13/12/2025

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

Sunrise Records, au service de la musique

01/03/2016
Addison Lin a su préserver la dimension humaine qu’avaient insufflée ses parents Lin Min-shan et Chang Bi. (CHUANG KUNG-JU / TAIWAN PANORAMA)
Le Prix spécial pour l’édition 2015 des Golden Melody Awards pour les arts et la musique traditionnels remis à Sunrise Records signe l’aboutissement d’un travail sans équivalent en faveur de la diversité musicale à Taiwan

Sunrise Records [上揚唱片], c’est avant tout l’aventure d’un couple, Lin Min-shan [林敏三] et sa femme Chang Bi [張碧]. Tous deux ont fondé un magasin de disques et travaillé d’arrache-pied durant un demi-siècle pour donner à Taiwan les moyens de sa diversité musicale. Le magasin est niché au rez-de-chaussée d’un immeuble anonyme de l’avenue Zhongshan Nord, à Taipei, depuis la fin des années soixante. Avec le temps, les immeubles de grande hauteur ont poussé tout autour du magasin tandis que les murs de la boutique transpirent de ces moments de passion, de travail, mais aussi d’énervements, de découragements et de soulagements. Pendant toutes ces années, l’amour du couple pour la musique ne s’est jamais flétri.

Les amateurs de musique classique avaient d’ailleurs l’habitude de dire que « si un disque n’est pas chez Sunrise Records, c’est qu’il est introuvable à Taiwan ». C’est dire si Sunrise Records est devenu une sorte de Mecque de la musique et, encore aujourd’hui, dans un monde où le téléchargement est devenu la règle, les commandes des clients continuent d’être épinglées au mur derrière le comptoir du magasin. Addison Lin [林晉賢], propriétaire de la seconde génération, se réfère à son père et sa mère sous les termes de « président » et de « directrice générale ». Pour lui, la vie de ses parents est indissociable de celle du magasin.

Du magasin à l’entreprise

« A l’époque, j’avais l’habitude de dormir juste à l’étage au-dessus, raconte Addison Lin, qui semble toujours regarder Taipei comme en 1967. Au début, poursuit-il, mes parents vendaient des équipements stéréo de ce côté. Les disques étaient derrière et n’avaient pas d’autre utilité que de tester les équipements pour les clients. » Les affaires marchaient bien et ils décidèrent d’investir dans un grand nombre de disques de qualité venant du monde entier et ils attirèrent beaucoup de mélomanes. « En peu de temps, ils se mirent à vendre plus de disques que d’équipements », sourit Addison Lin.

Cet heureux développement a détaché Sunrise Records du secteur de l’audio à proprement parler et l’a projeté vers celui de la distribution de disques. Dans les années 70, Sunrise Records s’est progressivement érigé en référence pour la musique venue de l’étranger. Le magasin distribue alors de la musique classique, du jazz et des musiques du monde pour des maisons de disques telles que DGG, RCA et Telarc. Et en plus d’importer des disques, la maison obtient aussi une licence pour en fabriquer à Taiwan pour le compte de labels étrangers. Ces disques made in Taiwan vendus sur place avec la même qualité musicale mais moins cher se révèlent un succès.

En 1984, Sunrise Record et Ma Shui-long [馬水龍], un compositeur connu pour revisiter les canons occidentaux de la musique classique sur un mode chinois, collaborent sur la production d’un concerto pour flûte de bambou. C’est un succès commercial sans précédent à Taiwan, puis à l’étranger. Dans les années 90, BCC Taiwan sélectionne le thème de ce concerto comme générique de son programme d’actualités quotidien d’une heure. Le concerto devient alors emblématique de cette époque et quiconque a vécu à Taiwan durant ces années s’en souvient !

Le magasin Sunrise Records, sur l’avenue Zhongshan, à Taipei, résiste malgré l’envol de la consommation musicale en ligne. (CHUANG KUNG-JU / TAIWAN PANORAMA)

Grandeur et décadence de Sunrise Records

Dans le milieu des années 90, le marché est inondé de copies pirates de CD, un sévère manque à gagner pour les maisons de disques et les distributeurs. Sunrise ne fait pas exception. La technologie du numérique a progressé à vive allure avec l’entrée dans le XXIe s. et beaucoup de magasins de disques ont été condamnés à la fermeture par Internet. Malgré tout, Sunrise résiste et reste sur le marché au prix d’une évolution radicale.

« Les producteurs de disques indépendants ont été durement frappés, dit Addison Lin. Notre dernier disque était Love-lit Face de Li Jingmei [李靜美]. Nous l’avons enregistré à Moscou. Le coût de la production est monté jusqu’à 5 millions de dollars taiwanais, alors qu’une production normale se chiffre à un million seulement. Nous n’avons pas gagné un seul centime avec ce disque. Il faut vendre environ 5 000 disques pour commencer à gagner de l’argent. » Les revenus de Sunrise Records, qui provenaient essentiellement de la production de disques, sont mis à mal avec la chute vertigineuse des ventes. L’entreprise n’a pas d’autres choix que de cesser de produire.

Avec la disparition quasi totale des distributeurs de disques, Sunrise Records aurait aussi dû être emporté par la vague du numérique. Mais de manière imprévisible, un évènement se produit en 2008 et va une fois de plus projeter l’entreprise sur le devant de la scène.

Alors que de grosses manifestations contre la venue d’un émissaire chinois ont lieu sur l’avenue Zhongshan devant l’Hotel Ambassador voisin, Sunrise Records passe en musique d’ambiance le disque Songs of Taiwan. Quelqu’un entre et réclame alors qu’on monte le son. Les forces de l’ordre s’en mêlent et l’altercation qui se produit provoque des dommages matériels à l’entrée du magasin.

De manière incroyable, les clients inondent alors le magasin pour acheter le disque et, en une journée, c’est la rupture de stock. En désespoir de cause, les clients qui continuent d’affluer se mettent à acheter d’autres disques. « En quelques jours, on n’avait plus un disque en rayon ! », raconte Addison Lin. Sunrise Records s’était ainsi commercialement remis en selle de la manière la plus étonnante et incongrue.

En 2010, malgré tout, les affaires recommencent à décliner avec l’accident cardiovasculaire de la mère de d’Addison Lin, Chang Bi. Elle gérait toute la distribution à l’international, et Addison et ses deux sœurs doivent tout reprendre en main, non sans mal.

Les défis de la seconde génération

En 2013, Addison Lin prend les rênes de l’entreprise. La clé de la survie face à ce changement d’époque réside dans la capacité à évoluer de Sunrise Records. A l’ère du téléchargement en ligne, le prix des CD, qui étaient vendus plusieurs centaines de dollars taiwanais, chutent et les chansons s’achètent maintenant pour une trentaine de dollars en format MP3. Sunrise Records change alors de stratégie : la maison continue de distribuer les grands labels étrangers et peut désormais se définir comme la référence à Taiwan, sur le plan des titres et des artistes qui ne sont pas programmés sur les ondes des radios à la mode. Et en même temps, elle lance un magasin en ligne et une page Facebook. Elle participe en plus à la gestion des droits de diffusion des œuvres musicales, un système piloté par l’Association des titulaires de droits d’auteurs qui veille à ce que les radios et les établissements publics qui diffusent de la musique le fassent en toute légalité. Le système permet de facturer à la chanson ou au temps d’écoute, et d’assurer aux maisons de disques et à leurs artistes des revenus raisonnables.

« Internet devrait nous donner plus de possibilités et moins de restrictions », déclare Addison Lin, qui reste souvent étonné par l’incroyable palette de possibilités qui existent aujourd’hui. L’année dernière, par exemple, Sunrise Records a signé avec une maison d’édition un accord pour distribuer un roman policier accompagné d’un CD destiné à intensifier l’expérience de lecture. Les ventes du CD accompagné du livre ont décollé, équivalentes à 10 fois les ventes d’un CD seul. Depuis, Sunrise Records est à la recherche de partenariats de ce type dans d’autres secteurs, comme ceux du film, de la télévision, de l’Internet, de la publicité, du voyage et de l’hôtellerie.

Addison Lin a mis ses compétences de gestionnaire acquises alors qu’il travaillait au Parc scientifique de Hsinchu au service du renouveau de Sunrise Records, afin de maintenir à flot la solide position de distributeurs de musique que ses parents avaient patiemment construite en plusieurs décennies. Et en même temps, il a su innover tout en maintenant un équilibre subtil entre modernité et tradition, garantissant la survie de l’entreprise parentale, et écrivant un nouveau chapitre d’une histoire déjà illustre.

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