10/05/2025

Taiwan Today

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Le gobie, danseur dans la vase

01/03/1990
Des berges vaseuses, le territoire du gobie. (En médaillons) Exercices pour une sortie à l'air.

Le murmure des vagues s'entend de loin. Le long de la rive sont plantées des mangroves lichées dans une eau va­seuse, au ras de laquelle on aperçoit faci­lement de petites créatures ressemblant à un poisson. Elles regardent tout autour d'elles avec leurs petits yeux saillants comme ceux d'un crocodile au bord d'un marigot. Pour avancer, elles font des efforts inouïs en se tordant dans tous les sens comme si elles dansaient sur cette vase peu profonde. A la moindre alerte, un bruissement de feuille, le cris­sement d'un insecte, elles se glissent fur­tivement dans la vase pour se cacher. Ce sont les gobies que la population locale appelle « poissons sauteurs ».

Le gobie cambre la moitié de son corps de sorte qu'il s'éjecte au-dessus de la surface plane de l'eau en un demi­ bond. Ce mouvement léger et rapide ne fait pourtant pas partie de ses caractéris­tiques particulières. Il peut aussi ramper sur cette même surface.

Le gobie possède deux nageoires os­seuses ventrales qui sont mues par un muscle puissant. Elles ont aussi des join­tures qui servent comme deux béquilles pour ramper. Quelques variétés de gobie ont même deux couples de nageoires ventrales, longues et ovales, dont la fonction principale est d'adhérer comme une ventouse. Là, on constate que le vieux dicton, « chercher le poisson sur un arbre» est dans un marais une réalité bien sincère puisque le gobie se trouve souvent « perché» sur les racines aé­riennes des palétuviers.


Les deux couples de nageoires du gobie sont également un outil pour em­barquer. Mais hors de l'eau, comment peut-il respirer? Avant de s'éjecter en l'air, le gobie avale une grande gorgée d'eau qui, instinctivement compressée, est canalisée dans les branchies d'où il pourra en puiser l'oxygène dissous dans l'eau. Par ailleurs, des centaines de mil­liers de cellules réparties sur la peau humide leur permettent d'absorber di­rectement de l'oxygène de l'air. C'est pourquoi le gobie peut rester sur la vase pendant quarante minutes sans risquer l'asphyxie.


Néanmoins, le gobie ne peut pas faire circuler l'eau dans ses branchies pour en tirer de l'oxygène. Au bout d'un certain temps d'exposition à l'air, la peau sèche de sorte que les cellules der­miques perdent leur fonction respira­toire, aussi pour maintenir l'humidité de la peau, le gobie doit souvent retourner dans le milieu aquatique.

Devant cette immense difficulté, quelle est la raison qui oblige le gobie à se promener en milieu aérien? Dans son ouvrage Life on Earth (La vie sur terre), M. David Attenborough explique le phé­nomène bien naturel. La raison en est l'alimentation stomacale du gobie.

Le gobie vit dans les marais littoraux de Birmanie, de Malaisie, de Chine, du Japon et de Corée, et on en trouvent ainsi dans les marais de la côte ouest de Taïwan. Le zoologiste Johnson Tchen a noté dans un de ses ouvrages l'existence à Taïwan du gobie bleu (seartelaux viridis), dont le corps est bleu foncé perlé de taches noires sur la tête et les na­geoires. Il parle également du « gobie sauteur » qui est de dimension plus petite.

Le gobie ordinaire appartient à la fa­mille des gobiidées, que les Chinois appellent « gobie étoilé », à cause des petites taches bleues réparties surtout le corps, y compris les nageoires ventrales et dorsales/caudales. C'est la couleur des taches qui justement le distingue des autres variétés de gobie. Le gobie tacheté de points bleus ciel mesure jusqu'à de long, pèse de 30 à 40 grammes et peut vivre jusqu'à 7 ans.

Des amis ou des ennemis?

Selon une étude japonnaise, le gobie vit dans l'eau jusqu'à l'âge adulte tandis que les éphémères sont ses aliments de base. Afin de s'adapter à la vie amphibie, il se nourrit principalement de diato­mées. Mais des chercheurs anglais sont persuadés que chaque région maréca­geuses comprend au moins trois variétés différentes de gobie. Les plus petits vivent essentiellement dans l'eau. Ils n'en sortent qu'à la marée descendante. Ils se tournent et se tordent alors dans la vase et cherchent des insectes et des crustacés minuscules pour se nourrir.

Si l'on s'enfonce dans les eaux moyennes entre les deux niveaux de la marée, on trouvera des gobies plus grands qui sont pratiquement végéta­riens. Les diatomées et les plantes uni­cellulaires sont leurs aliments préférés. Ils se promènent généralement seuls et ont un fort sens de la famille. Ils creusent un trou pour abriter leur progéniture et patrouillent aux alentours. Plus loin autour du trou, ils construisent une di­guette en vase, parfois de plusieurs mètres de long, qui, d'une part, sert de frontière avec le voisinage, et de l'autre, de retenue d'eau afin de préservée une humidité nécessaire à leur « creusée» quand la marée descend. Dans les marais où pullulent les gobies, on peut en effet apercevoir ces territoires respectifs, sé­parés par les solennels « murs de vase », sur lesquels règnent l'unique propriétaire et sa nichée.

Une troisième variété de gobie vit au bord du marais qui jouxte la terre ferme. Les crabes minuscules font leur alimentation. Ils sont aussi experts dans le creusement d'un trou pour la nichée, mais ne sont pas féru de cet instinct féroce de propriété.

Le gobie, être vivant de la mer comme le crabe ou l'huître, s'adapte fort bien à cette vie amphibie, moitié hors de l'eau, moitié dans l'eau. Sur terre, il est couronné « roi des poissons ». Mais comme il a un peu trop perdu la pleine capacité de nager à cause de la dégéné­ rescence de ses nageoires, il est obligé de suivre les courants d'eau pour faire le va-et-vient entre la mer et le marais.

En plus de la recherche de nourri­ture, une autre activité aussi importante qu'essentielle est l'accouplement qui a lieu principalement dans le marais. Comme la plupart des autres poissons, le gobie mâle doit attirer l'attention de la femelle. Il cambrera le corps, s'éjectera hors de l'eau, fera mille prouesses et fera vibrer ses nageoires caudales et dor­sales. Celles-ci normalement plates et flasques se hérisseront pendant la saison de l'accouplement tout en montrant des couleurs éblouissantes.

Naturellement, seules les femelles du proche voisinage pourront apprécier les gestes flatteurs des mâles, malheu­reusement celles qui sont plus éloignées n'auront pas cette chance de voir ce spec­tacle puisque les marais sont plats, sombres et peu profonds. C'est pour­quoi, pour tenter d'en attirer le plus grand nombre possible, le gobie mâle, grâce à ses nageoires caudales, bondit, les nageoires dorsales toutes hérissées et étincelantes, hors du milieu aquatique. On estime qu'il parvient à effectuer de 50 à 80 bonds en une heure. C'est cette danse au-dessus de la surface des eaux qui réunissant des milliers de mâle en fait un magnifique ballet des eaux.

Selon une étude de l'Institut des Re­cherches halieutiques de Taïwan, il appa­raît que, depuis 1969, on a commencé l'élevage du gobie sauteur. Se vendant sur le marché comme fruits de mer, il fait également le délice du gourmet chez certains restaurants spécialisés. Mais l'élevage du gobie sauteur n'a guère eu beaucoup de succès jusqu'à présent. Pourtant à Taïwan, ces dernières années, la demande et la consommation des fruits de mer, y compris celles du gobie sauteur, ont fortement augmenté. Ne serait-ce pas un encouragement pour relancer l'élevage du gobie sauteur.

Si le gobie sauteur est un excellent mets pour le gourmet, il faut certes en souhaiter un vif succès de l'élevage d'ici peu, mais surtout ne pas priver les petits êtres libres des marais du droit de vivre pour devenir les victimes de la gourman­dise humaine.■

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