On peut considérer cette tendance comme rien d'autre qu'une mode passagère. Mais, en définitive, il est indéniable que certains ont vraiment changé leur manière de vivre et de manger. L'alimentation biologique-simple, légère et exempte de tout ingrédient nocif - est bien sûr fort différente de ce que la plupart des gens considèrent comme de la grande cuisine comme le canard laqué ou la viande à la Dongpo.
La foule déambule le long de l'avenue Xinyi par le froid qui s'est abattu sur Taipei, alors que dans la boutique-restaurant Cotton Fields, les clients blottis au chaud se détendent. Devant les étagères en bois, un panier à la main, ils choisissent leurs légumes et autres produits d'un pas nonchalant. Dans le rayon livres, d'autres feuillètent, alors que des vendeurs s'entretiennent avec les clients comme ils le feraient entre voisins ou amis.
Dans la partie réservée au restaurant, le propriétaire fait une démonstration, préparant des mets biologiques. Aujourd'hui, on apprend à cuisiner des tomates aux hibiscus, des pleurotes du panicaut et une soupe au potiron.
« Le lycopène de la tomate peut aider à prévenir le cancer, mais il n'est libéré qu'à la cuisson », explique la démonstratrice tout en faisant doucement revenir des lamelles de pâte de soja ( tofupi) et des tomates dans de l'huile « froide » - ce qui veut dire que l'huile a été ajoutée dans la poêle chaude juste avant les ingrédients. Pour le second plat, les pleurotes en salade, l'accent est mis sur la sélection d'épices. Quant à la soupe au potiron, la présentatrice explique que le béta-carotène et les vitamines C et E que contient cette cucurbitacée ont des vertus antioxydantes et reconstituantes. Durant deux heures, plus de 20 personnes ont pris de nombreuses notes, posant des questions de temps à autre. Les plats ont belle apparence et bonne odeur.
La santé d'abord
La chaîne Cotton Fields a 7 magasins dans l'île qui, chacun, offre des cours de cuisine gratuits depuis de nombreuses années déjà. Près de 45 000 personnes les ont suivis. Le directeur, Sunny Weng [翁湘淳], raconte : « Auparavant, 70% des gens qui y assistaient avaient un problème de santé. Dernièrement, 60% disent plutôt venir apprendre à rester en bonne santé . »
Les enseignes comme Cotton Fields qui vendent des légumes bio ou des produits diététiques sont aujourd'hui nombreuses. Par exemple, la chaîne internationale Yogi House a ouvert plus de 200 boutiques à Taiwan, tandis que Green Village, une marque insulaire, en a déjà une trentaine. Orange Mart a maintenant 5 magasins sous son enseigne. De plus, les grandes entreprises bien en place ici, comme President, Formosa Plastics et YFY, ont développé leurs ventes sous des marques leur appartenant et ont établi des restaurants pour promouvoir leurs propres produits. Des librairies ont ouvert des rayons entiers sur l'alimentation sans toxines et tiennent régulièrement une liste des best-sellers dans le genre.
Quel que soit le label-bio, naturel, sans pesticides, etc.-qui est apposé sur les produits vendus dans ces établissements, 4 grands principes sont discernés:
(1) pour l'alimentation, on utilise des plantes cultivées sans engrais chimiques ni pesticides (légumes frais ou secs, grains, fruits frais et secs), tout en réduisant la proportion de poisson, de viande, d'œufs, de produits laitiers consommés à moins de 20%, voire à 0%.
(2) Pour la préparation, on emploie des recettes simples, comme la cuisson à la vapeur ou à l'eau, ou le mijotage dans une sauce. Eviter les traditions culinaires chinoises : ne pas faire sauter les aliments dans le wok ou à la poêle, ne pas les cuire sur une plaque chauffante ni les faire frire. Quant aux épices, il faut s'en tenir aux arômes naturels ou issus de l'agriculture biologique.
(3) Pour l'équilibre des 3 repas dans la journée, le mot d'ordre est « bien manger au petit-déjeuner, se rassasier au déjeuner et manger légèrement au dîner ». L'ordre des plats sera l'inverse de l'habitude chinoise : on commence par une soupe, suivie de légumes crus, puis viennent les aliments les moins faciles à digérer, comme les légumes secs et le riz ou la viande. Les fruits et les desserts ne devront plus être pris en fin de repas mais entre les repas ou en entrée.
(4) Les enzymes et autres éléments nutritifs variés pouvant être détruits à la cuisson, les différentes écoles prônent toutes de manger des salades une ou deux fois par jour.
A chacun sa méthode
Parmi les gourous de la santé qui promeuvent la nourriture naturelle, beaucoup sont fortement influencés par des cancérologues comme Lai Chiu-nan [雷久南] et Chiang Shu-hui [姜淑惠] qui ont étudié la médecine occidentale et chinoise traditionnelle et dont les travaux ont été diffusés et mis en pratique sur une grande échelle, ainsi que des personnalités telles que Sunny Weng, le fondateur de Cotton Fields, ou Hsiao Shu-pi [蕭淑碧], d'Universal Love Light, un autre magasin du même genre.
Certains de ces maîtres à penser, issus d'une profession médicale, encouragent à adopter des habitudes alimentaires saines pour éviter le cancer si possible. C'est par exemple le cas d'Andy Sun [孫安迪], un partisan du renforcement du système immunitaire, de Lin Kuang-chang [林光常], auteur de l'ouvrage Fresh, Light, Toxin-Free, et de Shieh Ming-jer [謝明哲], doyen de l'Ecole des sciences de la nutrition et de la santé, à l'université de Médecine de Taipei. Ils ont eux-mêmes souffert d'un cancer puis retrouvé la santé grâce à une alimentation repensée. Ce sont notamment Li Chiu-liang [李秋涼], fondatrice de Wang Der Garden Shengji Promotion Center, Grace Chen [陳月卿], la célèbre présentatrice de télévision, et l'écrivain Tsao You-fang [曹又方].
Même s'il semble y avoir foison de théories et d'écoles, elles partagent toutes un principe clé appelé en chinois shengji qui fait référence à une alimentation saine.
Autrefois, quand on parlait de shengji, on pensait aussitôt à un régime fade composé de crudités, une nourriture qui, dans le jargon de la médecine traditionnelle chinoise, est « froide » et donc impropre pour ceux qui sont d'une constitution faible. Le concept a donc eu du mal à s'imposer. Mais récemment, il s'est répandu avec un autre principe, celui d'une « combinaison harmonieuse d'aliments crus et cuits ».
Guérie d'un cancer, Li Chiu-liang est une ardente partisane du shengji. Elle explique que ce régime consiste à manger des végétaux issus de l'agriculture biologique. Il n'est pas essentiel que la nourriture soit absorbée crue. Sunny Weng, de Cotton Fields, a une approche plus métaphorique : il incite à manger « ce qui donne une chance à la vie ». Le régime shengji ne consiste en aucun cas à ne manger que des crudités, souligne-t-il.
Une cure végétarienne
Pourquoi toutes ces écoles prônent-elles une alimentation principalement végétarienne ? Pour aller à l'essentiel, on souffre souvent aujourd'hui de « maladies de civilisation », comme le cancer, les affections cardiovasculaires ou le diabète, tout simplement parce qu'on consomme des aliments que notre corps accepte difficilement.
Selon une étude réalisée en 2001 auprès de personnes de plus de 15 ans, une sur 13 dit souffrir d'un taux élevé de sucre dans le sang, une sur 5 faire de l'hypertension artérielle et une sur 11 avoir un taux de cholestérol trop élevé. Les derniers chiffres sur le cancer montre qu'on diagnostique un nouveau cas toutes les 8 mn ou encore qu'une personne sur 4 mourra de cette maladie.
Il existe certes un point commun dans toutes les théories qui, depuis des années, font le lien entre le régime alimentaire et une maladie chronique ou le cancer : elles préconisent plus d'aliments d'origine végétale et moins de produits d'origine animale comme remède préventif, parfois avec des effets curatifs.
Le docteur Henry Bieler, un spécialiste américain de la médecine familiale, est l'auteur d'un livre intitulé Food Is Your Best Medecine. Le trait dominant de la médecine occidentale, y explique-t-il, est de se limiter à la lutte contre les germes, alors que, d'après lui, ceux-ci ne sont pas responsables des maladies. Si l'homme tombe malade, dit-il, c'est à cause d'une alimentation qui ne lui convient pas.
Il rappelle qu'il y a plus de 2 000 ans, le père de la médecine occidentale, Hippocrate (v. 460 v. 377 av. J.-C.), avait affirmé que les praticiens ne sont que des assistants de la nature et que le corps indisposé a besoin de repos. Si on cesse quelque temps de le nourrir, les organes pourront expulser les déchets accumulés. Lorsque le corps sera nettoyé, il recouvrera la santé. Henry Bieler assure que l'utilisation de produits pharmaceutiques pour le traitement d'une maladie a parfois des effets secondaires graves qui engendrent de nouvelles pathologies. Comme une maladie peut être le résultat d'une alimentation impropre, c'est justement une nourriture adaptée qui rendra aux organes défaillants leur activité normale.
Quant aux diabétiques, Henry Bieler leur conseille, lorsque le glucose réapparaît dans les urines, de se préparer des soupes au céleri, aux haricots verts et à la courgette, de se reposer de deux à trois jours, puis, après avoir repris le cours de la vie normale, de suivre un régime végétarien. Il faut recommencer l'expérience et la répéter jusqu'à récupérer une bonne condition physique, dit-il.
Equilibre et nettoyage
Sa théorie sur le diabète est la suivante : le principal agent chimique utilisé par les cellules pancréatiques est le potassium. Il faut donc en absorber davantage lorsque celles-ci fonctionnent mal. La thérapeutique est de consommer des légumes qui en ont une forte teneur. De plus, ils sont moins riches en sodium, offrant un ratio potassium/sodium cent fois plus élevé que le poisson.
Le principal point prôné par Chiang Shu-hui, une pionnière du shengji à Taiwan, est l'équilibre entre l'acidité et l'alcalinité. L'approche est différente, mais elle parvient à peu près à la même conclusion. Selon elle, lorsque les fluides corporels sont dans une condition de douce alcalinité, les phénomènes biochimiques variés dans le corps s'activent. L'expulsion des déchets est profonde et rapide. En revanche, si la cause provient d'une alimentation déséquilibrée, le corps sécrète beaucoup d'acides. Lorsque le foie, les reins, le système cardio-vasculaire, le pancréas et les autres organes qui participent à la purification interne sont surmenés, cela provoque des pathologies.
Chiang Shu-hui dit à ses patients qui souffrent de troubles articulaires ou qui ont souvent des fourmis dans les membres de manger moins de viande et plus de légumes et de fruits. Beaucoup de gens ont de cette manière vu leur santé s'améliorer sans aucune médication.
« L'acidité et l'alcalinité d'un aliment sont déterminées par le genre et la teneur des minéraux qu'il contient », dit-elle. Le poisson, la viande, les œufs, les produits laitiers, les sucreries et les aliments gras sont tous acides. Mais les légumes et les fruits, ainsi que les algues, sont considérés comme des aliments alcalins parce qu'ils contiennent des minéraux comme du calcium, du potassium, du sodium, du magnésium et du fer. Aussi peuvent-ils être mangés en plus grande quantité.
Ces différentes théories témoignent de la diversité des maladies qui affectent les sociétés industrialisées. Dans les pays occidentaux, où on consomme beaucoup de viande et autres aliments riches, le cancer, les maladies cardiovasculaires et de l'appareil digestif sont les principales causes de mortalité.
Dans les régimes diététiques, on conseille de manger lentement et pas trop, d'absorber des aliments le plus proche possible de leur état naturel et d'utiliser parcimonieusement les épices. En fait, il faut repenser notre régime alimentaire et remettre en cause la philosophie principale de notre époque, à savoir la mise en avant de l'efficacité et de l'aspect des produits.
Maladies de civilisation
Certains se demanderont si on ne risque pas des carences en mangeant trop peu de viande.
Ses ardents partisans, comme Li Chiu-liang, disent du végétarisme que c'est le secret de leur énergie. Mais même en suivant un régime végétarien pour se refaire une santé, la clé reste d'absorber une nourriture équilibrée.
« La teneur en éléments nutritifs des légumes, des fruits et des céréales est tout aussi importante, voire plus, que dans la viande, les œufs et les produits laitiers », souligne Lin Kuang-chang dans son ouvrage Fresh, Light, Toxin-Free, tome 2. La teneur en calcium ou en fer des légumes est 10 fois, parfois jusqu'à 200 fois, supérieure à celle de la viande. Quant aux protéines, leur quantité y est plus grande que dans le poisson, mais même dans ces proportions, elles sont beaucoup plus digestes. En adoptant un régime végétarien, on n'aura certainement pas de lourdeurs ni la sensation d'avoir un peu sommeil après les repas.
Mieux connaître son corps
Grace Chen explique qu'il n'existe pas de régime qui soit bon pour tous. Il faut essayer différentes méthodes jusqu'à trouver celle qui convient le mieux à son corps.
Par exemple, le régime shengji intègre des crudités, alors que les principes de la médecine traditionnelle chinoise, bien ancrés dans la société insulaire, insistent sur la « chaleur » des aliments et leurs effets reconstituants, tout en recommandant d'éviter tout ce qui pourrait provoquer des « sensations de froid » à l'estomac, dont justement les crudités.
Stephen Huang [黃俊傑], le directeur de Seeder Natural Clinic et docteur en médecine naturelle des Etats-Unis, est revenu pratiquer à Taiwan, conseillant à ses patients de connaître d'abord leur propre corps, notamment ses possibilités de digestion, ses facultés d'absorption des aliments et de rejet des déchets, ainsi que ses réactions aux diverses toxines. Il explique encore que par le biais de tests biochimiques disponibles aujourd'hui sur le marché, on peut vraiment savoir comment son corps fonctionne.
Il faut d'abord savoir dans quelle partie du corps les toxines s'accumulent le foie, les reins, le sang, le système nerveux, la peau... puis on procédera à un régime spécifique pour en faciliter l'élimination. Récemment, on trouve dans l'île des formules variées de tests pour connaître les types de toxines accumulés dans le corps.
Stephen Huang affirme qu'en mangeant plus de légumes et moins de viande, et en choisissant des aliments à forte teneur en fibres, on peut faire baisser le nombre des toxines à éliminer par le foie et les reins.
La détoxification, rappelle Stephen Huang, n'est pas seulement en rapport avec le régime alimentaire. La peau et l'appareil respiratoire contribuent eux aussi à l'élimination des toxines du corps, d'où la nécessité d'absorber régulièrement de l'eau, de faire de l'exercice, de transpirer, de respirer profondément...
Une nouvelle attitude
Début janvier, par un vent froid soufflant sur Kuanhsi, dans le district de Hsinchu, le Centre de promotion du shengji de Wang Der Garden est comble, l'audience écoutant attentivement Li Chiu-liang, qui a subi l'ablation de l'utérus et de la vessie il y a 17 ans, en raison d'un cancer, partage son expérience du régime shengji. A la fin de sa conférence sur la façon de manger correctement et de préparer des mets selon le shengji pour le Nouvel An chinois, elle insiste sur le changement des mentalités et sur le retour à la simplicité. Chaque jour, elle se lève et se couche tôt, dit-elle, préférant vivre au présent avec des pensées simples et optimistes. ■