Un séminaire organisé vendredi dans les locaux de l’Antenne de Taipei du
Centre d’études français sur la Chine contemporaine (CEFC) a été l’occasion de vérifier à nouveau combien la vie électorale particulièrement dynamique à Taiwan intéresse les sinologues français. Intitulée « Les stratégies linguistiques des candidats pendant les campagnes électorales à Taiwan », la présentation de Yoann Goudin était animée par Paul Jobin, le directeur de l’antenne.
Reprenant les résultats des études qu’il a menées sur le terrain lors de la dernière présidentielle, en mars 2008, Yoann Goudin, doctorant à l’Institut des langues et civilisations orientales et à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, a décortiqué avec précision les choix linguistiques faits par chacun des deux candidats alors en lice, Ma Ying-jeou et Frank Hsieh.
C’est avec un certain nombre d’a priori, a expliqué Yoann Goudin, qu’il s’est lancé dans cette recherche – des a priori qui se sont révélés erronés. Ainsi, a-t-il constaté, le candidat du Kuomintang, Ma Ying-jeou, et son rival du Parti démocrate-progressiste Frank Hsieh ont exactement la même démarche linguistique.
Non seulement les deux hommes ont utilisé quasi exclusivement le chinois mandarin lors de leurs interventions télévisées et dans leurs rapports avec la presse, mais cela était vrai autant dans le sud de l’île que dans le nord, donc quelle que soit la langue vernaculaire de l’endroit où ils se trouvaient être en campagne.
En outre, les candidats ont autant parlé le taiwanais dans le nord que dans le sud de l’île. Certes, a noté Yoann Goudin, Ma Ying-jeou est moins à l’aise en taiwanais que Frank Hsieh, mais il a beaucoup manié cette langue durant sa campagne. L’usage du taiwanais, a-t-il aussi établi, est réservé aux interventions hors antenne et lors des meetings politiques ou des déplacements sur le terrain. Toutefois, cette langue a été majoritairement utilisée pour les spots télévisés, en particulier ceux de Ma Ying-jeou, même si, pour ce dernier, les déclarations en taiwanais étaient parfois du doublage.
Autre source d’étonnement mais aussi d’admiration, les deux candidats ont l’un et l’autre utilisé treize langues pour communiquer avec les électeurs : le mandarin, le taiwanais et le hakka – les trois langues les plus parlées à Taiwan – mais aussi quelques mots dans diverses langues aborigènes, ainsi que le japonais pour Frank Hsieh et l’anglais pour Ma Ying-jeou, les langues étrangères dans lesquelles ils sont le plus à l’aise.
On l’oublie souvent, mais il reste à Taiwan un certain nombre de locuteurs du japonais, appartenant à la génération qui a vécu à la période de la colonisation japonaise de l’île. Quant à l’anglais, si Ma Ying-jeou l’a employé, c’est bien sûr uniquement avec les correspondants de la presse étrangère venus couvrir la présidentielle de 2008.
Conscient de ses lacunes en taiwanais, Yoann Goudin s’est abstenu de livrer une analyse qualitative des résultats de ses recherches, mais il constate et souligne que le mandarin a une position prépondérante dans la communication politique. Sans doute les causes profondes à cet état de fait sont-elles à chercher dans la politique linguistique du Kuomintang d’avant la démocratisation, ont avancé plusieurs des participants à la conférence.
L’autre élément intéressant qui ressort de cette étude est le fait que les élections soient couvertes ici par des journalistes assez jeunes, d’ailleurs le plus souvent des femmes, qui n’emploient jamais le taiwanais pour poser des questions…