La tontine chinoise, ou he-houeï [合會] ou simplement houeï [會], est un moyen commode et fort ancien en Chine de se procurer de l’argent. C’est encore une manière profitable d’épargner. Elle est l’affaire des simples particuliers comme des commerçants et des petits entrepreneurs. Elle sert à se procurer des liquidités pour le mariage, l’achat d’une voiture ou d’un appartement, la fondation d’une entreprise ou tout autre besoin, notamment quand le système bancaire ne répond pas aux attentes de la population qui n’a pas forcément besoin de grosses sommes d’argent et qui n’offre pas de garanties monnayables. Son avantage est son extrême souplesse. Elle repose aussi sur l’initiative individuelle et peut se former à tout moment et en tout lieu, dès que le besoin s’en fait sentir. Elle peut être très modeste pour un équipement en appareils électroménagers ou beaucoup plus élevée pour l’achat d’un appartement ou le financement d’une entreprise. Dans son principe, il s’agit d’une société de crédit mutuel.
La tontine chinoise a pris son essor dans ses formes actuelles sous la dynastie de Song (960-1279) à la suite des Grandes Réformes (1069-1076) de Wang An-cheu (1021-1086). C’était l’époque des systèmes d’entraide. Certains la font remonter à la dynastie de Tsin (265-316), voire celle occidentale de Han (25-220); d’autres estiment qu’elle serait venue de l’Inde avec le bouddhisme sous la dynastie de Tang (618-907).
La tontine chinoise s’appuie sur les relations familiales, de travail et de voisinage qui, dans la société chinoise, remplacent les gages et les hypothèques grâce à la confiance mutuelle. Elle remplit un créneau que les banques ne peuvent occuper, ayant une tendance naturelle à ne prêter qu’aux riches. Son organisateur est un personnage essentiel, car il met en contact des gens qui n’auraient sans doute jamais fait d’affaires entre eux. Personne influente dans son milieu, il est le garant, ou houeï-toô [會頭], de la tontine. Il réunit plusieurs personnes qui décident d’une somme d’argent globale, le « pot » de la tontine, ou houeï-kouan [會款], mise à tour de rôle à chaque échéance à la disposition de chaque participant, ou houeï-kiao [會腳], sous forme de prêt. Bien sûr, si le garant bénéficie du prêt sans intérêt, il est personnellement responsable de tout participant qui ferait défaut; et si lui-même manquait à sa parole, ce serait la catastrophe. A chaque échéance, les participants versent leur part de la tontine, dite cotisation ou houeï-kinn [會金], selon des modalités bien définies. A la première réunion, le garant pour un apport initial modeste, bénéficie immédiatement de toute la tontine à laquelle les autres participent. L’échéance suivante, le garant procède à la désignation du second bénéficiaire. Pour cela, un intérêt est soumis en secret au garant par les seuls partenaires « en lice », ceux qui n’ont pas encore touché le « pot ». Il ne s’agit pas d’un pourcentage, mais d’une somme d’argent que seuls les participants « en lice » soustraient de leur cotisation, les autres payant leur cotisation en entier. La plus forte soumission emporte le « pot » de l’échéance. Mais, ce « pot » n’est égal qu’au montant global des cotisations, donc légèrement inférieur à la somme engagée en tontine. L’intérêt varie selon l’urgence, le besoin des participants « en lice ». Plus la demande est forte, plus l’intérêt est élevé, et inversement. A la troisième échéance, on répète l’opération, et ainsi de suite jusqu’au terme de l’engagement considéré. Le dernier participant, qui a su attendre, est aussi bénéficiaire de droit et reçoit la tontine totale. Il n’y a en fait que deux « pots » pleins, ceux du premier mois et du dernier mois. C’est une formule théorique, car, en fait, chaque bénéficiaire ne paie pas de cotisation quand il reçoit la tontine, d’où le calcul plus complexe du taux d’intérêt de prêt ou d’épargne. En règle générale, après la moitié d’un terme lorsque la moitié des participants d’une tontine en a déjà bénéficié, il s’agit plus d’une forme d’épargne que de prêt. Seuls les premiers voulant disposer au plus tôt d’une somme paient un intérêt plus conséquent.
Un exemple. Soit donc une tontine de 180 000 yuans taiwanais entre douze participants et douze mois. Le garant reçoit la tontine globale sans intérêt qu’il rembourse en un an. Le deuxième bénéficiaire décidant d’un intérêt de 1 000 yuans ne recevra qu’un « pot » de [(15 000 - 1 000) x 11] + (15 000 x 1) = 169 000 yuans taiwanais. Le troisième décidant d’un intérêt de 700 yuans taiwanais recevra un « pot » de [(15 000 - 700) x 10] + (15 000 x 2) = 173 000 yuans taiwanais. Etc. Chaque échéance connaît la soumission d’un intérêt, différent ou identique, selon le besoin de chaque participant « en lice ». S’il ne se présente pas de soumission, le bénéficiaire est tiré au sort, tandis que l’intérêt est nul.
Jean de Sandt