>> L’entrée de Taiwan à l’Organisation mondiale du commerce, il y a sept ans, comportait une contrepartie de taille : l’ouverture du marché du riz aux importations. Les producteurs locaux, fortement concurrencés, n’ont eu d’autre choix que d’innover et d’améliorer la qualité de leur production
« J ’étais vraiment inquiet ou, devrais-je dire, mort de trouille, car j’avais investi toutes mes économies dans la culture du riz», raconte Lai Chao-hsuan [賴朝順], un producteur local. Comme lui, au cours des années qui ont suivi l’entrée de Taiwan à l’Organisation mondiale du commerce, le 1er janvier 2002, de nombreux riziculteurs ont retenu leur souffle. Autrefois protégé, le secteur a été ouvert à la compétition internationale et en a subi les conséquences : en 2007, les rizières n’occupaient ainsi plus que 260 159 ha, contre 307 037 cinq ans plus tôt. Ceux qui ont tenté d’aligner leurs prix sur celui du riz importé, beaucoup moins cher, ont vite vu leurs profits chuter. D’autres ont tiré leur épingle du jeu : la valeur produite en moyenne par riziculteur a ainsi crû de 40% entre 2001 et 2007.
Le déclic est en partie venu de la diffusion, en 2004, d’un documentaire, Le dernier riziculteur, de Juang Yi-tseng [莊益增] et Yen Lan-chuan [顏蘭權], dont le titre en chinois, Wu Mi Le, se traduit par « le riz sans la joie ». Vu par plus de deux millions de téléspectateurs, le film a alerté l’opinion publique sur une possible disparition de la riziculture à Taiwan et ouvert le débat sur les moyens de revitaliser ce secteur.
Le film suit la vie de trois vieux habitants de Tainan, au sud de l’île, à la vie simple, et qui travaillent depuis des années à cultiver le riz. « Même si les récoltes sont décevantes et les prix bas, nous restons optimistes », y affirme placidement l’un d’eux, Huang Kun-bin [黃昆濱]. Le portrait émouvant de ces trois hommes retournant chaque jour à la tâche a inspiré de nombreux jeunes agriculteurs, qui ont porté sur ce métier un regard neuf.
Ils ont réalisé que, pour survivre, il leur fallait trouver une niche sur le marché mondial. « Si on leur prouve que les consommateurs sont prêts à payer plus cher pour une meilleure qualité, cela incite les agriculteurs à s’engager dans cette direction, explique Chen Wen-deh [陳文德], le directeur général de l’Agence pour l’agriculture et l’alimentation (AFA) qui dépend du ministère de l’Agriculture. Il ne faut plus faire rimer profit avec quantité. »
Parfaire le goût du riz est l’une des solutions imaginées. « Le régime alimentaire des consommateurs a changé, et nous devons aujourd’hui axer nos efforts sur l’amélioration du goût et non sur l’abondance des récoltes, dit Chen Wen-deh. Le développement de nouvelles variétés représente un premier pas dans cette direction. »
Dans le cadre de cette stratégie, l’Institut de recherche agronomique du ministère de l’Agriculture a mis au point de nouvelles variétés, aux saveurs plus riches, bien qu’au rendement parfois plus faible. Par exemple, le Tainung n° 71, un riz à la saveur sucrée rappelant le parfum du taro, a remporté un grand succès auprès des consommateurs et permis à ses producteurs d’engranger d’importants profits.
L’agriculture biologique constitue une autre voie d’amélioration de la qualité du riz. Huang Kun-bin s’y est converti, même s’il confesse qu’au début, il n’y croyait pas. Inquiet de ne pas voir le riz croître autant que lorsqu’il utilisait des engrais chimiques, il a cependant persévéré. Bien lui en a pris : en 2006, son riz a reçu la médaille d’or au Concours national du riz de qualité et a trouvé preneur au prix de 600 dollars taiwanais le kilo, là où, deux ans auparavant, sa production standard s’échangeait 12 dollars taiwanais le kilo.
Selon l’experte en production biologique Alice Ju [朱慧芳], l’agriculture verte a la cote chez les riziculteurs taiwanais. Avec son mari, Alice Ju est à l’origine d’Orange Mart, la plus importante chaîne de magasins bio de l’île. Elle a également publié deux livres sur le sujet. Depuis 1995, précise-t-elle, quelque 30 marques de riz bio sont apparues. « Même si la riziculture bio ne concerne que 0,6% des surfaces cultivées, c’est devenu une tendance de fond. »
La conversion au bio est la plupart du temps une décision collective, explique-t-elle. En effet, une parcelle ne peut être certifiée si le champ voisin continue à être pollué par des engrais chimiques et des pesticides. Les fermiers s’entraident donc et commercialisent parfois leur riz sous une marque commune. Wan-an, à Chishang, dans le district de Taitung, ou encore Luoshan, à Fuli, dans le district de Hualien, offrent de bons exemples de ces coopératives bio.
Certains sont même allés plus loin en faisant revivre d’ancestrales méthodes, tel que l’élevage de canards dans les rizières. Les canards sont un moyen naturel de lutte contre les insectes et les maladies parasitaires. De plus, leurs palmes remuent le sol et leurs excréments servent d’engrais naturel. Enfin, « ils sont très sensibles aux substances toxiques et leur bonne santé est la preuve d’un environnement propre », dit Alice Ju.
Il y a sept ans, Yeh Shu-huei [葉淑蕙], la PDG de Taiwan Rice, l’un des principaux négociants de l’île, a réintroduit cette technique à Yuanli, dans le district de Miaoli. De 2,6 ha en 2002, les surfaces de rizières où sont élevés des palmipèdes y sont aujourd’hui passées à 100 ha. L’an dernier, 450 t de ce riz ont été exportées vers le Japon, Singapour et la Russie, au prix de 3 400 dollars américains la tonne, soit le double du cours mondial habituel.
Qu’il s’agisse ou non de bio, l’évolution des méthodes de culture est un facteur central de la montée en gamme du riz taiwanais. La marque Union Rice, qui détient 30% du marché insulaire, s’est en particulier penchée sur l’utilisation des engrais. « Dans le passé, le revenu dépendait de la quantité, donc les fermiers utilisaient beaucoup d’engrais pour accélérer la pousse du riz », dit Liu De-long [劉德隆], son directeur. En réduisant les doses d’engrais azotés, l’entreprise a obtenu un riz aux épis certes plus légers, mais dont les grains sont plus lourds et plus riches en nutriments.
L’usine de décorticage Lu Shieh, renommée pour sa marque Da-chao, a quant à elle adopté le concept français d’appellation d’origine contrôlée. En effet, la qualité du riz dépend étroitement des caractéristiques des sols et de l’eau, de même que du vent et de l’exposition au soleil, explique son président, Chen Chao-hau [陳肇浩]. De plus, à chaque champ correspond un style de récolte bien défini.
D’autres producteurs se positionnent sur le terrain de l’aliment-santé. Asia Rice Biotech, par exemple, a développé des techniques de pointe, dont on ne trouve l’équivalent qu’au Japon, pour la culture d’un riz brun pré-germé. Selon cette société, ce riz, commercialisé depuis 2006 sous la marque Just Rice, serait particulièrement adapté aux personnes diabétiques ou devant contrôler leur taux de cholestérol.
Les progrès accomplis en matière de commercialisation, manifestes au regard des emballages, ont également contribué à la revitalisation du secteur. « Deux nouvelles tendances sont apparues : le petit conditionnement et les emballages créatifs, pour offrir », dit Chen Wen-deh. Le sac de riz de 5 kg a cédé la place à de plus petits formats, qui correspondent mieux à la taille désormais plus restreinte des familles. De façon assez surprenante, les boîtes de riz sont aussi devenues un cadeau à la mode, depuis que le capitaine d’industrie Terry Guo [郭台銘], à la tête du fabricant informatique Hon Hai, en a distribué à tous les invités de son mariage, l’année dernière.
En fin de compte, la meilleure stratégie est de gagner la confiance du public, lequel ignore souvent tout de la culture du riz. Conscient de cet enjeu, des producteurs ont mis en ligne un site Internet grâce auquel des groupes de consommateurs peuvent « louer » des champs de riz. Ils fournissent ainsi le soutien financier nécessaire aux fermiers qui cultivent le riz pour eux et les tiennent informés de l’avancée des travaux. La récolte est ensuite distribuée aux membres du groupe, en proportion de leur investissement.
Dans le même esprit, Huang Kun-bin, l’un des héros du Dernier riziculteur, loue quelques parcelles à des entreprises, qui y amènent régulièrement leurs salariés observer les cultures. Une exploitation bio de Yuanli, dans le district de Miaoli, procure une expérience similaire à ses visiteurs, des écoliers pour l’essentiel.
L’hebdomadaire britannique The Economist a récemment prédit, dans son édition spéciale Le monde en 2009, qu’après l’année de la crise alimentaire, 2009 serait celle des agriculteurs. Ceux-ci « produiront de bonnes récoltes à des prix plus élevés que ce à quoi ils ont été habitués ces 20 dernières années », écrit le magazine. Cela semble être le cas à Taiwan, à en croire le directeur général de l’AFA. « Les producteurs ont relevé les défis apportés par l’entrée dans l’OMC en misant sur l’innovation et en incitant les consommateurs à faire davantage attention à la qualité et à la sécurité de leur alimentation. »