05/05/2025

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

De la lumière dans la nuit

01/01/2013
Un petit-duc à collier retourne à son nid avec la pitance de ses petits.

Un après-midi de décembre 2011, des dizaines d’ornithologues amateurs ont fondu sur les marais de Tianliaoyang, dans l’arrondissement de Gongliao, à New Taipei. Ils étaient venus depuis les quatre coins de Taiwan pour pointer leurs objectifs vers un invité inattendu à cette heure-là : une effraie de prairie. « C’est la plus belle surprise de l’année », commente un photographe d’oiseaux sur son blog. Il faisait partie de la centaine d’ornithologues amateurs arrivés en trombe sur les lieux, et dont certains avaient fait fi des radars sur l’autoroute, trop excités qu’ils étaient à l’idée d’admirer à la lumière du jour ce magnifique spécimen. L’effraie n’est restée sur place que pendant quatre petites heures, avant de prendre son vol.

Situé dans un méandre de la Shuangxi, non loin de l’endroit où la rivière se jette dans l’océan Pacifique, le marais de Tianliaoyang est un havre idéal pour les oiseaux migrateurs. D’ailleurs, parmi les centaines d’espèces d’oiseaux, migrateurs ou non, qui y ont été observées, beaucoup ne séjournent qu’à cet endroit précis de Taiwan.

En chinois mandarin, les chouettes et hiboux – des rapaces nocturnes de l’ordre des strigiformes – portent le nom de mao tou ying [貓頭鷹], ce qui, traduit littéralement, signifie « faucon à tête de chat ». Dans la langue taiwanaise, c’est la poétique expression « lumière de la nuit » qui est utilisée. Sur les plus de 200 espèces et sous-espèces connues dans le monde, 12 vivent ou passent régulièrement à Taiwan ou dans les îles qui en dépendent. (Il arrive aussi que des représentants d’autres espèces, égarés, y soient observés.)

Le ministère de l’Agriculture a placé ces 12 espèces sous la protection de la Loi de conservation de la nature sauvage, à la demande de la Commission consultative sur la conservation de la nature sauvage, laquelle regroupe des universitaires, des représentants d’associations de protection des animaux ainsi que des membres des communautés aborigènes vivant sur les terres où se rencontrent en général ces oiseaux. Le ministère de l’Agriculture fait la différence entre espèces « en danger de disparition », « rares » et « devant être protégées ». Actuellement, la chouette effraie endémique de Taiwan est le seul rapace nocturne parmi les dix espèces d’oiseaux classées « en danger de disparition ». Quant aux 11 autres strigiformes, ils sont considérés comme « rares » – même le petit-duc à collier qui est le plus fréquemment observé à Taiwan. Au total, la liste du ministère de l’Agriculture comporte 41 espèces animales en danger de disparition et 123 espèces animales rares, tandis que 48 autres, moins menacées, sont toutefois considérées comme devant être protégées.

 

Une jeune ninoxe hirsute (Ninox scutulata).

En tant que prédateurs situés au sommet de la chaîne écologique, les oiseaux de proie diurnes et nocturnes sont des « témoins » de la qualité de l’environnement, explique Lucia Liu Severinghaus [劉小如], ancienne chercheuse au Centre de recherche sur la biodiversité de l’Academia Sinica, qui est aujourd’hui à la retraite. Lucia Liu Severinghaus s’est en particulier intéressée au petit-duc élégant (Otus elegans), aussi appelé localement petit-duc de l’île des Orchidées dans la mesure où cette île située au large du sud-est de Taiwan, dans le Pacifique, est leur principal habitat. La chercheuse dirige le Groupe de recherche sur les rapaces de Taiwan (RRGT), qui a été créé en 1994 à Taipei. Depuis 1995, tous les cinq ans, le RRGT organise une conférence internationale sur les rapaces. La dernière en date a eu lieu en novembre 2010 à l’Université nationale normale de Taiwan et a été organisée en collaboration avec la faculté des Sciences de la vie de cette université, le Parc national de Kenting, dans le sud de l’île, et l’Institut de recherche sur les espèces endémiques de Taiwan, situé dans le district de Nantou et qui dépend du ministère de l’Agriculture.

Tseng Yi-shuo [曾翌碩], un jeune spécialiste des rapaces nocturnes, note lui aussi que la position de ces volatiles au sommet de la chaîne alimentaire signifie que leur présence ou absence dans un lieu donné  « est le reflet direct d’un environnement de bonne ou mauvaise qualité ». Tseng Yi-shuo dirige l’équipe de promotion et d’éducation du Groupe de conservation de la vie sauvage de Taichung. Il est diplômé de l’Institut de conservation de la vie sauvage de l’Université nationale des sciences et technologies de Pingtung, dans le sud de l’île, et s’intéresse tout particulièrement à l’effraie de prairie (Tyto longimembris), la seule sous-espèce présente à Taiwan de la famille de l’effraie des clochers (Tyto alba). « L’effraie de prairie se distingue facilement par ses longues pattes, dit Tseng Yi-shuo, qui est co-auteur de l’ouvrage Owls of Taiwan publié en 2010 par le groupe de Taichung. Elle vit dans les plaines et est très véloce. » Son professeur, Sun Yuan-hsun [孫元勳], est un expert reconnu du kétoupa roux (Ketupa flavipes), l’espèce de hibou la plus représentée à Taiwan, dont le corps atteint environ 60 cm de long, contre 15 cm pour le petit-duc à collier pygmée qui est la plus petite espèce à Taiwan.

Elfes de la nuit

Les études menées depuis les années 80 par Sun Yuan-hsun et Lucia Liu Severinghaus sur le kétoupa roux pour le premier et sur le petit-duc élégant pour la seconde ont fourni aux chercheurs et conservateurs de nombreuses informations sur ces deux espèces qui sont aujourd’hui les mieux connues de Taiwan. Cela explique peut-être que le kétoupa roux ait été retiré de la liste des espèces en danger pour être placé dans celle des espèces rares. Pourtant, le fait d’en savoir plus sur cette espèce n’implique pas qu’elle bénéficie d’une meilleure protection, note Tseng Yi-shuo. Sur l’île des Orchidées, il y a entre 800 et 1 000 petits-ducs élégants, si l’on en croit Owl to Get Started : The First Survey, un ouvrage d’introduction à l’observation des rapaces nocturnes. Publié en 2011 par l’agence de la Forêt et édité par Greenland, une association de conservation écologique basée à Taipei, il a reçu cette année un Prix national de la publication – des prix décernés par le ministère de la Culture pour saluer les meilleures publications gouvernementales. « Les rapaces nocturnes sont des elfes de la nuit et des symboles de chance. Ils attirent les amoureux de la nature qui souhaitent explorer leur côté mystérieux », écrit dans la préface Xiu Hong-ru [修鴻儒], co-auteur de l’ouvrage. Dans la mythologie des aborigènes Bunun, par exemple, un hululement dans la nuit signale qu’une grossesse est imminente dans les environs, les caractéristiques du cri donnant même une indication sur le sexe de l’enfant à naître.

 

Un ornithologue suit les mouvements d’un oiseau équipé d’un radio-émetteur qui vient d’être relâché dans la nature. (AIMABLE CRÉDIT DE ZENG JIAN-WAY )

Les chouettes et hiboux étant surtout actifs la nuit, les recensements sont évidemment plus compliqués pour les ornithologues, et ils demandent davantage de ressources humaines et de temps. La végétation dense et le relief souvent escarpé de l’île ajoutent à la difficulté, même si ces éléments expliquent que les oiseaux trouvent à Taiwan un habitat relativement sûr. Les recherches sur le terrain impliquent d’équiper certaines créatures de petits émetteurs et de les suivre grâce aux signaux radio qu’émettent ces boîtiers, ou bien de chercher des indices de leur présence comme les pelotes de poils et de fragments d’os régurgités par les oiseaux de proie après digestion. Tseng Yi-shuo remarque qu’il y a eu moins d’études de long terme ces dernières années consacrées à une espèce de rapace nocturne en particulier, en partie parce que les budgets publics, sans pour autant augmenter, doivent être distribués entre un nombre croissant de programmes de recherche sur la vie sauvage. On n’a donc à Taiwan qu’une connaissance fragmentée des diverses espèces, dit Lucia Liu Severinghaus. « Nous n’avons pas encore collecté suffisamment de données pour réellement connaître la taille de la population des espèces, leurs relations avec leur habitat ou leur comportement », dit-elle. Par exemple, la chercheuse explique n’avoir aucune idée du nombre de rapaces nocturnes habitant dans les régions de haute altitude. « Les oiseaux plus gros ayant un habitat plus large, ils ont aussi tendance à être davantage disséminés sur le territoire. La population de ce genre de rapaces nocturnes a certainement été affectée par la déforestation qui a frappé autrefois les forêts anciennes, mais comment a-t-elle été affectée et à quel degré, cela n’est pas clair. » Quant aux espèces locales les plus communes, poursuit-elle, il est difficile de juger si le nombre de leurs représentants a augmenté ou baissé au fil des décennies, par manque de données sur le long terme.

La promulgation de la Loi de conservation de la vie sauvage en 1989 et l’interdiction de l’abattage des arbres dans toutes les forêts naturelles qui a été mise en place en 1992, auxquelles s’ajoute la création d’aires protégées comme les parcs nationaux et les réserves naturelles à travers tout le territoire ont été bénéfiques à la préservation des espèces animales sauvages, dont les rapaces nocturnes. « Le contrôle de la chasse est efficace, en tout cas c’est ce que permet de penser le fait qu’on ne vend plus d’oiseaux de proie dans les parcs d’attractions, dit Lucia Liu Severinghaus. Et la protection de tous les types de forêts est fondamentale car les oiseaux de grande taille nichent dans les grands arbres. »

 

Un hibou grand-duc (Bubo bubo) observé près du littoral de Kaohsiung, dans le sud de l’île. (AIMABLE CRÉDIT DE LA SOCIÉTÉ DES OISEAUX SAUVAGES DE KAOHSIUNG)

Quoi qu’il en soit, les activités humaines continuent d’empiéter sur l’environnement naturel et de détruire les habitats de la faune sauvage. Un projet immobilier dans la zone du marais de Tianliaoyang a ainsi suscité l’inquiétude des associations locales de protection de la vie sauvage. Tseng Yi-shuo souligne les méfaits du développement des terrains en pente, de l’agriculture dans les zones de moyenne altitude et des travaux de canalisation des cours d’eau. « La chasse illégale reste un problème, d’autant que, parfois, les chasseurs ne tuent que pour le plaisir. Et les rapaces sont quelquefois pris au piège dans des filets placés là pour attraper d’autres espèces, comme les pigeons de course. » Il faut aussi malheureusement compter avec les produits toxiques qui se retrouvent dans l’alimentation des oiseaux de proie. « Des études scientifiques devraient être menées pour voir si les programmes d’extermination des rats et des cafards qui ont été mis en place il y a longtemps doivent être poursuivis ou pas, dit Lucia Liu Severinghaus. Et il faut expliquer aux paysans qu’une utilisation intensive de pesticides ne permet pas des récoltes plus abondantes mais dégrade les écosystèmes et est nuisible à la santé humaine. »

Protéger les habitats

Lucia Liu Severinghaus continue de rassembler et d’analyser des informations sur le petit-duc élégant et elle publie le résultat de ses recherches tous les ans. Le RRGT recense aussi les observations de chouettes et hiboux rapportées par ses membres. « De telles observations doivent être réalisées la nuit, et les études ornithologiques prennent du temps », dit-elle. Comme Tseng Yi-shuo, elle suggère que les subventions soient orientées sur les programmes de recherche de long terme, car une ou deux années ne sont guère suffisantes pour obtenir des résultats probants. Les deux chercheurs appellent aussi à une gestion globale de l’environnement qui intègre les habitats naturels ou écosystèmes dans leur totalité. « Trop souvent, les aires protégées ont été délimitées sur les cartes, mais rien n’a été fait par la suite pour rendre la protection effective », déplore Tseng Yi-shuo. Le Groupe de conservation de la vie sauvage de Taichung travaille avec la population locale, les écoles et les agriculteurs pour installer dans les arbres des boîtes en bois destinées aux rapaces nocturnes. Ces boîtes sont une alternative pratique pour les oiseaux dans la mesure où il y a moins de vieux arbres présentant des cavités. Dans le même temps, c’est un symbole du désir de la population de vivre en harmonie avec son environnement naturel, dit Tseng Yi-shuo. « L’étude des espèces sauvages comme les rapaces nocturnes nous aide à explorer la nature et à construire une relation avec elle », dit le chercheur en soulignant la sérénité et la conscience du monde autour de lui qu’il développe à chaque expédition d’observation nocturne. « Au final, c’est un voyage intérieur. 

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