21/06/2025

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Pai Hsien-yung, l’amour et la beauté

01/01/2016
Aujourd’hui âgé de 78 ans, Pai Hsien-yung évolue dans les cercles littéraires depuis des décennies et n’a rien perdu de son enthousiasme et de son envie d’écrire. (JIMMY LIN / TAIWAN PANORAMA)
Fils d’un général des armées et arrivé à Taiwan en 1952, l’écrivain et metteur en scène Pai Hsien-yung a connu très tôt le succès. A 78 ans, il reste une figure majeure de la scène littéraire taiwanaise et n’a rien perdu de sa curiosité pour la vie

Qu’il s’agisse de Gens de Taipei, de Garçons de cristal ou d’Enfance à Guilin, trois ouvrages de Pai Hsien-yung [白先勇] traduits en français, ou encore de Wandering in the Garden, Waking from a Dream, beaucoup des œuvres majeures de cet auteur ont été écrites dans sa jeunesse.

Pai Hsien-yung a publié sa première nouvelle, Madame Ching, alors qu’il avait une vingtaine d’années. Le style était original et il n’y avait pas trace du romantisme ou de la mélancolie souvent présents dans les écrits juvéniles. Cette maturité précoce reflète le parcours de l’écrivain. « Les gens de ma génération ont connu une période trépidante de l’histoire de la Chine. Cela a affecté nos conditions de vie, nos façons de penser, et nous a contraints à mûrir plus vite », confie Pai Hsien-yung.

Né en 1937, l’année où a éclaté la Seconde Guerre sino-japonaise, Pai Hsien-yung a passé son enfance à fuir l’avancée des combats. Et aussitôt après la victoire contre le Japon, la guerre civile reprit de plus belle entre les nationalistes et les communistes. « Cette guerre, ces destructions et ces combats sans fin nous ont endurcis… Très jeune, j’ai compris ce qu’étaient la douleur, l’angoisse, le désarroi et la déception ressentis par les gens de la génération de mon père. »

La maladie et l’absence d’un domicile fixe expliquent aussi la sensibilité et la maturité précoce de Pai Hsien-yung. Huitième de dix enfants, il contracte la tuberculose à l’âge de huit ans et vit les cinq années suivantes à l’écart de sa famille. Le jeune garçon passe ses journées enfermé, à feuilleter des bandes dessinées. Il profite toutefois de la compagnie du cuisinier de la famille qui excelle non seulement aux fourneaux mais aussi à raconter des histoires tirées des Sept chevaliers et cinq redresseurs de torts, du Voyage vers l’Est et du Voyage vers l’Ouest. « Je montais sur un tabouret et l’écoutais me raconter des histoires alors qu’il faisait la vaisselle. »

On peut dire sans exagérer que le cuisinier a donné au jeune Pai Hsien-yung l’envie d’écrire. « Lorsque vous écrivez des histoires, vous appartenez à la tradition des conteurs. Il vous faut inventer quelque chose qui stimule l’imagination et divertisse. »

« Je m’intéresse à tout ce qui est nouveau », confie-t-il en avouant regarder les séries coréennes à succès My Love from the Star et Dae Jang Geum. « J’étais curieux de la popularité de ces séries télé. J’en ai regardé quelques épisodes et j’ai vu qu’elles étaient produites avec beaucoup de soin. Les costumes, le scénario et la réalisation témoignent d’une attention certaine à la qualité. Et les séries historiques sont encore meilleures ! Le succès des séries coréennes ne doit rien au hasard. »

Les éditions taiwanaise et française de Garçons de cristal.

Garçons de cristal, marque indélébile

Même si ses premiers livres ont immédiatement connu le succès, Pai Hsien-yung est assez critique sur leur qualité. Il estime n’avoir atteint une certaine maturité qu’avec Gens de Taipei, publié en 1971. Et s’il ne devait retenir qu’une de ses œuvres, ce serait Wandering in the Garden, Waking from a Dream, un recueil de nouvelles. « Les vicissitudes de l’Histoire et les déceptions amoureuses y sont plus douloureuses », dit-il.

Les histoires de Pai Hsien-yung ont souvent été adaptées pour le cinéma ou la télévision, ainsi que sur scène pour le théâtre ou la danse. Ces adaptations ont presque toujours été réalisées sous l’œil inquisiteur de l’auteur lui-même.

De toutes ses œuvres, c’est sans doute Garçons de cristal, publié en 1983 et qui dresse le portrait d’un groupe de jeunes homosexuels à Taipei au début des années 70, qui a eu l’impact le plus grand sur la société à Taiwan et au-delà. Garçons de cristal a été salué comme « un opéra qui change la tragédie en poussière d’or ».

« L’homosexualité fait partie de la nature humaine. Ce roman méritait d’être écrit, dit-il. Quand un auteur entre en dialogue avec lui-même, il doit faire preuve d’une honnêteté totale. Quoi que vous croyiez, vous devez l’écrire. »

L’impact du livre a dépassé tout ce que Pai Hsien-yung aurait pu imaginer. Non seulement le livre n’a pas été interdit – à l’époque, la loi martiale restait en vigueur, accompagnée d’une censure des publications –, mais il a été traduit en anglais, français, allemand, néerlandais et japonais, entre autres langues, et vendu dans le monde entier. Une traduction vietnamienne est en préparation et l’auteur a récemment été contacté par un éditeur en Ethiopie pour discuter d’une cession des droits.

En 2014, Garçons de cristal a été monté au Théâtre national, à Taipei. « J’ai prêté attention au moindre détail, au point de les rendre fous !, avoue l’auteur. Mais c’était important. Chaque scène, chaque transition, chaque petit lien devait être parfait. »

Le pavillon rouge

On prétend qu’aucun écrivain n’a été davantage influencé que Pai Hsien-yung par Le rêve dans le pavillon rouge, ce à quoi l’écrivain ne trouve rien à redire. « C’est ma Bible ! », lance-t-il. Il y a d’ailleurs consacré un cours à l’Université de Californie, à Santa Barbara, où il a enseigné pendant 29 ans.

« Vraiment, ce roman est d’inspiration divine. Je l’ai lu et relu, et même si j’ai plus de 70 ans, je n’en ai acquis qu’une compréhension rudimentaire. » A chaque nouvelle lecture, il est ébahi par la beauté de la langue, la grandeur tragique et la fugacité du réel émanant du roman.

Logiquement, le célèbre auteur considère Le rêve dans le pavillon rouge comme un classique parmi les classiques. « C’est un chef-d’œuvre du XVIIIe s., écrit sous le règne de l’empereur Qianlong [乾隆, 1711-1799] et dont il n’existe aucun équivalent dans la littérature occidentale de la même époque. Les plus grandes œuvres de la littérature occidentale datent du siècle suivant mais rien n’égale l’ampleur et la profondeur du Rêve dans le pavillon rouge qui est enraciné dans les pensées bouddhiste, taoïste et confucéenne. L’écriture est si belle. Il y a tellement de personnages. Et en même temps, c’est tellement réaliste. Impossible de trouver cela dans la littérature occidentale. »

« Les détails du Rêve dans le pavillon rouge s’assemblent comme les pièces d’un puzzle. Mais prenez un extrait au hasard et vous verrez qu’il s’agit en soi d’une lecture excellente. » Pai Hsien-yung admire en particulier l’adresse de l’auteur pour développer ses personnages : « Quand ils parlent, on a presque l’impression qu’ils vont bondir de la page, aussi vivants que vous et moi ! »

Une passion éternelle

Si Le rêve dans le pavillon rouge est le summum de la beauté dans la littérature chinoise, alors le kunqu, ou opéra de Kunshan, la plus vieille forme d’opéra chinois qui soit encore jouée, est sans doute ce qu’il y a de plus exquis dans cet art.

« Le kunqu a toujours occupé une place centrale dans ma vie », explique Pai Hsien-yung. Lorsqu’il était enfant à Shanghai, il a vu les célèbres acteurs Mei Lanfang [梅蘭芳, 1894-1961] et Yu Zhenfei [俞振飛, 1902-1993] interpréter Le rêve interrompu (tiré du Rêve dans le pavillon rouge).

Après avoir pris sa retraite de l’Université de Californie, Pai Hsien-yung a consacré une dizaine d’années à promouvoir une renaissance du kunqu. En Occident, note-t-il, l’opéra est un art vocal et le ballet un art chorégraphique. L’opéra de Kunshan combine les deux formes d’art scénique.

L’écrivain n’a pas la technique nécessaire pour chanter lui-même ces opéras – « un grand regret » – mais son enthousiasme ne s’en trouve pas diminué. En avril 2003, il a mis sur pied une troupe formée d’artistes taiwanais, hongkongais et chinois pour la production du Pavillon aux pivoines - La version des jeunes amants. Un an plus tard, l’adaptation de cette œuvre du XVIe s. signée Tang Xianzu [湯顯祖] était créée sur la scène du Théâtre national, à Taipei, avant de partir en tournée mondiale pour 260 représentations. Pai Hsien-yung a personnellement dirigé plus de 150 d’entre elles.

« Beaucoup de gens ont été très émus par ce spectacle qui durait neuf heures », dit l’écrivain qui souligne en outre l’importance d’aller jouer du kunqu sur les campus. « Les cours universitaires consacrés à la culture traditionnelle sont trop peu nombreux et trop segmentés. Le kunqu rassemble la musique, la danse, les beaux-arts et la littérature. Il peut être abordé dans le cadre d’une séance de découverte des arts. »

Dernière photo prise avec son père avant le départ de Pai Hsien-yung pour les Etats-Unis en 1963. (AIMABLE CRÉDIT DE CHINA TIMES PUBLISHING)

Père et fils

Pai Hsien-yung a consacré ces dernières années à écrire la biographie de son père, le général Pai Chung-hsi [白崇禧, 1893-1966]. Son objectif avoué était de défendre l’honneur de ce dernier, en éclaircissant notamment son rôle pendant les semaines ayant suivi l’Incident du 28 février 1947, lorsqu’un soulèvement populaire à Taiwan fut brutalement réprimé par l’armée, faisant des milliers de victimes.

En 2012, il a tout d’abord publié Father and the Republic: Impressions of General Pai Chung-hsi, un travail réalisé à partir de photographies et qui a généré un débat intense à Taiwan, à Hongkong et en Chine continentale, ainsi que parmi les sinologues occidentaux. Puis, en 2014, c’était au tour de Healing the Pain: General Pai Chung-hsi and the 228 Incident, une biographie à part entière qui présente des matériaux historiques et des entretiens portant sur les années passées à Taiwan par le père de l’auteur.

« Il est important de rétablir la vérité des faits », déclare Pai Hsien-yung. L’Incident du 28 Février est un événement très important dans l’histoire de Taiwan, dit-il en expliquant que son père avait reçu l’ordre de se rendre à Taiwan pour faire face à cette crise et qu’il passa sur l’île 16 jours à un moment des plus critiques. Beaucoup de personnes venaient d’être condamnées à mort mais le général signa un ordre interdisant les exécutions sommaires et exigea que toutes les accusations fassent l’objet d’un procès public. Il parvint ainsi à sauver de nombreuses vies, montrent les recherches entreprises par son fils.

Revenir sur le passé a permis à Pai Hsien-yung de mieux connaître son père. « Tant de choses sont arrivées que je n’avais jamais vraiment comprises », confie-t-il.

Un jardin en fleurs

Après plusieurs années où il a été pris dans un tourbillon d’activités, Pai Hsien-yung est retourné en juin dernier aux Etats-Unis : « Il fait bon vivre à Taipei, sauf en été ». Surtout, son domicile californien lui procure une tranquillité qui lui fait désormais défaut quand il séjourne à Taiwan, accaparé qu’il est alors par les projets éditoriaux et artistiques et par les visites à ses proches et à ses amis. « Aux Etats-Unis, j’ai un jardin rempli de fleurs qui demande de l’entretien, des tonnes de livres à lire et de films à voir, et des textes à écrire que j’ai promis à droite et à gauche. » Il s’agit presque d’une vie d’ermite. « Parfois, je passe une semaine sans voir personne. »

La solitude est essentielle à l’écriture. « Ecrire est ce que j’aime par-dessus tout. J’ai tant de choses à dire aux lecteurs que je n’ai pas encore dites correctement ou pas dites du tout. »

Quand il entame l’écriture d’un récit, Pai Hsien-yung a d’abord un personnage en tête. C’est seulement ensuite que se précise la trame de l’histoire. Il écrit toujours sur du papier quadrillé à l’aide d’un feutre à plume à encre noire. « Les ordinateurs me rendent nerveux. J’ai toujours une trouille immense d’appuyer sur la mauvaise touche et d’effacer par erreur tout ce que je viens d’écrire. »

Oiseau de nuit, l’écrivain se met d’ordinaire au travail vers 22 ou 23 h. « Ecrire est lent et laborieux. C’est difficile. Parfois, je ne peux écrire un seul caractère, alors qu’à d’autres moments, j’en écris 2 000 d’une seule traite. Cela dépend. » Si on lui demande ce qu’il est en train d’écrire, il se place subitement sur la réserve et dit simplement : « Parlons-en lorsque j’aurai terminé ! »

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