Si la qualité et la diversité de la presse d'un pays peuvent en refléter la société, il faudra prêter une attention particulière à la forte expansion des périodiques de Taiwan au cours de ces deux dernières années, quand bien même il est malaisé d'exagérer l'importance du changement en un si court laps de temps.
Les témoignages d'une profonde évolution abondent dans les kiosques ou les importantes librairies. Plus libéraux, internationaux et pratiques, les périodiques locaux couvrent maintenant tout le spectre des nouvelles, comme dans les sociétés les plus avancées.
Mais l'évolution rapide a ses revers, et Taiwan en témoigne également. Pourtant, la tendance est nettement sur la voie d'une meilleure qualité de la forme et du contenu de la presse locale.
Le monde des périodiques de la République de Chine à Taiwan est en plein développement. Il reflète la prospérité économique croissante et l'évolution vers une société plus pluraliste. D'après les dernières données disponibles, on comptait en 1987 environ 3 200 périodiques de langue chinoise pour 20 millions d'habitants, soit une hausse de 21% par rapport à l'année précédente. On attend de meilleurs résultats en 1988 du fait d'un climat encore plus libéral.
En 1987, les périodiques économiques, financiers et commerciaux connaissent les plus fortes augmentations de circulation, suivis par les revues universitaires, sociales, politiques et religieuses. Ce n'est pas une surprise étant donnée l'intensification des activités dans ces domaines et, par conséquent, un besoin plus grand de publications spécialisées.
Ainsi, les activités économiques n'ont jamais été aussi importantes qu'à l'heure actuelle. A cause de l'augmentation des salaires, les entreprises passent d'une production basée sur une nombreuse main-d'œuvre à l'emploi plus intensif de la technologie. On compte de plus en plus d'entreprises qui essaient d'améliorer leur compétitivité rendue vitale par la libéralisation des investissements et du contrôle des importations. Pour être plus efficaces, ces transformations nécessitent des informations récentes sur l'industrie, les marchés et la gestion. Comme les quotidiens locaux ne rapportent pas ces questions en profondeur ni ne reflètent les tendances mondiales, les lecteurs se tournent vers les revues spécialisées.
La presse locale fait état de nombreuses matières, allant de la politique gouvernementale à la gestion, en passant par le contrôle de la qualité, l'étude des marchés, les finances, etc. Suite à l'élévation des revenus et de l'épargne privée, les revues spécialisées dans les placements de fonds et les conseils financiers se sont multipliées tandis qu'on s'attend à d'importants développements dans le domaine de la bourse, le marché de l'or, l'immobilier, les objets d'art, les devises étrangères et les produits financiers internationaux. En tout, on compte 570 revues économiques, financières ou des affaires qui représentent environ un sixième de l'ensemble national des périodiques.
De même que pour le développement économique, l'augmentation des revues politiques (environ 220 actuellement) est due à la libéralisation du climat politique créé par les réformes politiques lancées par le gouvernement. Grâce à la levée des Décrets d'urgence en juillet 1987, tous les sujets et les événements politiques peuvent être discutés sans réserve. La reconnaissance tacite par le gouvernement de nouveaux partis politiques* a élargi la participation aux affaires nationales et stimulé l'intérêt public pour ces mêmes affaires. Le parti démocrate-progressiste, nouvellement fondé est de plus en plus actif et influent dans les organes de représentation nationale et régionale. Les nouvelles sont plus nombreuses, diversifiées et souvent sensationnelles.
Un autre témoignage d'un pluralisme plus élargi est l'augmentation des périodiques spécialisés sur la protection de l'environnement, le droit du travail et d'autres questions sociales. Il y a 234 revues de ce type. On dénombre 362 périodiques culturels et universitaires et autant de titres de publications religieuses. Ces deux catégories ont chacune connu une importante augmentation de 80% et de 50% respectivement en 1987.
La croissance économique continue et la plus grande accessibilité à l'enseignement supérieur ont créé un important groupe de professionels et de responsables des affaires. Ils ont besoin d'une presse spécialisée dans leur domaine pour accroître leurs connaissances et être au courant des dernières informations. Et l'augmentation des revenus permet des dépenses plus fortes pour l'achat de périodiques au détail ou par abonnement, selon une récente étude effectuée par une école de journalisme.
Un autre facteur est le développement de la publicité dont un des principaux vecteurs est le périodique. La rude compétition commerciale a augmenté la qualité et la quantité des annonces publicitaires. Les revues spécialisées sont chaque jour plus sollicitées, car l'atteinte de leurs lecteurs plus spécifiques accroît les bénéfices de l'investissement publicitaire. Les autres media écrits ne sont pas aussi efficaces, car on ne retrouve pas dans la presse quotidienne les qualités de papier et d'impression desdites revues.
L'industrie locale de la publicité a été stimulée par l'ouverture du marché aux produits étrangers. Les produits de consommation comme le vin, les cigarettes, l'épicerie fine, les produits de beauté, l'automobile et l'électroménager sont en compétition avec les produits de fabrication locale puisque les fournisseurs investissent des sommes importantes dans la publicité.
En conséquence, les dépenses publicitaires de l'industrie a grimpé de 30% en 1987, soit 45 millions de dollars américains. Maintenant, la publicité compte pour deux tiers des revenus des revues, le reste provenant des ventes. Dans le passé, la publicité était assez éparse, et les périodiques dépendaient essentiellement des abonnements à peine suffisants.
Avec des assises financières renforcées, les revues investissent plus pour améliorer la qualité du contenu, de la conception et de l'impression. Leurs activités s'informatisent et les départements des ventes et de la publicité engagent un personnel spécialisé. Le contenu a donc changé pour attirer davantage le lecteur et souvent l'inciter à acheter les produit mis en réclame dans la revue.
Les périodiques refusant d'investir dans la qualité, de renforcer la publicité et d'améliorer la distribution subissent la loi de la concurrence. Chaque année, beaucoup disparaissent pour n'avoir pas voulu abandonner à temps les vieilles habitudes. En 1987, au moins 13% des périodiques ont cessé de paraître à cause d'une mauvaise distribution ou d'un manque de publicité. Cela fait un pour cent de plus qu'en 1986.
A la différence des périodiques occidentaux, les publications locales ont une distribution limitée. Aucune ne dépasse 200 000 exemplaires à la vente par abonnement ou à la pièce. Destiné à un public plus vaste, le Che-pao Tcheou-kan [時報周刊] (sous-titré China Times Weekly) prétend avoir le plus fort tirage de tous les périodiques locaux de langue chinoise, mais chaque numéro n'atteint que 150 000 exemplaires. Le mensuel Tien-hsia [天下] (sous-titré Commonwealth), la revue des affaires la plus prospère qui couvre la politique nationale, les problèmes sociaux importants et la gestion des grandes entreprises, ne tire qu'à 80 000 exemplaires. Un autre mensuel, Tsien [錢] (sous-titré Money), qui conseille ses lecteurs sur leurs placements de fonds, a une circulation de 60 000 exemplaires par numéro. C'est un bon résultat, estime-t-on, après deux ans d'existence seulement.
Mise au point technique dans une imprimerie.
Il y a beaucoup d'hebdomadaires et de mensuels ayant moins de 10 000 abonnés. C'est un minimum nécessaire pour convaincre les entreprises d'y insérer leur publicité.
Malheureusement, il n'y a pas de statistiques véritables de la distribution des périodiques de Taiwan par manque d'un office de justification de la diffusion (OJD) ou d'un organisme similaire. Les périodiques de même que les quotidiens dévoilent rarement ces chiffres. Seules quelques revues, parmi les plus prospères, acceptent de confier ces renseignements aux annonceurs et aux agences de publicité.
Plusieurs observateurs encouragent la formation d'un tel organisme pour le contrôle des statistiques de la presse locale, ce qui en fin de compte servirait mieux ses intérêts à long terme. En effet, le contrôle des statistiques de diffusion permettrait tout d'abord aux éditeurs de mieux comprendre les lecteurs; la publicité toucherait des marchés mieux cadrés; enfin la ligne rédactionnelle serait définie plus clairement.
Un autre problème important des périodiques est leur manque de spécialisation propre. Malgré leur prétention de viser un échantillon bien défini de lecteurs, les articles restent souvent très superficiels. Comme la spécialisation est une évolution en cours, les annonceurs pourront également insister sur la spécialisation des revues pour toucher leurs catégories de consommateurs.
Si cette tendance se fait déjà sentir, les périodiques de petit format qui mélangent l'information et le divertissement se vendent toujours très bien. Ces revues sont généralement critiquées pour leur manque d'éthique journalistique, car elles publient des nouvelles non vérifiées et violent souvent la vie privée de la personne. Les articles ne prennent guère de recul et ne respectent pas le principe journalistique qu'« il y a au moins deux versions pour chaque cas ». Par ailleurs, ces revues recherchent surtout le sensationnel en rehaussant les faits divers et les conflits politiques et sociaux.
De nombreux spécialistes estiment que ces publications finiront par disparaître par manque de support publicitaire, car elles ont des centres d'intérêts beaucoup trop généraux et visent des lecteurs d'un niveau d'instruction peu élevé. Le progrès de l'éducation réduira probablement l'intérêt des lecteurs pour des articles superficiels et irresponsables. Comme dans les autres pays développés, il restera toujours une presse sensationnelle et superficielle, cependant la qualité du journalisme à Taiwan devrait être relevée par une compétition accrue surtout entre les revues spécialisées.
Osman Tseng,
vice-président du Service des informations économiques de Chine.
Photographies de Chen Min-jeng.
* La Loi sur les associations et organisations politiques qui vient d'être promulguée autorise désormais la formation légale de parti politique, et tous les partis existants ou en cours de formation doivent, pour en obtenir le statut, se soumettre aux procédures de légalisation, comme dans les autres démocraties.