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Peindre le divin

27/03/2021
Le temple de Puji, situé dans la ville de Tainan dans le sud de Taiwan, présente des décorations traditionnelles ainsi qu'une remarquable fresque moderne figurant sa divinité protectrice, Chifu Wangye.
Photo de Pang Chia-shan / MOFA

Un peintre muraliste basé à Tainan enrichit la culture des temples de la ville du sud de Taiwan par une approche originale de l’art religieux.

Avec ses sculptures en bois et en pierre, ses figurines d’argile, ses panneaux décorés ainsi que ses tuiles en céramique, le temple de Puji à Tainan, dans le sud de Taiwan, offre à première vue une grande similarité avec les nombreux autres lieux de culte où sont pratiquées les religions populaires du pays. Mais au milieu de ces décorations traditionnelles, une peinture murale d’une grande originalité attire inévitablement l’attention des visiteurs. Composée de bleus apaisants et d’ocres chauds, la peinture représente Chifu Wangye [池府王爺], la divinité protectrice du temple, avançant d’un pas assuré, pieds nus et tenant à bout de bras une créature issue d’un croisement entre la carpe et le phénix.

Cette fresque a été réalisée sur une période de trois mois en 2017 et 2018 par l’artiste José Hsu [許荷西], qui a décoré un mur extérieur du temple par une représentation originale et personnelle de la divinité. Le projet a ainsi débuté après des années d’intenses discussions entre l’administration du temple et l’Association de recherche culturelle et historique de Puji. « Nous voulions revivifier la communauté de manière originale et audacieuse à travers des initiatives créatives qui reconnectent la population au patrimoine local », déclare ainsi le directeur général du groupe, Chiang Wen-cheng [蔣文正]. La vision artistique de l’association a donné naissance à l’une des peintures murales les plus réussies à Taiwan, et celle-ci a rapidement attiré l’attention de tout le pays. « Cette œuvre a dépassé nos espérances en termes de notoriété nationale », ajoute Chiang Wen-cheng.

José Hsu soutient sa main grâce à une canne en bois pendant qu'il travaille sur la peinture murale de Chifu Wangye. (Aimable crédit de Chiang Wen-cheng)

Cette fresque se distingue particulièrement par la manière très différente dont est représentée la figure de Chifu Wangye par rapport à la tradition. Selon cette dernière, le légendaire chef militaire a fait le sacrifice de sa vie au VIIe siècle pour empêcher la propagation de la peste. C’est pour cette raison qu’il a été élevé au rang de divinité et est généralement représenté avec un visage noir en raison du poison que le dieu de la peste lui a fait ingérer.
 
« Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de représenter la divinité exactement de la même manière dans chaque œuvre d’art, déclare ainsi José Hsu. Le but est de faire connaître son histoire aux habitants des environs et aux visiteurs. » Et c’est précisément ce qu’accomplit cette peinture murale en illustrant la vie humaine de Chifu Wangye de manière très détaillée tout en incorporant des images reflétant l’histoire du temple ainsi que le passé et le présent de la ville portuaire. L’artiste attribue son intérêt pour les motifs religieux au lien étroit existant depuis des siècles entre l’art et la religion. José Hsu affirme que son travail est aussi fortement influencé par le fait d’habiter à Tainan, ville où l’on retrouve l’une des plus fortes densités en temples du pays.

Partie inférieure gauche de la peinture représentant des musiciens jouant d’instruments traditionnels encore utilisés au temple. (Photo : Pang Chia-shan / MOFA)

Aux origines de son art

José Hsu est né en 1976 dans le district de Pingtung, à la pointe sud de Taiwan, et il a grandi dans la ville voisine de Kaohsiung avant de se rendre dans la ville de Taichung pour étudier au département des beaux-arts de l’université Tunghai où il s’est spécialisé dans la peinture au lavis d’encre. La formation de José Hsu lui a non seulement fourni des bases approfondies sur les matériaux et les techniques propres à l’art traditionnel mais lui a aussi ouvert la voie sur une approche plus contemporaine de la peinture. « J’ai principalement choisi le médium de la peinture comme moyen de création, mais mon propre travail peut facilement aller au-delà des préceptes conventionnels », poursuit-il.

De fait, José Hsu a connu une étape inattendue dans son développement artistique après s’être installé à Alicante, une ville portuaire méditerranéenne du sud-est de l’Espagne, pour y apprendre l’espagnol pendant un an. Là-bas, il a pu visiter des musées d’art locaux et ainsi faire des recherches sur les diverses possibilités d’utilisation des couleurs et des formes, notamment dans les peintures murales. « La peinture architecturale est une profession ancienne, et en Europe, on a accès à des siècles d’œuvres par les plus grands noms de l’histoire de l’art », affirme José Hsu qui cite Léonard de Vinci comme l’une de ses principales sources d’inspiration.

Le travail de José Hsu s’affiche sur des bâtiments privés situés dans les environs de Tainan. (Photos : Pang Chia-shan / MOFA)

José Hsu a commencé sa propre incursion dans la peinture murale il y a sept ans, lorsqu’il a eu l’opportunité de travailler sur un projet au temple Nankunshen à Tainan. Ce projet de deux ans ayant renforcé son intérêt pour la peinture architecturale, il a ensuite suivi un apprentissage dans la ville voisine de Chiayi. Ses études et sa formation ont alors donné naissance à une œuvre remarquable créée pour le temple du dieu du vent à Tainan. De fait, la représentation de la divinité s’envolant avec grâce dans un ciel étoilé a tellement impressionné le directeur Chiang Wen-cheng que ce dernier a décidé de présenter l’artiste aux administrateurs de Puji, démarrant ainsi la collaboration qui a abouti à la somptueuse fresque de Chifu Wangye.

Lorsque la réputation de José Hsu a pris son essor au milieu des années 2010, le peintre a commencé à recevoir des commandes d’œuvres pour orner des bâtiments publics et privés autour de Tainan. Même si l’artiste a pu bénéficier d’un engouement naissant pour l’art mural à travers le pays dans le cadre des projets de revitalisation communautaire, son travail se distingue des autres compositions qui favorisent majoritairement des personnages de dessins animés familiers. José Hsu préfère quant à lui incorporer une forte saveur locale dans des dessins abstraits complexes. Certaines de ses œuvres les plus remarquables peuvent être vues dans l’un des plus anciens quartiers de la ville, dans la rue Xinmei par exemple, près du grand temple de Matsu à Tainan.

Les œuvres les plus magistrales de José Hsu peuvent être vues le long de la rue Xinmei, dans l'un des plus anciens quartiers de Tainan. (Photo : Pang Chia-shan / MOFA)

Une touche personnelle

Dans le même temps, José Hsu continue d’explorer le savoir-faire et les techniques de restauration en art, qu’il estime essentiels pour conserver le patrimoine culturel du pays ainsi que pour continuer d’inspirer les générations futures. Cette préoccupation est d’ailleurs partagée par la municipalité de Tainan qui a lancé un programme pour célébrer le 400e anniversaire de la ville. Prévue pour 2024, cette initiative est soutenue par le projet de revitalisation des sites historiques du ministère de la Culture, lequel concerne des dizaines de grands sites dans tout le pays.

Pour sa part, José Hsu prévoit d’autres projets de peintures murales dans des temples locaux en coopération avec le Bureau des affaires culturelles de la municipalité. Alors que des méthodes et des éléments stylistiques conventionnels ont été utilisés dans de nombreux projets réalisés jusqu'à présent, le peintre muraliste entend bien continuer d’ajouter sa touche personnelle aux œuvres patrimoniales car, selon lui, une telle approche favorise la poursuite de l'innovation artistique, tout en diversifiant et en enrichissant les traditions culturelles.

La peinture murale de José Hsu au temple du dieu du vent à Tainan montre la divinité s'élevant sur fond de ciel étoilé. (Photo : Pang Chia-shan / MOFA)

Pour José Hsu, le processus de création représente avant tout une quête pour cultiver son propre style. Ce concept transparaît bien dans le mélange unique de tradition et de modernité, d’influences orientales et occidentales qui se côtoient dans son art. L’artiste apprécie particulièrement le défi que représentent les fresques murales, car l’environnement physique ajoute une dimension supplémentaire de complexité et de profondeur aux œuvres.

« Le plus souvent, l’inspiration vient de l’environnement et du contexte culturel, plutôt que d’une vision préconçue, dit José Hsu. Il est essentiel de créer une harmonie avec le lieu. » Aussi l’art du peintre atteint-il son paroxysme dans cette peinture murale de Chifu Wangye au temple de Puji, grâce à sa riche iconographie ancrée à la fois dans la mythologie de la divinité et dans l’histoire de Tainan.
 

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