16/05/2025

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

Les Taiwanais se mettent à table en Chine

01/01/2004
Des restaurants chics dans de vieux bâtiments, A Xintiande, les Taiwanais tiennent le haut du pavé, en cuisine ou en salle.

>> L'émergence en Chine d'une classe moyenne a suscité de nouveaux besoins que l'industrie taiwanaise de la restauration a su exploiter

« Si vous ne connaissez pas Shanghai, alors, vous ne connaissez pas la Chine. Et si vous n'êtes pas allé à Xintiandi, c'est que vous ne connaissez pas Shanghai », entend-on souvent dire à propos de Xintiandi, le quartier le plus représentatif du nouveau Shanghai.

A la nuit tombée, les lumières et les enseignes éclairent les petites ruelles de Xintiandi. Les vieilles lanternes qui ornent les bâtiments anciens ramènent le promeneur dans le Shanghai d'avant-guerre, lorsque la ville scintillait déjà de mille éclats et concentrait la richesse et le luxe d'une Chine qui s'ouvrait au commerce et à l'Occident. Pourtant, derrière cette nostalgie, les façades rétro cachent une atmosphère différente : ce sont des décors de rêve et de grands espaces modernes brillamment éclairés que l'on découvre.

Prenant leur place au sein du club sélectif des restaurants de classe internationale dans un Shanghai qui bouge, on peut citer le Paulaner Brauhaus, un restaurant qui appartient au groupe taiwanais Namchow ; à noter également, les délicieux desserts à la mangue et à la glace pilée de Paulaner Boutique ou encore les décors zen des salons de thé de la chaîne Channel Tea, taiwanaise également.

La cuisine made in Taiwan
Chaque coin de rue à Shanghai recèle un souvenir et la promesse d'une délicieuse expérience culinaire. Puisque les réformes du début des années 90 ont élevé Shanghai au rang de capitale économique de la Chine, les entrepreneurs taiwanais n'ont pas tardé à y exploiter le filon de la restauration. Il y en a pour tous les goûts et toutes les bourses : du plat bon marché aux mets les plus raffinés, en passant par la cuisine tendance, chacun y trouve son bonheur.

Déambulant le long du Bund, vous pourrez, comme tant d'autres, commencer la journée par un petit déjeuner à la taiwanaise avec un danbing - une crêpe roulée et fourrée à l'œuf au restaurant à la célèbre enseigne taiwanaise Yon Ho Soybean, ou bien un niuroumian - des nouilles au bœuf dans une soupe spécialité du restaurant Shanghai Yonghe King, taiwanais lui aussi. La zone piétonne autour de la rue de Nanjing offre saucisses, thés au lait perlés et viennoiseries à la mode à Taiwan. Quant aux employés de bureau et aux étudiants, ils ont fait des cafés, maisons de thé et autres restaurants taiwanais de la rue Huaihai leurs lieux de rencontre favoris.

Pour une cuisine plus élaborée, essayez donc les xiaolongbao, des raviolis à la viande cuits à la vapeur, préparés dans la branche shanghaïenne du célèbre restaurant Ding Tai Fung de Taipei, recommandé en 1993 par le quotidien américain New York Times comme l'un des dix meilleurs restaurants au monde. On peut aussi déguster des fruits de mer au Tainan Tan-Tsu-Mien, restaurant légendaire du marché de nuit de Huaxi, à Taipei, ou encore s'attabler dans un restaurant Wang Steak, la plus grande chaîne à Taiwan de restauration à l'occidentale.

Dans le quartier de Gubei, surnommé le « petit Taiwan », la multitude des enseignes en caractères chinois traditionnels vous transportera dans l'île, de l'autre côté du détroit. Vous pourrez vous y régaler de raviolis à la vapeur, de soupe au bœuf ou de gâteau de navet chez Tsai's Kitchen. A moins que vous ne soyez plutôt tenté par un luroufan (riz à la viande mijotée dans la sauce de soja) ou par un dessert aux haricots rouges, un des plats favoris des Taiwanais, rendez-vous alors directement au restaurant La petite ville de Lukang. Et si l'envie vous prend de manger du poisson fumé, des pousses de bambou à la vapeur ou des pousses de soja, allez sans hésitation au Hsiulan's Place. Vous y serez accueilli par la propriétaire, Jen Hsiu-pao [任秀寶], une Taiwanaise. Est-ce plutôt la cuisine relevée qui vous fait saliver ? Dirigez-vous dans ce cas vers le restaurant Wu pour une fondue chinoise épicée. Une fois rassasié, vous pourrez aller au Yuan-Yuan Yuan Tea House ou au Café du Vieil Arbre pour un thé frappé ou, plus classique, un thé aux arômes mandarine-orange.

Vous avez encore un petit creux ? Les rayons surgelés de tous les supermarchés proposent maintenant des shuijiao (raviolis cuits à l'eau), nouilles et desserts variés importés de Taiwan. Ces produits, bouleversant les habitudes alimentaires des Chinois, figurent de plus en plus souvent au menu quotidien des foyers de Shanghai.

Des pionniers
Cela fait maintenant une dizaine d'années que les entrepreneurs taiwanais ont entrepris la conquête des palais chinois. Mais la stratégie d'implantation a bien évolué.

« Dans leur majorité, les pionniers de la restauration taiwanaise à Shanghai, n'étaient pas de vrais professionnels : ils ont investi dans ce secteur parce qu'ils y voyaient la possibilité de faire rapidement de l'argent », remarque Chou Wei-pao [周文保], directeur général de Tainan Tan-Tsu-Mien, qui surveille de près les évolutions du secteur alimentaire sur le continent depuis une dizaine d'années.

Le premier restaurant taiwanais à s'être établi en Chine, Shanghai Yonghe King, devenu leader sur le créneau de la restauration rapide de style chinois, est un exemple. Avec un investissement minimum et profitant de la chance de s'être trouvé au bon endroit au bon moment, la chaîne a connu un grand succès.

En 1995, Li Yu-lin [李玉麟] prospectait Shanghai à la recherche d'opportunités commerciales. Constatant que le doujiang (lait de soja) et que les youjiao (beignet allongé) n'étaient pas en Chine à la hauteur de ceux fabriqués à Taiwan et que les conditions de production étaient d'une hygiène souvent douteuse, elle décida d'ouvrir un restaurant proposant ces spécialités, escomptant que la clientèle serait assurée, dans un premier temps, par la communauté taiwanaise.

Li Yu-lin s'associa à un ami qui vivait alors aux Etats-Unis, et tous deux commencèrent à proposer les « 4 délices » de la tradition chinoise - doujiang, youtiao, shaobing (pain cuit au four) et fantuan (rouleau de riz fourré) - dans le confort d'une salle agréable, propre et bien éclairée. Les consommateurs furent conquis, et, en 3 ans, Shanghai Yonghe King avait ouvert 18 succursales en Chine.

Les Taiwanais se mettent à table en Chine

Les fruits de mer sont toujours très recherchés. Fraîcheur oblige, ils sont conservés vivants dans des aquariums. Ils seront choisis par le client lui-même, avant d'être préparés en cuisine.

Thé au lait perlé : deux verres pour un yuan
Le secteur de la restauration à Shanghai attisant toutes les convoitises, la compétition est rude. Chou Wei-pao estime qu'entre 400 et 500 nouveaux restaurants ouvrent chaque mois, tandis qu'environ 300 mettent la clé sous la porte. Plus d'un restaurateur taiwanais a dû plier bagage, les faillites étant bien plus nombreuses que les succès.

A une époque, les stands de saucisses et de boissons taiwanaises florissaient à chaque coin de rue. La popularité de ces produits incita les restaurateurs locaux à les imiter, ce qui provoqua une guerre des prix. L'exemple du thé au lait perlé (c'est-à-dire dans lequel on ajoute des perles de tapioca au caramel) en est une excellente illustration. Positionné à l'origine comme un produit taiwanais de luxe, la boisson était vendue 8 yuans le verre. Très rapidement, la compétition fit chuter les prix, et on a pu en acheter jusqu'à 7 verres pour 10 yuans. Les Taiwanais ont été évincés de ce marché par des entrepreneurs chinois qui comptent bien rentrer dans leurs frais maintenant qu'ils en sont les maîtres. Actuellement, 1 yuan permet d'acheter deux verres de thé au lait perlé.

« Les restaurateurs chinois sont parfois prêts à baisser leurs prix dans de telles proportions que leurs concurrents taiwanais ne peuvent plus suivre », explique un autre professionnel.

Park Cheng [陳正輝], vice-président de la chaîne Wang Steak, renchérit : « Les Taiwanais n'imaginent pas jusqu'à quelles extrémités peut les entraîner la compétition à Shanghai » . En effet, un entrepreneur taiwanais ne descendra pas en général en dessous de son coût de revient. En revanche, l'entrepreneur chinois, lui, n'hésitera pas à vendre à perte : une fois sa main-mise établie sur le marché, il remontera ses prix et rentrera dans ses frais.

Lorsqu'en 1996, Hai Pa Wang, une autre chaîne de restaurants taiwanais, proposa à Shanghai sa formule de buffet à volonté à un prix très abordable, les Shanghaïens se ruèrent dans son établissement. Le succès fut immédiat : chaque jour, de longues files de clients se formaient devant la porte. Mais cet état de grâce ne dura même pas une année, le concept étant très rapidement imité par les concurrents locaux à un prix imbattable. Par ailleurs, l'augmentation rapide du niveau de vie conduisit la clientèle qui en avait les moyens vers des établissements plus chers, à la cuisine plus raffinée. Hai Pa Wang n'eut d'autre choix que de fermer son établissement et de regagner Taiwan.

Les requins de la restauration
La Chine concentre 20% de la population mondiale, et les Chinois consacrent à l'alimentation 50% de leurs dépenses quotidiennes. D'après les statistiques officielles, le secteur de la restauration a représenté un chiffre d'affaires de plus de 500 milliards de yuans en 2002, une augmentation de 16% par rapport à l'année précédente. Le gigantisme de ce marché et sa segmentation rapide, due à l'évolution constante des besoins et des goûts des consommateurs, fait que chacun peut y trouver sa place.

La maturation commerciale est particulièrement visible à Shanghai. Avec un revenu annuel de 13 250 yuans par habitant, une économie florissante et des infrastructures à la pointe de la modernité, Shanghai est la 4e ville de Chine par la richesse. C'est l'endroit idéal pour s'introduire sur le marché chinois.

Autrefois, Hongkong était le plus grand marché pour les ailerons de requin et les ormeaux. Cette époque est bien révolue, et maintenant la Chine absorbe 90% de la production mondiale.

Le directeur administratif de Tainan Tan-Tsu-Mien, Huang Chun-sheng [黃春生], soupire en voyant se multiplier les publicités pour les ailerons de requin et les ormeaux en devanture de tous les restaurants, tandis que les stands de soupe d'ailerons de requin (un plat très populaire dans le Hongkong des années 80) apparaissent à tous les coins de rue. « Bien que la qualité soit loin d'être exceptionnelle, les prix sont complètement fous, décrit-il. Une boîte de deux ou trois ormeaux australiens se vend ici trois fois son prix moyen habituel ailleurs. »

Un gourmet de Shanghai se souvient autrefois des périodes de disette, pendant lesquelles il fallait se contenter de maigres légumes, d'herbes, de feuilles ou de fleurs ou de n'importe quoi d'autre. « Maintenant que l'abondance règne, tout le monde veut tout, tout de suite. »

De nos jours, les Shanghaïens n'hésitant plus à mettre la main au portefeuille, il n'est pas rare qu'un restaurant facture de 3 000 à 10 000 yuans la table pour un banquet. Et les clients se presseront quand même dans ces établissements de luxe. Le haut de gamme de la restauration taiwanaise n'a donc pas hésité longtemps avant de s'engouffrer sur ce segment de marché.

Le restaurant de fruits de mer Tan-Tsu-Mien, réputé pour sa luxueuse élégance, a commencé sur le marché de nuit de la rue Huaxi, à Taipei. Il a ouvert une succursale à Shanghai en juillet 2003. Fidèle à sa tradition, on n'y trouve que le meilleur et le plus luxueux : cristaux Nachtmann, service en porcelaine Wedgwood, argenterie Christofle

En Chine, l'écart entre les riches et les pauvres est gigantesque. A Shanghai, ville particulièrement snob, où tout se mesure à l'aune de l'argent, les exigences sont démultipliées. « Les gens ont une idée très précise de ce qui constitue la « classe » d'un restaurant, explique Chou Wei-pao. Si quelqu'un juge que la clientèle d'un établissement n'est pas à sa hauteur, il n'y remettra pas les pieds. » Pour qu'un restaurant survive à Shanghai, il lui faut savoir tenir sa place dans ce secteur fortement hiérarchisé.

5 grammes de délice
Avoir un objectif marketing est important, mais pas suffisant. Le nom que l'on donne à un restaurant peut être un critère déterminant, mais il y a aussi des tas d'autres facteurs. Les conditions de la réussite sont d'autant plus difficiles à cerner ces dernières années en Chine, que tout avance par « bond » : « Vous commencez une affaire la première année, vous la modifiez en profondeur l'année d'après... et vous repartez à zéro la troisième année », avertit Chou Wei-pao en faisant allusion aux changements constants des modes à Shanghai. Les coups de cœur, explique-t-il, n'excèdent pas trois mois.

Bien que les transformations incessantes soient une façon de retenir les consommateurs shanghaïens assoiffés de nouveauté, il n'est pas impossible de bâtir la réputation d'un restaurant sur un nom solide. En réalité, dans ce marché où les dénominations vont et viennent au gré des modes, réussir à imposer une marque est un signe tangible d'excellence.

Sur ce point, Ding Tai Fung a donné l'exemple. Le restaurant taiwanais a une solide réputation de qualité. Ses raviolis fourrés à la viande sont fabriqués selon une procédure immuable : chaque ravioli pèse exactement 5 grammes, la pâte qui l'enveloppe forme précisément 18 plis, et la disposition et la cuisson immédiate dans un panier à vapeur garantissent l'excellence du produit - un xiaolongbao savoureux et juteux.

Une adaptation nécessaire
Les restaurateurs taiwanais qui tentent aujourd'hui l'implantation en Chine sont bien mieux préparés que par le passé. Sur ce marché très compétitif, où le prix du ticket d'entrée est déjà élevé, il faut réunir ces trois ingrédients indispensables pour espérer réussir : l'élément humain - que ce soit au niveau du personnel ou de la clientèle - , le capital et le savoir-faire, explique Park Cheng. Pour mettre toutes les chances de son côté, le groupe Wang Steak a fait venir de Taiwan une équipe de choc réunissant les meilleurs éléments de ses 33 établissements insulaires. Park Cheng s'est, quant à lui, établi à Shanghai avec sa famille afin de suivre les opérations au plus près.

Wang Steak génère dans l'île un chiffre d'affaires supérieur à 1 milliard de dollars taiwanais et s'est implanté il y a déjà longtemps aux Etats-Unis. La décision d'investir en Chine est, elle, intervenue tardivement. Suite à une étude effectuée il y a quelques années à Shanghai, il était apparu que le marché, malgré les quelques influences encore perceptibles du passage des Français et des Anglais, n'était pas encore mûr pour une restauration à l'occidentale. Les consommateurs shanghaïens ne paraissaient pas encore prêts non plus à tenter l'expérience du modèle culinaire taiwanais. Ces cinq dernières années, Park Cheng a surveillé de près les évolutions, et lorsqu'il a remarqué, il y a deux ans, une augmentation sensible de la consommation de viennoiseries, de café et de thé venant de Taiwan, il a jugé que le moment était venu. C'est à ce moment-là que fut décidée l'implantation de Wang Steak.

Les Taiwanais se mettent à table en Chine

Le thé : voilà un des secrets de la réussite des Taiwanais en Chine, qu'il s'agisse de thés perlés ou de cuisine au thé. La chaîne Channel Tea a aussi ses propres recettes.

Nouveaux défis pour une même cuisine
Malgré sa longue expérience des marchés taiwanais et américain, Wang Steak s'est vite aperçu qu'en Chine, la reproduction à l'identique des méthodes qui avaient fait le succès du restaurant ailleurs ne suffisait pas. Il fallait également s'adapter aux conditions locales.

Pour Wang Steak, la qualité du bœuf importé ne posait aucun problème. Mais la mise au point de la marinade qui donne sa saveur typique aux steaks lui a pris trois mois à élaborer, du fait des différences de qualité des ingrédients de base.

Chez Ding Tai Fung, les critères de sélection des ingrédients sont très sévères, explique Johnny Ao [區錦祥], directeur général de la franchise à Shanghai. A la recherche d'un fournisseur de gingembre, les dirigeants taiwanais du restaurant n'ont pas hésité à prospecter de Shanghai à Canton, sans trouver, hélas, un produit offrant la même fraîcheur et la même fermeté que le gingembre taiwanais. Le contraire est vrai aussi. On trouve en Chine des denrées de qualité supérieure, précise Johnny Ao, qui cite, par exemple, les crabes de Shanghai que Ding Tai Fung utilise en saison.

Parlons-nous vraiment la même langue ?
Le facteur humain est primordial en cuisine et en salle. Les écoles de cuisine et d'hôtellerie ne manquent pas en Chine, mais les exigences, en termes de qualité et de rapidité de service, y sont moindres qu'à Taiwan.

Par exemple, les chefs chinois ont l'habitude de saler comme bon leur semble, au jugé. Or, c'est la constance qui fait toute la différence pour garantir la qualité du plat. « Il suffit d'un rien pour que le plat ne soit plus du tout le même », fait remarquer Park Cheng qui se rappelle aussi que les chefs chinois n'hésitent pas à plonger le doigt à tout bout de champ dans les plats pour en vérifier l'assaisonnement, alors qu'à Taiwan, les chefs doivent se laver les mains en respectant une procédure de 10 étapes !

Li Yu-lung [李宇龍], directeur de Wang Steak à Shanghai, se souvient d'avoir été surpris de voir un chef chinois battre des bœufs en omelette avec un couteau. Lorsqu'il exigea l'utilisation du fouet, le chef monta sur ses grands chevaux et lui répliqua qu'il avait « un certificat d'hygiène » ! Li Yu-lung est encore étonné du niveau d'incompréhension mutuelle que peuvent atteindre deux personnes qui parlent pourtant la même langue.

Le service est un autre élément sur lequel les employés chinois ont des efforts à accomplir. La première chose que les restaurateurs taiwanais tentent de leur apprendre, c'est d'accueillir la clientèle avec le sourire. La direction de Ding Tai Fung accorde d'ailleurs une prime en fin de journée au « plus beau sourire », afin d'encourager ses employés à accueillir agréablement les clients.

Johnny Ao estime que la différence majeure entre les restaurants taiwanais et ceux de la Chine réside dans la qualité du service. « Dans la restauration, les détails sont cruciaux. Et là où les employés taiwanais offrent un véritable service à la clientèle, en s'efforçant de faire du mieux possible, les employés chinois se contentent souvent du travail minimum, sans s'investir. »

Chez Wang Steak, on déplore le manque de prévenance du personnel chinois. A Taiwan, il est fréquent de voir un ou une employé(e) veiller à ce qu'un enfant un peu turbulent ne dérange pas les clients, ou indiquer spontanément les toilettes à quelqu'un qui se serait levé dans cette intention. Le personnel chinois, lui, prend rarement les devants.

L'industrie des services a certainement bénéficié du savoir-faire importé dans l'île par les hôtels 5 étoiles qui s'y sont établis dans les années 80 et 90.

Le « petit Taiwan » de Shanghai
Quand les hommes et femmes d'affaires qui avaient l'habitude de fréquenter deux à trois fois par mois le restaurant de la rue Huaxi, à Taipei, quittèrent l'île pour s'installer à Shanghai, leur absence se fit sentir. Aussi, lorsque Tan-Tsu-Mien établit une succursale à Shanghai, ses anciens clients taiwanais furent-ils les premiers à s'y précipiter, suivis rapidement par les touristes japonais, assurant le succès du restaurant. De la même façon, Wang Steak a dû essuyer une baisse de près de 20% de la fréquentation de ses restaurants à Taiwan après le départ vers la Chine de ses clients habituels. Ainsi, s'implanter en Chine signifiait pour beaucoup de restaurateurs taiwanais « suivre » leur clientèle et la garder.

Les Taiwanais installés à Shanghai, ainsi que les banquets et autres dîners auxquels ils convient leurs invités chinois et étrangers, ont permis à ces restaurants de s'assurer un certain volume d'affaires et d'asseoir leur réputation.

La tendance actuelle est d'ailleurs à l'augmentation du nombre des clients chinois. Durant les trois mois qui ont suivi l'ouverture de son établissement shanghaien, Park Cheng a remarqué une forte augmentation de leur proportion, qui est passée de 20% à 50% de la clientèle. Le pourcentage a désormais atteint 70%.

Un élément de surprise a été l'âge des clients. Visant à l'origine le marché des 35-55 ans, Park Cheng a remarqué que son restaurant était surtout fréquenté par les représentants de la génération de l'enfant unique, c'est-à-dire les 20-35 ans. En effet, cette classe d'âge bénéficie d'un fort pouvoir d'achat, car elle puise dans les ressources des parents et des grands-parents, soit 6 personnes. Au contraire des jeunes Taiwanais, dont le pouvoir d'achat est sur le déclin, les jeunes Chinois n'hésitent pas à consommer, car leur futur financier semble assuré par leur famille.

Séduire la « nouvelle bourgeoisie »
En terme de clientèle, les cols blancs de moins de 40 ans constituent la cible de choix des restaurants taiwanais. Les cadres au salaire de 5 000 yuans sont friands de l'atmosphère luxueuse et confortable que savent si bien créer les restaurateurs taiwanais. Désigné sous le terme de « nouvelle bourgeoisie », ce groupe s'apparente à ce que l'on appelle en France les « bobos », les bourgeois-bohèmes, des gens aux professions et au pouvoir d'achat bien établis et aux aspirations plutôt artistiques.

Channel Tea remporte la palme dans ce domaine. Originaire de Taoyuan, dans le nord de Taiwan, la chaîne gère en direct quatre établissements en Chine dans lesquels elle emploie 500 personnes. Loin du style classique qui a fait son succès à Taiwan, le restaurant de la rue de Nanjing, à Shanghai, accueille les clients avec une lumière tamisée, dans de moelleux sofas créant une ambiance propice à la détente. La seule touche rappelant le style originel de la chaîne taiwanaise est un cadre de fenêtre traditionnel en bois sculpté. Aucun détail n'est laissé au hasard et même la vaisselle a été conçue par Channel Tea. On peut déguster thés et tisanes dans de ravissantes tasses en terre cuite, d'un rafraîchissant vert pastel.

L'installation de Channel Tea sur le marché chinois, en 2001, a coûté 2,8 millions de dollars américains aux investisseurs. L'implantation est un succès, et Cheng Ting-zong [陳定宗], le directeur général, ambitionne de devenir le numéro 1 de la restauration en Chine grâce à l'ouverture prévue de 260 restaurants dans les dix prochaines années. Pour la chaîne, s'établir à Shanghai ne constitue pas un but mais plutôt un tremplin pour l'international.

La touche verte
Les restaurants végétaliens de Shanghai, comme le Gongdelin et le Songyuelou, étaient essentiellement destinés à une clientèle bouddhiste et ne bénéficiaient pas d'une très bonne image de marque en général, leur cuisine étant souvent considérée comme pauvre. Jusqu'à l'arrivée sur le marché du restaurant lancé par Song Yuan-po [宋淵博].

Celui-ci, détaché à Shanghai par une société immobilière taiwanaise, est devenu végétalien en 2000, suivant en cela la tradition bouddhique, après un vu fait pour le rétablissement de sa mère alors gravement malade. Puisque les établissements de ce type étaient rares à cette époque, il décida d'ouvrir son propre restaurant, Zaozishu.

Dans un décor simple (de petites tables en bois et une vaisselle moderne en verre transparent) où la cigarette et l'alcool n'ont pas leur place, il s'est positionné sur le créneau de la santé et du bien-être, intégrant les tendances new age actuelles dans la cuisine traditionnelle végétalienne chinoise. La variété des quelque 200 spécialités qui composent le buffet contribue au succès de l'établissement.

Ce n'est pas tout, car Zaozishu propose en plus un nouveau concept. Song Yuan-po a fait entrer l'éthique dans le monde de la restauration en décidant de verser la moitié des bénéfices de son restaurant à des organisations caritatives. Une fois par mois, un grand dîner gratuit est organisé auquel sont conviés des bénévoles de l'action humanitaire, ainsi que des personnes âgées sans famille. Le restaurateur taiwanais s'est en outre engagé en faveur de la protection de l'environnement et des droits des animaux en Chine, tentant ainsi de développer un nouveau style de restauration responsable et de le positionner sur le plan philosophique.

Une vue de l'esprit
En définitive, l'introduction de la culture gastronomique taiwanaise en Chine a permis de souligner les points communs mais aussi les différences avec sa rivale continentale. En tout cas, la confrontation s'est révélée stimulante pour les deux cuisines, la chinoise apportant la richesse de sa tradition et la taiwanaise, la créativité qui fait sa renommée. La compétition qui règne entre les restaurateurs des deux rives les oblige donc à se surpasser dans l'art de la bonne chère, pour le plus grand bonheur des gourmets.

Sur les traces de Lin Yu-tang [林語堂], célèbre auteur chinois, qui a déclaré que les Chinois se nourrissaient aussi de tous les sentiments que suscite en eux ce qu'ils mangent, on pourrait dire que la touche apportée par les restaurateurs taiwanais à la gastronomie chinoise vise à conforter une conception et une vision à part de l'art de la table. ■

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