ne sont en général pas aussi bonnes qu’en Europe. Il faut aussi dire que les patrons ne sont guère informés des règles qui prévalent pour l’emploi de jeunes venant dans le cadre d’un séjour vacances-travail. Ceux-ci doivent donc s’en remettre à la chance et à leur débrouillardise. La richesse de la culture locale, la beauté des paysages et la gentillesse des habitants attirent beaucoup de touristes, mais on voit que dans ces conditions, il est difficile d’attirer des jeunes Européens, par exemple, avec un visa vacances-travail.

La belle vie

Il est assez commun en Europe et aux Etats-Unis de prendre une année avant l’université pour voyager. En fait, Harvard encourage les étudiants à le faire au moins depuis les années 70.

On peut se souvenir aussi de Che Guevara, le célèbre révolutionnaire argentin qui participa au renversement du dictateur Fulgencio Batista à Cuba en 1959. Avant de rejoindre la guérilla, jeune étudiant en médecine, il était parti avec un copain pour un voyage à motocyclette dans les Andes qui l’emmena dans cinq pays d’Amérique latine, un périple qui eut une profonde influence sur lui.

Par comparaison, les Asiatiques donnent l’impression de garder le nez baissé sur leur ouvrage et de rarement sortir des sentiers battus, même lorsqu’ils ont l’intuition que ce n’est pas forcément la meilleure solution, sans doute par peur d’échouer. Mais les plus belles routes ne sont pas forcément les plus droites, et les jeunes d’aujourd’hui se disent qu’il ne serait pas forcément un mal de faire quelques détours, voire de tourner en rond, pour apprendre, travailler, s’amuser, puis de nouveau apprendre, travailler, s’amuser…

Personne ne sait ce que l’avenir nous réserve, mais cela ne doit pas condamner à la passivité. Si passer une année à l’étranger peut aider à choisir une direction, pourquoi se priver d’une telle expérience ?


Des échanges déséquilibrés

T. S.-f.

Selon le ministère des Affaires étrangères, entre 2004 et 2007, seulement 12 000 jeunes Taiwanais environ avaient séjourné à l’étranger avec un visa vacances-travail. La formule a toutefois un succès grandissant, et ils ont été 65 000 à en tirer parti sur la période 2008-2012, d’autant que le nombre de pays où ils sont accueillis a augmenté ces dernières années.

Ils se sont rendus en priorité en Australie, au Japon et en Nouvelle-Zélande, les trois pays qui ont été les premiers à leur offrir cette possibilité. Mais les Taiwanais peuvent désormais aussi choisir le Canada et l’Allemagne depuis 2010, la Corée du Sud depuis 2011, le Royaume-Uni depuis 2012 et l’Irlande depuis le 1er janvier dernier. En Australie, un pays qui ne fixe par ailleurs pas de quota pour les Taiwanais, ceux-ci forment le cinquième contingent de jeunes étrangers venus dans un tel cadre.

En revanche, dans l’autre sens, les arrivées sont peu nombreuses. Entre 2004 et janvier 2012, la République de Chine a délivré moins d’un millier de visas vacances-travail, pour la plupart à des Japonais (517), suivis par des Coréens (175) et des Australiens (128). Jusqu’ici, seulement 43 jeunes sont venus de Nouvelle-Zélande dans ce cadre, alors que ce pays a été le premier à signer un accord vacances-travail avec Taiwan, en 2004.


Un accord avec la Belgique

La rédaction

Depuis la fin du mois dernier, Taipei et Bruxelles offrent chaque année 200 visas vacances-travail chacun à de jeunes adultes âgés de 18 à 30 ans. Taiwan est le premier pays asiatique à signer un tel accord avec la Belgique qui devient ainsi le quatrième pays européen, après l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Irlande, à développer cette formule avec l’île. Des négociations sont par ailleurs en cours avec Paris.

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