Pour le Nouvel An chinois, la fête la plus importante dans l'île, les Taiwanais bénéficient de quatre jours fériés afin de passer les réjouissances en famille. L'année prochaine, placée sous le signe zodiacal du Singe, commencera le 22 janvier, une date qui arrive très tôt. Le début de l'année chinoise se situe en effet entre le 21 janvier et le 20 février.
De si grandes festivités se préparent à l'avance selon un rythme immuable. Aujourd'hui, les transports modernes facilitent les réunions familiales, mais attention aux embouteillages sur les routes, lorsque démarre la grosse migration ! Quittant les villes à peu près en même temps, les insulaires prennent d'assaut tous les moyens de locomotion pour rejoindre la maison paternelle. Les voitures grouillent sur les routes, les autocars, les trains et les avions sont bondés et, après les festivités, c'est le même scénario qui se reproduit en sens inverse.
Dans les demeures, on a dressé un autel devant lequel chacun remerciera les ancêtres et les dieux. On prépare le banquet qui accompagne ces festivités. La veille du Nouvel An, les plus jeunes rendent hommage aux parents qui les gratifient d'un hongbao, une enveloppe rouge contenant quelques billets de 100 ou de 1 000 dollars taiwanais. Des cadeaux sont échangés entre frères et surs, cousins et cousines, afin d'entretenir symboliquement les bonnes relations dans la famille.
Dans l'Empire du Milieu, pour compter le temps, les astrologues ont autrefois réparti les 12 symboles zodiacaux, non par mois solaire, mais par année, chacune étant placée sous l'un d'eux. L'ordre dans lequel se succèdent ces douze animaux - rat, buffle, tigre, lapin, dragon, serpent, cheval, chèvre, singe, poulet, chien et cochon - aurait été établi par l'Empereur Jaune, le premier souverain de Chine, selon les uns, ou par le Bouddha, selon les autres.
Cette manière de compter les années est restée si fortement ancrée dans les traditions qu'aujourd'hui encore, l'habitude est de communiquer son âge en indiquant le signe du zodiaque correspondant à son année de naissance. Cela permet tout à la fois de se situer dans le temps et de faire connaître les grands traits qui forgent un caractère, puisque les qualités d'une personne sont supposées dépendre du signe sous lequel elle est née. Des 12 animaux, le singe est considéré le plus perspicace, comme l'a longuement chanté la littérature chinoise. Le natif du Singe a la réputation d'être intelligent et vivace, mais il peut être parfois capricieux et fougueux.
Le Singe tient une place particulière dans le panthéon taoïste pour le rôle perturbateur qu'il joue parmi les dieux. C'est lui qui, un jour, déroba les pêches de longévité dans le Jardin de la Reine. En obtenant ainsi l'immortalité, sans mauvaise intention, il disposait d'un redoutable pouvoir. Effrayés, les autres dieux et déesses du paradis invoquèrent l'intervention du maître des cieux, souvent confondu avec le Bouddha, pour rétablir l'ordre. Solennellement convoqué devant l'aréopage céleste, le Singe, quoique piteux, parvint avec adresse à rendre les fruits sacrés à leur gardien.

Dans cette scène de l'opéra de Pékin, le roi-singe feint l'humilité. (Huang Chung-hsin)
Dans une autre de ses facéties, le Singe s'empara de la déesse de la Miséricorde, populairement assimilée à Guanyin. Il pensait faire pardonner les espiègleries de tous ses pairs grâce à l'intervention de sa prisonnière. Mais, une fois encore, il n'a pas échappé au jugement des grands dieux et a dû libérer Guanyin.
Ce côté un peu voyou a fait naturellement de lui le chef des lutins et des fantômes, ainsi que de tout ce qui, la nuit, effraie les hommes. Aussi, les mortels le supplient-ils parfois de les préserver des esprits malfaisants ou de garder ces derniers à distance.
C'est son comportement peu conventionnel qui l'a rendu particulièrement populaire parmi les plus humbles. C'est souvent vers le Singe, plus apte à comprendre une soudaine difficulté, qu'ils se tournent, l'implorant pour qu'avec son imagination vive, il les aide à sortir du pétrin.
L'autel du Singe divin occupe toujours une petite place dans les temples taoïstes et bouddhiques, les deux cultes étant inextricablement mêlés dans l'île. Son effigie, le plus souvent réalisée en céramique vernissée, est parfois placée sur l'autel familial, ou dans un coin sombre, où il est alors honoré en toute saison. C'est durant le 2e mois lunaire qu'on célèbre son anniversaire.
Sa parure ordinaire consiste en un serre-tête doré. Il est vêtu d'une jaquette écarlate brodée et porte des chaussons lacés à gros pompons. Il tient souvent à l'épaule une palanche aux extrémités de laquelle pendent deux seaux.
Parmi les nombreuses histoires populaires concernant le Singe, l'une d'elle conte comment il perdit sa queue. Foulant aux pieds les conventions établies, il enleva une jeune fille et l'enferma dans son château, espérant l'épouser. Celle-ci obtint de son geôlier d'être assistée par sa propre mère. Par un jour d'hiver rigoureux, les deux femmes parvinrent à persuader le singe de s'asseoir sur le poêle pour se réchauffer du froid qui le saisissait. Mal lui en prit, le singe hurla de douleur sous l'effet des brûlures, perdant sa queue. Profitant de la situation, la mère et la fille s'enfuirent bien loin.
Probablement, l'histoire la plus connue et la plus appréciée du public chinois est celle du roi-singe Sun Wukong [孫悟空] dans le roman épique Voyage au pays de l'Ouest. Dans cette œuvre littéraire, le Singe, symbole de la longévité et de la perspicacité, accompagne un bonze dans ses pérégrinations, traversant des contrées exotiques dans lesquelles les deux personnages vivent les aventures les plus folles.
Dans l'opéra de Pékin, le portrait qu'on en fait est généralement celui d'un personnage astucieux aux accents comiques. L'impératrice douairière Cixi [慈禧] - régente, elle a dirigé l'empire mandchou pendant près de cinquante ans entre 1862 et 1908 - adorait particulièrement les spectacles mettant en scène le roi-singe. Il ne se passait pas un anniversaire dans le palais sans la représentation d'une telle pièce, la préférée étant celle où Sun Wukong met tout le ciel en émoi par ses excentricités.
Dans l'opéra de Pékin moderne, Sun Yuan-pin [孫元彬] et Chu Lu-hao [朱陸豪], des acteurs renommés qui excellent dans ce rôle, interprètent au moins une fois l'an les exploits du roi-singe. Avec l'année du Singe, ils trouveront un meilleur prétexte pour faire la preuve de leur talent. ■