Tandis que la République de Chine poursuit résolument sa progression dans le grand courant économique et commercial du monde, elle veille de plus en plus à la morale traditionnelle dans sa course vers la modernisation.
Les défis moraux actuels, quelle que soit leur importance, se surajoutent à une longue série d'épreuves déjà traversées par le système confucianiste lequel a su, grâce à son esprit créatif, s'adapter aux circonstances pendant vingt-cinq siècles tout en gardant ses principes fondamentaux intacts.
Alors que la République de Chine traverse de profondes transformations sociales, économiques et politiques, l'éthique traditionnelle est plus que jamais regardée comme l'indispensable guide qui lui permettra de poursuivre sa route.
L'article de M. Chen Chi-sen, directeur de l'Office des lois et des brevets de la République de Chine, présente une analyse générale du rôle de la morale dans le monde des affaires actuel. Son analyse est sur le parcours de longues études, évaluations et adaptations de l'éthique traditionnelle aux besoins urgents de notre époque. Elle examine les aspects généraux de ce défi et fournit des éléments nécessaires à des études ultérieures.
L'éthique des affaires, dont l'étude se rapporte au très vaste domaine des principes moraux fondamentaux incluant le respect de la vie et de la propriété et le maintien de relations humaines harmonieuses, a une portée et des objectifs plus particuliers, ainsi qu'une structure caractéristique et toujours dynamique.
Son influence change rapidement du fait des nouveaux problèmes moraux posés par les inévitables transformations de la société industrielle moderne. De même que l'éthique médicale doit répondre aux progrès de la génétique, celle des affaires se modifie en vertu des progrès réalisés dans le domaine de l'automatisation électronique, par exemple. Tandis que les médecins doivent redéfinir la conception de la mort, les hommes d'affaires sont amenés à reconsidérer la notion de confiance. Aussi étendus que puissent être ces problèmes, ils ne sont qu'une petite partie des changements entraînés par les progrès technologiques.
Il est utile, lorsqu'on commence à étudier l'éthique des affaires, de penser en termes de relations morales entre les trois acteurs principaux d'une société industrielle : les entrepreneurs des secteurs public et privé, les travailleurs ou les employés, y compris les fonctionnaires, et les consommateurs.
Une société industrielle diffère d'une société agricole sur trois plans : la distinction des moyens de production, la division entre la direction et la main-d'œuvre et la séparation entre la production et la consommation. Ces trois caractéristiques qui datent de la révolution industrielle sont devenues plus complexes avec les progrès de l'industrialisation. En parallèle, sont apparus les trois acteurs présents dans toutes les activités économiques d'une société industrielle, à savoir l'entrepreneur, le travailleur et le consommateur. Cependant, à mesure que la situation se complique, on se rend compte que n'importe qui peut jouer l'un de ces trois rôles ou deux ou même tous les trois simultanément pendant une certaine période de sa vie en étant soit exclusivement consommateur; soit travailleur et consommateur; soit industriel et consommateur; soit les trois à la fois, industriel, travailleur et consommateur.
L'entrepreneur joue un rôle de premier plan dans l'essor économique. La redéfinition de l'éthique des affaires de la fin du XXe siècle et du début du siècle suivant devrait donc lui accorder plus de poids sans qu'il en devienne nécessairement l'unique sujet de discussion. Les normes de conduite pour le travailleur et le consommateur ne doivent pas être négligées, mais il est indéniable que ce sont celles de l'entrepreneur qui posent le plus grand nombre de délicats problèmes moraux.
La difficulté réside donc dans une redéfinition de l'éthique des qffaires qui puisse de fournir des normes de conduite à tous ceux qui participent aux activités économiques de la société industrielle. Il est plus facile de poser le problème que d'y répondre. Les spécialistes et les hommes d'affaires seront conduits à évaluer et à reconsidérer le sujet en plusieurs étapes, toutefois le point de départ de l'étude fondamentale devra être correct sous peine d'obtenir des résultats très insuffisants. Une excellente compréhension des principes moraux fondamentaux, du système économique et des raisons de fonder un comportement économique sur des bases morales doit en tout premier lieu présider à la mise en place de l'éthique des affaires.
Pour y parvenir, les spécialistes pourront se référer aux principes éthiques établis de longue date et que constituent pour les Chinois vingt-cinq siècles de philosophie confucéenne. L'éthique des affaires n'est en fait qu'une subdivision du long et remarquable effort intellectuel qui a développé des formes de pensée extrêmement subtiles sur des sujets tant théoriques que pratiques. Elle fait référence à un équilibre ordonné et rationalisé de l'expérience morale humaine et à l'élaboration de critères distinguant les comportements acceptables de ceux qui ne le sont pas. Elle s'éloigne de l'anthropologie, de la psychologie ou de la sociologie, car son but est de proposer des critères et non de procéder à une analyse purement objective. En adoptant une méthode d'approche rationnelle, elle diffère par ailleurs de la religion qui s'appuie sur des révélations pour mettre des critères de conduite en place.
Avant qu'un système de l'éthique des affaires ne vienne établir des normes de conduite à l'usage de ceux qui participent aux activités économiques de la société industrielle, la compréhension des principes économiques fondamentaux est indispensable. Son objectif est autant pratique que théorique. Il devrait encourager une activité économique plus harmonieuse au lieu de la dénigrer ou de l'entraver de façon déraisonnable. S'il ne respecte pas les tendances actuelles de l'économie, il ne sera qu'une aride construction de l'esprit, seulement utile aux spécialistes soucieux de gonfler leurs notes biographiques. La société a besoin d'une morale active, capable de prendre des mesures concrètes et de dire non quand il le faut. L'essentiel est donc d'établir un tel système positif et dynamique.
Les activités économiques affectent plus que jamais l'individu dans la société industrielle hautement uniformisée et absolument sans frontières nationales. En effet, une mesure prise à New York peut avoir des répercussions sur la production agricole d'Amérique du Sud; un investissement décidé par Tokyo peut fixer l'avenir de milliers de travailleurs du Sud-Est asiatique; une déclaration politique à Riyad peut créer tout un marché en quelques minutes. Les possibilités et les réalités sont infinies, comme le rappelle abondamment la presse quotidienne. Les décisions économiques ont de nos jours une grande importance morale et une influence très étendue.
Si cela est bien vrai pour les macro-économies de la société industrielle moderne, cela s'applique également aux micro-économies. Les initiatives commerciales créent un réseau complexe et infini de relations sociales de sorte que les corps de métiers et les industries, même dans la plus petite ville, sont interdépendants. Il est important, lorsqu'on en approfondit ou modifie les termes et qu'on évalue les fonctions du système économique, de ne pas limiter le champs des investigations aux individus ou à certaines catégories professionnelles, mais de se baser sur le développement à long terme de la société toute entière.
Le problème principal est de donner un fondement moral au comportement économique. Les activités économiques d'un entrepreneur, d'un travailleur ou d'un consommateur, dans la société industrielle résultent de la volonté de s'enrichir. Cette tendance est non seulement acceptée, mais encouragée dans les faits; elle constitue d'ailleurs la principale force motrice de la société industrielle. Mais si l'activité économique se poursuit exclusivement dans le dessein du profit personnel, il se produit inévitablement des pratiques commerciales et des comportements économiques douteux. Ce genre d'attitude n'est nullement surprenant étant donné que les acteurs du progrès économique ne perçoivent pas l'ensemble des facteurs qui affectent la société. Ceux-ci sont donc tentés de choisir la facilité — travailler à son profit est tellement plus agréable — au lieu de prendre des mesures dans l'intérêt général. Lorsque cette notion d'intérêt général est complètement perdue, il s'ensuit des pratiques commerciales immorales dont les conséquences à plus ou moins long terme sont préjudiciables. C'est pourquoi tout comportement économique doit être soumis à des considérations morales.
Les étapes à franchir pour atteindre cet objectif sont donc à rechercher et les formules suivantes peuvent contribuer à la mise en œuvre de l'éthique des affaires.
La réglementation des affaires
Toute activité professionnelle pour se développer doit maximiser les fonctions sociales qui lui sont attachées. C'est pourquoi, certains types de comportement et le sens des responsabilités collectives seront encouragés tandis que celles qui ont des fonctions antisociales seront réprouvées. Sachant cela, chaque catégorie professionnelle a le devoir d'adopter des principes moraux fondamentaux et de créer un système autonome de réglementation des affaires. Cette démarche constitue la première étape de la mise en pratique de l'éthique des affaires.
Le système de contrôle mutuel
La société industrielle composée de nombreux groupes et organisations sociales est pluraliste. L'établissement d'un système de contrôle mutuel permettrait une application plus efficace de la morale dans les activités économiques. L'usage de l'opinion publique et de la pression sociale pourrait justement renforcer l'attitude critique des différents groupes professionnels et le regroupement des victimes de pratiques commerciales malhonnêtes décourager les récidives. Mais avant de prendre une action, tout contrôle émanant d'une organisation doit être résultat d'une évaluation prudente, rationnelle et minutieuse des faits. Ajoutons que les cas individuels doivent être comparés à des cas antérieurs pour en déterminer l'importance relative.
Les lois morales
La loi et l'éthique contribuent à la mise en place de normes de conduite pour la société, à la différence près que l'éthique est en dehors de la société et n'a pas de pouvoir coercitif alors que la loi, qui émane de l'Etat, peut traduire les criminels en justice. En conséquence, malgré les effets très nuisibles d'une transgression des grands principes moraux sur la société, ceux-ci sont parfois peu respectés puisqu'aucune force coercitive n'en assure l'application. L'élaboration de lois selon l'éthique des affaires, aussi désirable soit-elle, doit cependant être soigneusement étudiée.
Il faut convenir que ces démarches pratiques ne sont que le début d'un long chemin à parcourir. D'une manière générale, le rôle des sociologues et des spécialistes dans le domaine de l'éthique des affaires contribue essentiellement à la modernisation. L'éthique des affaires garantit la cohésion et le progrès de la société moderne qui, sans elle, ne peut se stabiliser ni avancer, mais risque, bien au contraire, de se fragmenter et de s'autodétruire.
L'application des principes moraux dans le domaine des affaires est le facteur principal du développement continu de la société industrielle. En République de Chine, la redéfinition des devoirs et des responsabilités de la direction et de la main-d'œuvre est l'occasion d'une recherche d'un système fondé sur l'éthique des affaires correspondant à la fois à la société industrielle moderne et au riche modèle de traditions confucéennes. Cela entraînera donc des modifications de réglementations et de lois. Qu'elles concernent l'entrepreneur, le travailleur et le consommateur, ou les trois à la fois, il faut rendre les décisions moralement acceptables et les faire correspondre, et aux traditions du passé et aux exigences du futur. On peut donc s'attendre à ce que Confucius — c'est-à-dire ses préceptes philosophiques — ait son rôle à jouer chez les initiés du négoce.
Photographie de Chen Min-jeng.