A Taipei, la nuit tombe tôt. Même en plein cœur de l’été, les derniers rayons du soleil n’osent pas caresser les toits de la capitale après 19h. Libérés de la chaleur écrasante qui assiège la cité pendant la journée, ses habitants en profitent alors pour déambuler, recherchant, c’est selon, l’animation d’une ruelle prise d’assaut par la foule ou la tranquillité d’une maison de thé, la frénésie d’un club ou l’intimité d’un lounge, l’élégance d’un bar d’hôtel ou la convivialité toute populaire d’un restaurant de rue. L’image d’une ville toute acquise aux noctambules serait erronée: les couche-tôt sont légion et certains quartiers résidentiels sont plongés dans une semi-torpeur dès les premières heures du soir. Pourtant, même dans ses recoins les plus paisibles, Taipei reste à toute heure sur le qui-vive. Et partout, les magasins de proximité sont ouverts, pour dépanner ici un fêtard assoiffé, là un étudiant insomniaque et grignoteur.
La nuit, les parcours des citadins s’entremêlent: vers 22h, alors que des grappes d’adolescents s’égaillent à la sortie des buxiban, ces cours du soir pour lycéens à l’emploi du temps surchargé, les grands magasins viennent de fermer leurs portes. C’est l’heure où les marchés de nuit battent leur plein et où, en différents points de la ville, on entame un dîner tardif et où l’on rejoint des collègues au karaoké. Des gens d’affaires ayant tombé la veste croisent des clubbers lookés en route pour une quelconque soirée. Et à l’aube, à l’heure où, en guise d’after, les plus téméraires s’attablent pour un petit déjeuner taiwanais, des retraités ultra-matinaux arpentent déjà les rues et les parcs en faisant des moulinets avec les bras.
Cette vie nocturne, sûre et bon marché, n’est pas concentrée dans quelques hauts lieux incontournables. Certes, ces dernières années, le quartier d’affaires de Xinyi, à l’est, a indéniablement pris du galon, accueillant la plupart des nouveaux bars et clubs branchés. Mais, de Shida à Ximenting, de Gongguan à Zhongshan, les options ne manquent pas.
Il n’est pas toujours aisé pour le visiteur étranger de se repérer dans cette effervescence. Aussi se contente-t-il souvent des quelques parcours fléchés qui, du marché de nuit de Shilin aux bars situés au pied de la tour Taipei 101, lui garantissent de passer une agréable soirée – c’est particulièrement le cas lors des nombreux salons internationaux. Pourtant Taipei offre aux plus aventureux mille raisons de ne pas fermer l’œil. Depuis peu, des sites Internet comme taiwannights.com ou gigguide.tw fournissent des informations détaillées et actualisées en anglais sur les restaurants, bars, boîtes de nuit, soirées et concerts de la capitale. Peu à peu, un vide se comble, permettant aux visiteurs de ne pas se contenter de l’écume des jours tombés mais de s’enfoncer plus profondément dans les nuits de Taipei.
18:00
Où se poster pour assister au coucher du soleil? La ville regorge de promontoires de choix. Le téléphérique de Maokong mène depuis le zoo de Taipei aux collines de Muzha qui surplombent le sud de la capitale. Là, les maisons de thé, presque aussi nombreuses que les plantations, permettent la dégustation de Baozhong et de Tieguanyin en profitant des derniers rayons. Sur le trajet du retour, possible jusqu’à 22h les vendredis et samedis, les « cabines de cristal» au plancher transparent donnent l’impression de voler vers Taipei. Au nord, c’est depuis les pentes de Yangmingshan, le long de la route qui monte vers l’Université de la culture chinoise, qu’on a les meilleures vues sur les lumières de la ville. A minuit, des flopées d’amoureux s’y pressent, créant parfois des bouchons sur cette voie escarpée, mais, plus tôt dans la soirée, on peut suivre la promenade des singes, un sentier qui rejoint Tianmu, en contrebas, ou dîner à la terrasse d’un restaurant accroché à flanc de montagne. Les inconditionnels des couchers de soleil sur la mer pousseront un peu plus loin, jusqu’à Danshui, à l’embouchure du fleuve du même nom, et les plus modernistes se glisseront dans l’ascenseur qui mène en 27 secondes au 88e étage de la tour Taipei 101 d’où on est saisi par la langueur bleutée qui s’empare peu à peu de la ville.
18:45
Si vous avez pincé le nez devant le tofu puant, sans aucun doute apprécierez-vousune bonne omelette aux huîtres, une saucisse enrobée de riz gluant ou encore une soupe épaisse au calmar frit, sans oublier le célèbre dabing bao xiaobing – un petit pain sucré ou salé agrémenté de garniture et enveloppé dans une crêpe. Le marché de nuit de Shilin qui est en train de faire peau neuve (voir encadré p. 11) reste l’incontournable rendez-vous des gourmands. On se fraie un chemin entre les étals et on farfouille à la recherche d’accessoires de mode, de vêtements, de chaussures ou d’objets de déco.
Dans les rues piétonnes de Ximenting, les néons des magasins de proximité brillent toute la nuit
19:30
Les paysages de Gao Kegong [高克恭], peintre de la dynastie des Song, dégagent-ils une aura particulière à la nuit tombée? Tous les samedis, le musée national du Palais, imité par le Musée des beaux-arts de Taipei, reste ouvert jusqu’à 20h30.
20:15
Un cocktail au Dalida? A Ximenting, les terrasses des bars entourant la Maison rouge (Honglou) sont bondées. L’endroit, l’un des rares à Taipei où l’on peut s’asseoir en terrasse pour prendre un verre et mater, est devenu le rendez-vous des homos de la ville ou de passage. Si la pluie menace ou si des oreilles mélomanes rechignent au brouhaha ambiant, les salles de concert Riverside, toute proche, ainsi que The Wall, à Gongguan, ou encore Legacy, au parc créatif Huashan 1914, proposent une programmation de qualité, allant du rock indépendant taiwanais à la techno, en passant par le hip-hop et la chanson aborigène.
21:45
C’est encore et toujours l’heure de manger. De part et d’autre de la rue Guangfu Sud, toutes les cuisines sont représentées, avec moult fondues chinoises (où la marmite contient deux bouillons différents, l’un épicé, l’autre pas), plats du Sichuan (pimentés à souhait) et autres nouilles au bœuf. Dans les allées jouxtant la rue Linsen Nord, les spécialités japonaises le disputent aux fruits de mer. Pour un moment plus insolite, on peut acheter des xiaolongbao à Dintaifung, près de la rue Yongkang, et les emporter pour les déguster quelques centaines de mètres plus loin sur les marches du mémorial Chiang Kai-shek pour un pique-nique improvisé, arrosé de thé au lait perlé.
22:30
Les couloirs du métro sont noirs de monde. Lycéens et employés de bureau rentrent chez eux après une journée harassante. Pour se rendre à l’hôtel Shangri-la, au Far Eastern Plaza, on préfèrera prendre un taxi. Inutile de patienter de longs quarts d’heure: à Taipei, ils courent les rues. Au 38e étage, le lounge Marco Polo offre parmi les plus belles vues de la capitale dans une ambiance intimiste. Mais gardons les pieds sur terre. En se promenant le long de la rue Anhe, on passe d’un bar à l’autre, du bondé Carnegie’s au pétillant Champagne 2. Pour de la musique live, on filera vers l’est jusqu’à Marquee ou Brown Sugar, non loin de la tour Taipei 101.
23:30
Si les bières importées font la fierté de certains bars de la capitale, lesquels s’escriment à dénicher la perle rare, il en est un qui ne sert que la production locale, c’est le Taiwan Beer Garden, sur la rue Bade. Dans une ambiance parfois proche des fêtes munichoises, les amateurs de bière à petit prix – parmi lesquels on trouve une bonne rasade d’étudiants en échange – éclusent jusqu’à minuit, avant de rejoindre Mi Casa, Roxy 99, Luxy… ou les abords d’un 7-Eleven, ouvert toute la nuit avec une « carte » de bières finalement des plus fournies. Un peu plus loin, au Woo Bar, le nouvel antre de l’hôtel W, l’atmosphère est plus branchée mais l’endroit reste accessible. Au Japan Box, sur l’avenue Ren Ai, il faut par contre impérativement réserver sa table à l’avance pour goûter au charme tout nippon des lieux. Et qui sait exactement où est The Ring, un bar sélect situé au 14e étage d’une résidence de l’avenue Dunhua Sud? Mystère, seuls les initiés sauront le dénicher. Côté gay, G Star, La Boca et @1, récemment ouverts, détrôneront-ils les indéboulonnables Funky, Café Fresh et Jump? Ils complètent en tout cas une offre déjà bien étoffée.
01:00
A l’extrémité de la rue de Nanjing Est, ils se comptent par dizaines. Ouverts tard, voire toute la nuit, ces salons proposent des services « poussés ». Pas de méprise pourtant: il ne s’agit pas de prendre son pied mais bien de le soumettre au savoir-faire énergique de masseurs expérimentés (voir encadré p. 9).
02:00
Ouverts toute la nuit, les restaurants de la rue Chang’an Est, font dans la simplicité: tout est à 100 dollars taiwanais. Assis sur de petits tabourets, on se régale en buvant une bière japonaise, pour changer.
03:00
Ce soir c’est rugby, mais cela pourrait tout autant être F1, basket ou football américain. Pour les passionnés, les retransmissions télévisées des championnats américains et européens s’apprécient en groupe et, décalage horaire oblige, à toute heure de la nuit. Ouvert en 2003 par six anglo-saxons, The Brass Monkey, sur l’avenue Fuxing Nord, a su fidéliser les sportifs, bière à la main.
04:00
Les sorties de club sont couleur locale: pour beaucoup, la nuit s’achève avec un « petit déjeuner » taiwanais composé d’une bouillie de riz, servie nature avec de petits légumes salés et saumurés, et de youtiao, ces beignets de forme allongée. Demain, on remet ça!
UN PIED DANS LA NUIT
Kelly Her
Comme son nom l’indique, Foot Massage Center propose des massages de pieds, après un bain de pieds parfumé. Ce qu’il n’indique pas, c’est que ces massages sont particulièrement vigoureux. Les pressions exercées en différents points de la voûte plantaire peuvent même être douloureuses sur le coup mais ensuite on se sent revigoré, paraît-il.
Le premier Foot Massage Center a ouvert ses portes en 2005 et trois antennes ont depuis été créées à Taipei. Elles sont ouvertes de 10h du matin à 3h du matin, l’une d’entre elles étant même en service 24h/24. Les 320 masseurs de Foot Massage Center, qui ont tous suivi une formation d’au moins 500 heures et sont formés à la nutrition et à la médecine traditionnelle chinoise, sont au service chaque mois de 32 000 clients. Pour faciliter la communication avec les visiteurs étrangers, le personnel reçoit des cours d’anglais et de japonais. Foot Massage Center est d’ailleurs la seule entreprise de massage a détenir les certificats de bonnes pratiques et de service en anglais décernés par les pouvoirs publics.
« Nous avons produit un effort constant d’amélioration de la qualité de nos services, qu’il s’agisse des techniques de massage, de la décoration des salons ou encore de leur gestion », explique Ken Chiang [江慶鐘], le directeur de Foot Massage Center. Et cela marche : les massages sont de plus en plus populaires et l’entreprise affiche un chiffre d’affaires annuel de 300 millions de dollars taiwanais.
Vendeurs de run bing juan, des galettes fourrées. (CHANG SU-CHING / TAIWAN REVIEW)
MARCHÉ DE NUIT DE SHILIN : LES CLÉS DU SUCCÈS
Kelly Her
Bien sûr, les étrangers effectuant un séjour à Taiwan ne manquent pas de visiter le musée national du Palais, la tour Taipei 101, le Mémorial Chiang Kai-shek et des sites somptueux comme le lac du Soleil et de la Lune ou le parc national de Taroko. Mais les marchés de nuit battent tous les records de popularité. Ainsi, en 2009, 73% des visiteurs étrangers s’y sont rendus au moins une fois pendant leur séjour, révèle une enquête de l’office national du Tourisme.
Dans ces marchés, des rangées d’étals proposent en-cas et boissons à emporter, mais aussi des petits plats à déguster assis. La plupart de ces commerces ont « pignon sur rue » – si l’on ose dire – depuis des décennies et conservent jalousement leurs recettes.
Guo Feng-shi [郭逢時], le directeur du comité d’organisation du marché de Shilin attribue la popularité de ce dernier à son offre variée et à ses prix abordables. Il insiste aussi sur la très grande accessibilité des lieux, grâce à la station de métro toute proche. « C’est surtout l’atmosphère du marché de Shilin qui attire les gens, avec l’enthousiasme des vendeurs, la musique assourdissante, les lumières éclatantes et la foule dans laquelle on se fraye un passage en jouant des coudes. Les visiteurs étrangers sont ainsi immédiatement plongés dans un environnement proprement taiwanais. »
Le marché de Shilin, souligne-t-il, fonctionne 7 jours sur 7, 24h sur 24. De 2h du matin à midi, on y vend des produits frais – viandes, poissons et fruits de mer, fruits et légumes – puis ce marché traditionnel laisse la place, jusqu’à 2h du matin, à quelque 200 étals proposant des petits plats cuits, cette activité constituant le marché de nuit proprement dit.
Chaque jour de la semaine, ce sont 10 000 chalands qui viennent peupler les allées du marché, un chiffre doublé pendant le week-end. Ces dernières années, note Guo Feng-shi, on a constaté une croissance du nombre des visiteurs étrangers, en particulier des Chinois, Hongkongais, Japonais, Singapouriens et Malaisiens, le marché figurant désormais sur les circuits proposés par les agences de voyages asiatiques.
Entre autres initiatives, Guo Feng-shi a travaillé avec les vendeurs du marché pour faire en sorte de diversifier l’offre et de proposer des spécialités pouvant être conservées et offertes en souvenir : gâteaux à l’ananas, nougatine ou encore bœuf séché.
Pour l’heure, les stands de restauration sont installés dans une structure provisoire, en attente de l’inauguration d’une nouvelle halle sur deux niveaux, à la fin de l’année. Ce nouvel équipement, assure Guo Feng-shi, a été conçu pour faciliter la déambulation dans des allées convenablement ventilées. L’hygiène n’a pas été oubliée avec l’obligation pour les vendeurs de porter des blouses et des toques, et d’utiliser une vaisselle et des couverts agréés ainsi que des lave-vaisselle industriels.