Après avoir élevé des enfants et entretenu un foyer pendant des années, de nombreuses femmes quadragénaires cherchent un emploi à l'extérieur. Malgré les contraintes sociales, elles reçoivent opportunité et encouragement.
Après avoir éduqué trois enfants et être aux soins du ménage plus de dix ans, Mme Chen Mei-jui a décidé qu'il était temps à 45 ans de forcer un changement. Un jour, elle demanda à son mari de l'écouter et d'accepter ses propositions. Elle désirait se porter volontaire à l'hôpital municipal Chunghsiao de Taipei. Son époux a tout de suite émis des objections, lui demandant d'attendre que leur plus jeune fils, âgé de 7 ans, soit un peu plus grand. Mais Mme Chen Mei-jui avait pris sa décision, lui précisant que cela ne posait aucun problème puisqu'elle serait à la maison pour lui préparer le dîner. En fin de compte, son époux agréa.
Mais l'acceptation de la famille n'était qu'un premier pas. Après dix ans passés à la maison, la tenue d'un poste au bureau des inscriptions tant animé pour la consultation d'un médecin à l'hôpital est fort éprouvante. Il y a un flot constant de patients ayant des questions et des plaintes. Elle se rappelle avoir paniqué quand on lui a demandé de l'aide pour en remplir les formulaires. Détentrice d'un certificat d'études primaires et mère au foyer, elle écrivait peu, et il lui a apparu difficile d'écrire le nom des patients. Cinq ans plus tard, elle a depuis longtemps surmonté toutes ses premières appréhensions. Outre d'avoir amélioré son écriture, elle s'est même consacrée à l'aide aux malades et à soutenir les patients plus âgés ou handicapés. Maintenant, elle se sent utile à beaucoup de gens. C'est une grande satisfaction tandis qu'elle s'est créée de nombreux amis. Ce travail lui a permis de surmonter ses tendances vers l'égocentrisme et la mesquinerie qu'elle avait acquis quand elle était femme d'intérieur. Ce volontariat a donc bouleversé toute sa vie. Elle a maintenant l'esprit plus ouvert, ne se heurte plus à son mari ni à ses enfants. De plus, cette transformation a eu une heureuse influence sur ses enfants qui aiment aussi aider leurs amis et les autres. Enfin, elle a même persuadé sa mère de 69 ans à la rejoindre dans ce volontariat.
Cette orientation hors du foyer traduit une tendance grandissante parmi les mères au foyer quadragénaires, toujours plus nombreuses à rechercher une occupation bénévole ou un poste rémunéré. Selon l'office de la Comptabilité nationale et des Statistiques, il y a 990 000 femmes quadragénaires dans l'île de Taiwan dont près de la moitié est diversement employée. Parmi celles de 50 à 54 ans, 40% seulement ont une fonction; et parmi celles de 55 à 59 ans, 30% travaillent hors du foyer.
La tendance répandue chez les femmes à prendre un emploi vient du fait d'avoir moins d'enfants. Les femmes de plus de 65 ans ont eu en moyenne cinq enfants; celles âgées de 40 à 44 ans n'en ont eu plus que trois. De plus, les quadragénaires sont mieux instruites que leurs aînées. 28% de femmes de 40 à 44 ans ont un diplôme universitaire ou équivalent alors que 9,7% seulement des femmes de 50 à 54 ans sont allées au-delà du lycée. Là, cette génération de « quadras » a été la première à se lancer dans le mouvement féministe. Durant les années 80, c'est pendant qu'elle était encore trigénaire que les premières organisations de droit féminin ont été fondées.
Tout cela a donc encouragé les ménagères à prendre une occupation hors du foyer. La première étape a été pour beaucoup d'entre elles le volontariat. Bien que ce soit une conception relativement nouvelle à Taiwan — la coutume chinoise explique que c'est le meilleur moyen d'éviter des préoccupations sociales hors de la famille —, le contact croissant avec la civilisation occidentale a accéléré cette tendance. Beaucoup d'écoles, d'organisations religieuses ou culturelles, d'installations médico-hospitalières et d'organismes de bien-être social prennent des volontaires parmi les femmes quadragénaires. Des 71 volontaires de l'hôpital Chunghsiao (à Taipei), 50 (70% de ce personnel) sont des anciennes ménagères quadragénaires. Il y en a de plus jeunes, mais elles consacrent plus de temps à leurs enfants, explique Mme Hung Chien-hui, assistante sociale qui surveille ce personnel bénévole, ajoutant que ces « quadras » sont celles sur qui on peut le mieux compter.
Un petit nombre de femmes quadragénaires qui ne cesse de croître a fait son entrée sur le marché du travail. Cependant, d'une manière générale, ce marché est très limité aux femmes d'âge moyen. Même quand l'expérience professionnelle n'est pas une condition préalable, elles sont souvent en position désavantageuse, car les entreprises préfèrent embaucher des femmes jeunes et célibataires. En fait, les petites annonces précisent les conditions requises des candidates, comme l'âge et le statut marital. Si une femme jeune et belle se présente en même temps qu'une quadragénaire, qui embauchera-t-on? ose demander Mme Yi Chin-chun, chercheuse à l'institut Sun Yat-sen des sciences sociales et de philosophie de l'Academia Sinica. Et de répondre : « La première, bien sûr! »
Mais la carence de main-d'œuvre à Taiwan a créé de nouvelles chances. Les assurances, les agences immobilières, les sociétés de vente à domicile, les magasins d'alimentation et les supermarchés estiment que les anciennes mères au foyer sont des employées idoines pour certaines fonctions. Les magasins japonais Kasumi - Huey Yang Department Store Company sont ainsi le premier supermarché à recruter de telles employées quand ils ont établi leur chaîne de magasins à Taiwan en 1977. Les ménagères ont réellement aidé à combler la pénurie de main-d'œuvre insulaire, dit M. Chiu Ching-huang, directeur exécutif de Kasumi (Taiwan). Leur nature amicale, leur patience et leur stabilité ont été leurs plus grands atouts. Il ajoute que ces femmes sont les employées les plus souples. Elles sont disciplinées, fidèles et plus désireuses de travailler que ne le feraient d'autres. Chez Kasumi, par exemple, beaucoup sont à la préparation des aliments prêts à manger dans les laboratoires du supermarché ou au service d'emballage des denrées. Aujourd'hui, 40% du personnel de Kasumi à Taiwan est féminin et quadragénaire. Wellcome Taiwan Company et Sung Ching Supermarket Company, deux autres grandes chaînes de supermarchés, ont également embauché d'anciennes ménagères quadragénaires.
Les sociétés ont longtemps préféré un personnel jeune et célibataire. Mais la pénurie d'une telle main-d'œuvre a fait baisser la barrière de l'âge. C'est une chance que les femmes quadragénaires n'ont pas manquée.
Mme Hau Shang-yuan qui a récemment trouvé un poste aux ateliers culinaires de Kasumi a maintenant 45 ans. Elle n'avait jamais pensé pouvoir être promue, ce qui n'est pas important pour elle. Sa plus grande préoccupation est que l'ambiance et les conditions de travail sont excellentes, en même temps qu'elle se réjouit d'entretenir de bonnes relations avec ses collègues. Le seul point faible de ce groupe d'employées est la teneur de leurs obligations familiales, ce qui diminue leurs disponibilités. Beaucoup préfèrent travailler de 8 à 17 heures, car elles veulent rentrer chez elles pour y préparer le dîner familial, et l'entreprise doit compter avec cette contrainte.
Faire la transition du foyer au monde du travail peut être une difficile expérience. Quelques mères au foyer ont ainsi subi le syndrome de la ménagère, perdant confiance en soi et devenant asociales et méfiantes à outrance, dit Mme Huang Hsiu-chin, secrétaire chez Warm Life, un organisme qui aide les femmes divorcées à reprendre vie. Mme Linda Hsieh, directrice du Centre de Taipei pour l'Epanouissement de la femme, un organisme presbytérien de formation professionnelle et de placement pour dames, explique que beaucoup d'anciennes mères au foyer se mettent à travailler avec un comportement qui crée des frictions. Comme elles sont plus âgées, par exemple, elles tendent à donner des conseils peu désirables à leurs jeunes camarades. Avant d'être embauchées, ces femmes d'âge moyen ont besoin d'une préparation psychologique pour les adapter à un environnement totalement différent.
Le manque de personnel technique pose un autre risque. Beaucoup de ces femmes quadragénaires n'ont jamais tenu un ordinateur, une télécopieuse ou une photocopieuse; ou encore elles sont peu familières des termes anglais ou du jargon de la haute technologie utilisés dans les bureaux modernes. Après avoir passé 15 ans au foyer, Mme Chan Yu-feng, a pris à 41 ans un poste d'employée de bureau en mai 1993. Apprendre le côté technique de son nouveau poste a été pour elle une rude expérience. Pourtant, deux ans avant d'être embauchée, elle avait suivi des cours d'informatique. Mais n'utilisant pas ses nouvelles connaissances, elle les a oubliées. Il lui faudra donc encore quelque temps pour s'y remettre.
Les femmes qui se lancent dans cette aventure ont besoin de la compréhension et du soutien moral de leur famille. Généralement, les maris sont les plus durs à accepter que leur femme s'en aille ainsi travailler, dit Mme Hsieh. Beaucoup croient ne plus être le soutien de famille, aussi craignent-ils perdre la ménagère, la cuisinière et la pouponnière. Ils sont gâtés quand l'épouse fait toutes les corvées domestiques, dit Mme Chan Yu-feng. Aussi, avant de reprendre du travail, elle pressa son mari à partager ces corvées. Au début, il a été très malheureux, mais la joie de sortir et de travailler au dehors exprimée par l'épouse a eu une influence heureuse sur tous les membres de la famille.
Quand Mme Tseng Hsiu-chih a décidé de quitter son travail de couturière à demeure pour tenter sa chance dans la vente à domicile, elle a rencontré l'opposition de son mari qui voulait qu'elle restât à la maison pour coudre et s'occuper des enfants. Elle a commencé chez Amway sans l'encouragement conjugal mais a réclamé une chance pour se prouver. Et six ans plus tard, elle avait monté un réseau de distribution de quatre mille vendeurs tandis que les recettes ont atteint 50 millions de yuans taiwanais l'an dernier! 40% des agents distributeurs d'Amway de Taiwan sont des ménagères quadragénaires. Beaucoup n'ont qu'un certificat d'études primaires, comme Mme Tseng Hsiu-chih; certaines ont moins que cela. Mais toutes ont acquis par le travail la « bosse du commerce », l'art de parler au public et le savoir-faire de la vente. Au début de sa carrière, son mari la taquinait, lui répétant qu'elle était née couturière et qu'elle n'avait rien à faire hors du foyer, dit-elle. Grâce à son succès chez Amway, il la respecte tandis que son statut dans la famille s'est singulièrement élevé.
Bien que les mères au foyer de longue date rencontrent encore des obstacles en cherchant du travail à l'extérieur, les histoires de grande réussite, comme celle de Mme Tseng Hsiu-chih, ne feront qu'encourager plus de femmes quadragénaires à se lancer à l'aventure.
Yuan Tzu-yu
(V.F., Jean de Sandt)
Photographies de Chang Su-ching.