>> Yon Ho Soybean, une chaîne taiwanaise de restaurants spécialisés dans les petits déjeuners traditionnels, est si populaire en Chine que son nom est aujourd'hui assimilé aux fast-foods chinois en général
A l'heure du petit déjeuner, le lait de soja est présent sur toutes les tables dans le sud de la Chine, mais il est aussi apprécié dans le nord du pays. Pour mettre l'eau à la bouche des clients, rien de mieux que la douce odeur émanant de la cuisson de cette boisson généreuse, des beignets ou encore des petits gâteaux aux graines de sésame.
Yungho est une petite municipalité de la banlieue de Taipei dont le nom est depuis bien longtemps associé, dans l'imaginaire populaire taiwanais, au lait de soja. Il y a 50 ans, pour gagner leur vie après leur démobilisation, des soldats venus du continent y ont installé des tables en bord de rue où ils servaient du lait de soja et des beignets. Le petit déjeuner au lait de soja dans les rues de Yungho était né. La réputation de ces gargotes s'est si bien affirmée que les universitaires chinois en visite à Taiwan font souvent le détour par Yungho pour y déguster un petit déjeuner à l'ancienne. Une attraction culturelle, en quelque sorte.
La marque d'un breuvage particulier
Réalisant la popularité du lait de soja, Lin Ping-sheng [林炳生], qui tenait un de ces restaurants à Yungho, fut assez astucieux pour faire enregistrer sa propre marque, Yon Ho Soybean. Il fonda ensuite Hong Chi Food Co. pour passer à la production sur une base industrielle.
Lin Ping-sheng fournit aux restaurateurs intéressés un concentré de son produit à délayer dans de l'eau bouillante selon les proportions très précises, afin d'en assurer la consistance, la saveur et le parfum. Cette formule qui épargne beaucoup de temps et de travail aux vendeurs de petits déjeuners a remporté un grand succès.
Dans la foulée, Hong Chi Food n'a guère tardé à distribuer son lait de soja dans des briquettes en carton, d'autant plus aisément que la firme a mis au point un procédé de fabrication entièrement automatisé. On trouve aujourd'hui ces briquettes un peu partout, dans les pâtisseries, les supermarchés et même jusque dans les écoles par l'intermédiaire de distributeurs publics.
En 1997, Lin Chien-hsiung [林建雄], le frère de Lin Ping-sheng, rejoignit Hong Chi Food. Avec des études de marketing, il effectua un voyage à Shanghai pour y explorer les opportunités commerciales. Impressionné par le dynamisme de la métropole chinoise, il acheta une bicyclette pour sillonner la ville. Plus il regardait autour de lui, plus il s'emballait, et finalement, il prit la décision d'établir un restaurant en Chine continentale, avec Shanghai comme point de chute initial.

Le thé au lait perlé, une spécialité taiwanaise aujourd'hui très en vogue en Chine.
« Soybean connection »
Quand ils pénétrèrent le marché continental, les frères Lin continuèrent de vendre du lait de soja, mais à des prix trop élevés : ils ne tardèrent pas à voir la clientèle leur échapper, perdant ainsi leur première bataille commerciale.
Ayant tiré la leçon de cette amère expérience, ils changèrent de formule. Montant une chaîne de restaurants Yon Ho, ils élargirent la gamme de leurs produits. « En Chine, ceux qui détiennent leur propre réseau de distribution sont gagnants », fait remarquer Lin Chien-hsiung.
Le premier restaurant Yon Ho de Shanghai a ouvert ses portes en 1999, dans l'arrondissement de Pudong. Outre le lait de soja, l'établissement propose des tangbao (petits raviolis juteux cuits à la vapeur), des rouleaux de printemps, des omelettes, des nouilles de riz frites, des nouilles au bœuf dans un bouillon épicé, du porridge avec des œufs et du porc, et d'autres petits plats, offrant un large choix de petits déjeuners aux clients.
Ce genre de restaurant à la taiwanaise où on prend le matin son premier repas du jour n'est pourtant pas nouveau. Dès 1995, la chaîne Yunghe King, également dirigée par un Taiwanais, avait déjà acquis une certaine popularité à Shanghai et à Pékin.
Pour se distinguer de ses éventuels concurrents, tant occidentaux que chinois, Yon Ho Soy bean a alors adopté une double stratégie : conquérir les villes à partir des banlieues et n'accorder que des licences régionales. « Afin de réduire les coûts, nous avons commencé par implanter des points de vente à Shanghai dans les villes et districts périphériques de Jinshan, de Jiading, de Zhouzhuang et de Qingpu. Ensuite seulement nous avons progressé vers le centre-ville », explique Lin Chien-hsiung. Cette stratégie a permis à la firme d'ouvrir plus de 80 franchises à Changchun, Yantai, et Jinan dans le nord de la Chine, à Shanghai dans l'est, à Guangzhou (Canton), Shenzhen et Zhuhai, dans le sud. Le chiffre d'affaires annuel a rapidement grimpé de 3 millions de yuans chinois (renminbi) à 200 millions.
La « paix éternelle » est partout
Selon une étude sur la restauration rapide à Pékin, à Shanghai, à Guangzhou, à Wuhan et à Shenyang, les Chinois fréquentent deux fois plus les fast-foods chinois que les fast-foods à l'occidentale. Le prompt succès de Yon Ho auprès des Chinois est sans nul doute dû à la qualité des plats servis et à l'ambiance des restaurants, mais certainement aussi à la stratégie commerciale des entrepreneurs insulaires.
Ce qui est taiwanais est particulièrement apprécié sur le continent, et de nombreuses spécialités culinaires insulaires ont conquis les consommateurs. Par exemple, la société Ganso, qui a fait fortune dans l'île avec ses boulettes sucrées farcies à la pâte de haricot ou de cacahuète, s'est reconvertie dans les pâtisseries de luxe sur le continent où plus de 200 points de vente à son enseigne ont été ouverts. Le plus important des Taiwanais dans la restauration rapide en Chine reste UBC Coffee, avec déjà plus de 500 franchises.
En raison de l'imitation qui va bon train en Chine, les deux caractères yong [永] et he [和], littéralement la « paix éternelle », qui composent à la fois le nom de la ville taiwanaise (Yungho) et celui de la franchise Yon Ho Soybean, sont devenus synonymes de « fast-food » sur le continent et ont été détournés par d'autres entrepreneurs désireux de surfer sur la vague du succès.
« Rien qu'à Shanghai, il y a plus de 100 restaurants rapides portant les idéogrammes "paix éternelle" dans leur dénomination », constate Lin Chien-hsiung, qui souligne que sa marque est pourtant enregistrée à Taiwan, à Hongkong, à Macao et même en Chine, depuis qu'il y a ouvert son premier point de vente en 1997. Il a été contraint de lancer une série sans fin d'actions en justice contre les usurpateurs. A l'entrée des établissements de Yon Ho, un mannequin représentant un petit fermier à chapeau de paille permet au client de repérer un authentique restaurant Yon Ho Soybean, vraie perle au milieu d'un océan de copies.
Un accident de l'histoire a rendu Yungho, une municipalité de la banlieue de Taipei, fameuse pour son lait de soja. Grâce au dynamisme des frères Lin, son nom est désormais entré en Chine dans le vocabulaire courant pour désigner les restaurants rapides qui sont devenus un élément incontournable du paysage urbain moderne. ■