Entre le 17 avril et le 2 mai, la Cinémathèque française, à Paris, propose une rétrospective inédite consacrée à un pan méconnu du cinéma taiwanais, celui d’un cinéma marginal apparu dès les années 1960 à côté d’une industrie en mandarin engluée dans la propagande. Ce « cinéma de (mauvais) genre taiwanais » connaîtra ses derniers feux au début des années 80 avec ce que l’on a appelé les « films noirs », films de violence sociale en miroir d’une dictature au bord de l’effondrement, note la spécialiste du cinéma taiwanais Wafa Ghermani.
Ce cycle s’ouvrira avec le film Typhoon [颱風, 1962] de Pan Lei [潘垒, 1927-2017], « tempête passagère qui secoue les genres et brise les conventions de l’époque », comme le note la Cinémathèque. Le héros, un gangster sans scrupule et séducteur impénitent, s’enfuit au mont Ali – à la fois paysage intérieur, refuge et prison –, où il séduit une femme mariée, alcoolique et frustrée, résume Wafa Ghermani.
« Du cinéma taiwanais, écrit-elle, on ne connaît que la Nouvelle Vague des années 1980, en rupture avec le cinéma de propagande, les romances et la nostalgie d’une Chine perdue. Pourtant, un certain cinéma a toujours rusé avec la dictature qui tentait d’imposer une norme via ses studios nationaux. Dès les années 1960, un cinéma marginal voit le jour, revendiquant la langue taiwanaise, le hoklo, contre le mandarin officiel, une esthétique foutraque, une transgression permanente, des héroïnes de choc contre le modèle "chinois" confucéen-machiste. »
En une quinzaine de films, la rétrospective offre une visite guidée de ce « joyeux désordre » qui est aussi un cinéma de la jeunesse, loin de celle, compassée, du cinéma officiel. « Dangerous Youth [危險的青春, 1969] s’ouvre sur une course à moto qui rappelle les films de Hou Hsiao-hsien [侯孝賢]. Foolish Bride, Naive Bridegroom [三八新娘憨子婿, 1968] inverse les rôles traditionnels : le garçon est cloîtré par son père, et la fille monte des stratagèmes pour l’enlever. De façon générale, le cinéma populaire fait la part belle aux héroïnes fortes face des héros falots. »
Au début des années 1970, le cinéma en hoklo disparaît. Si la production de films populaires à petit budget – en mandarin – continue dans les années 1970, note Wafa Ghermani, il faut attendre la fin de la décennie pour qu’elle connaisse un dernier éclat avec Never Too Late to Repent [錯誤的第一步] (1979) de Tsai Yang-ming [蔡揚名]. « Le film remporte un immense succès et lui succèdent alors des films de "réalisme social" qui métaphorisent les derniers soubresauts violents d’une dictature à bout de souffle, à la veille de la levée de la loi martiale en 1987 », relève Wafa Ghermani.