02/08/2025

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

La passion du majong

01/09/1993
Une partie de majong est une partie de plaisir partagée entre les quatre joueurs.

M. William Chao et ses invités se sont assis autour d'une table pour jouer au majong.* Ils y passent leur samedi après-midi. Déjà l'atmosphère est in­tense et bruyante. Les quatre joueurs mélangent les petites pièces rectan­gulaires du majong sur la table avec un incessant bruit de cliquetis que supportent difficilement les voisins. Puis, ces pièces, en forme de dominos épais et aux dessins colorés, sont amassés et arrangés face contre table. Chacun s'est mis d'accord sur les risques du jeu d'aujourd'hui. Et une conversation animée commence à remplacer le bruit caractéristique et mal apprécié des pièces du majong cognées entre elles. Les dés sont jetés. Et les joueurs tirent leurs pièces du pot central en les alignant devant eux. Soudain, M. Chao abat les seize pièces tandis qu'un regard de déception traverse son visage. La première manche se termine un peu rapidement, et le joueur gagnant ramasse les petits enjeux.

M. Chao allume une cigarette et se prépare au tour prochain. Il est déterminé à y tenter sa chance, tout en sachant que ce ne sera partie facile. Cela sera une bataille qui exige beaucoup d'attentions et qui peut durer de nombreuses heures. « C'est épuisant, admet M. Chao. Mais si on gagne, on est bien récompensé! »

Ce jeu chinois, vieux de plusieurs siècles, n'était alors joué que par la haute classe. Le majong est aujourd'hui fort bien répandu dans moderne. Il a gagné en popularité dans l'île après l'arrivée à Taiwan du gouvernement de de Chine en 1949 pour devenir une activité de détente importante dans les quartiers établis pour les familles de militaires venues de Chine continentale. Finalement, il s'est aussi répandu dans les autres communautés. Ce jeu est particuliè­rement en vogue par ceux qui prennent des congés ensemble même s'il fait partie de rendez-vous hebdomadaires de quelques aficionados.

Mme Hsu Wen-hua se rappelle quand sa famille vint pour la première fois de Changhaï à Taiwan, elle n'avait guère de contacts avec la communauté insulaire. Dans son isolement, elle se tourna vers le majong. A Changhaï, sa famille jouait au majong, comme beaucoup d'autres, pendant la saison du Nouvel An chinois et les autres jours de congé. Mais à Taiwan, c'est devenu une habitude plus courante et régulière. Mme Hsu Wen-hua joue maintenant deux ou trois après-midi par semaine, soit chez elle soit chez une partenaire. Gagner ne semble pas être la principale motivation, c'est plutôt la rencontre d'amis qui est la raison majeure de jouer ensemble.

Il existe des histoires innombrables de gens si obsédés par le majong qu'ils en viennent à négliger leur famille ou leur travail. M. Chao, agent immobilier de Taipei, âgé de 31 ans, se souvient d'avoir détesté ce jeu quand il était en­fant. Sa mère gaspillait beaucoup de temps, de sorte qu'il était souvent tout seul. Dans un geste de protestation, il aurait voulu jeter toutes ces pièces par la fenêtre ou dans la poubelle. Plus tard, il en découvrit le charme irrésistible. C'était un passe-temps au lycée. Il n'ai­mait guère les activités de plein air et préférait rester à la maison pour jouer au majong avec des amis ou des parents.

Le principe de base du jeu est de tirer des pièces et de les arranger jusqu'à avoir cinq séries de trois pièces, plus une paire de pièces assorties. Les séries peuvent être trois numéros consécutifs dans la même couleur, ou bien trois pièces assorties du même. Le majong comprend trois séries de neuf pièces du bambou ( tong 筒 ), du cercle ( souo 索 ) et de la myriade ( wan 萬 ). En outre, il y a les quatre vents (nord, sud, est, ouest), les dragons (vert, rouge et blanc). Chacun de ces numéros est multiplié par quatre. Aujourd'hui, on ajoute généralement les huit pièces suivantes : les quatre saisons et les quatre plantes ou fleurs. Soit en tout 144 pièces.

Une partie de majong se joue normalement à quatre joueurs et consiste en de nombreuses petites donnes ayant chacune un gagnant. Avant de commencer la partie, les joueurs peuvent décider du nombre de donnes. La règle générale interdit à un joueur de quitter la table avant de finir la partie. L'extension d'une partie est acceptable et on connaît une foule d'histoires parlant de parties durant des jours et des jours.

Il y a tout aussi bien des règlements informels. Ainsi, les joueurs doivent arriver à l'heure pour une partie. On ne jette ni ne lance une pièce du jeu, on ne revient pas sur un étalement ni ne reprend une pièce qui vient d'être écartée. Enfin, on ne quitte pas la table pour essayer de récupérer un peu de chance ou de repos.

Le grand attrait du majong, disent les experts, est que la chance est le facteur le plus décisif. Mais beaucoup de joueurs invertérés estiment aussi que c'est un rude exercice mental pour l'esprit en essayant de mémoriser les pièces qui ont été jouées et d'éviter de donner au voisin la pièce qui lui manque. Comme le majong a 144 pièces, les garder toutes en mémoire est un véritable tour de force mental. Le majong stimule l'esprit de synthèse et de lutte, dit M. Chao.

Pour de nombreux enthousiastes, l'ambiance bruyante est un facteur essentiel du majong. Un jeu typique est ponctué par les remarques spirituelles d'un geste, le bavardage continu et, bien sûr, le cliquetis du brassage des pièces entre deux donnes. Certains ont tenté d'en diminuer le bruit en entourant de lames de caoutchouc les côtés d'une pièce, mais la plupart des joueurs n'apprécient pas du tout cette « inven­tion ». L'excitation du jeu de majong vient justement du bruit de ce mélange des pièces entre deux donnes, dit M. Chao.

Un autre facteur excitant est la mise en jeu qui est inévitable. « Nous sommes des amis, aussi nous jouons de petites mises, dit M. Chao. Mais, cela ajoute un peu de sel à notre jeu. En fait, le majong est traditionnellement et directement associé aux jeux d'argent, c'est pourquoi, il était jusqu'à ces deux dernières années techniquement illégal. Même aujour­d'hui, bien que la loi ne l'autorise que dans les demeures privées, il est généralement pratiqué discrètement, les rideaux fermés et les lumières tamisées. Beaucoup de gens n'ont pas encore réalisé qu'il était maintenant parfaite­ment légal, ou bien ont-ils encore l'idée que d'être toujours illégal, il conserve cette forme qui renforce son attrait.

Wu Shu-fen

(V.E, Jean de Sandt)

Photographie de Chang Su-ching

* Majong (n.m.), désigne un jeu de société chinois composé originellement de 136 pièces de la taille d'un domino. Ce jeu repris, codifié et « déposé » (patenté) par Joseph Babcock, résident américain de Changhaï, possède 144 pièces, communément en usage aujour­d'hui. Le nom déposé selon les formalités américaines est Mah Jongg, une altération du changhaïen ma-tchang 麻將, en pékinois ma-tchiang, le nom actuellement popularisé en chinois. C'est en fait la corruption du terme ma-tchiué 麻雀, le « moineau », un oiseau mythique aux cent intelligences, qu'on retrouve généralement sur une des pièces du jeu. Bien que chaque province chinoise possède sa dénomination et sa version du jeu, le terme ma-tchiué qui fait foi est à son tour une altération phonétique (et idéographique) de matiao 馬吊. On retrouve ce dernier terme dans plusieurs ouvrages littéraires, notamment le Classique du ma-tiao, ou Ma-tiao king 馬吊經, qui énonce les règles de ce jeu. C'était un jeu de petites cartes qui s'est développé indistinctement avec des plaquettes, puis des pièces plus épaisses et plus maniables en matériau dur (bois, métal, ivoire, jade,... et aujourd'hui en matière plastique!). En Europe et en Amérique, c'est la version américaine « déposée » de Babcock qui prévaut. Elle possède une description, une nomenclature anglaise particulière et une codification de règles légèrement altérées. L'adaptation orthographique qu'en a fait André Malraux ne semble pas s'être imposée, d'où la pluralité des orthographes françaises. Celle adoptée dans ce texte répond essentiellement à une assimilation du terme dans la langue française. On rencontre aussi ma-jong, mah-jong, mahjong, et même mah-jongg, le terme anglo-américain. Quant aux autres termes chinois désignant le jeu, ils ne semblent pas être sortis du lexique chinois. (NDLR)

Les plus lus

Les plus récents