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Le gourou du design

01/01/2016
Des dessins produits par Hsieh Jung-ya pour un éclairage de vélo à alimentation éolienne et pour une clé à molette ultralégère. (AIMABLEMENT FOURNIES PAR LE GROUPE GIXIA)
Le designer industriel Hsieh Jung-ya veut changer notre façon de vivre

Hsieh Jung-ya [謝榮雅] sait peut-être plus que quiconque à Taiwan comment on transforme une innovation astucieuse en un produit populaire. Ces dix dernières années, il a remporté de nombreux prix dans les concours de design industriel les plus prestigieux du monde et aidé quantité de petites et moyennes entreprises taiwanaises à se réinventer pour trouver des marchés à l’international. Il se lance en ce moment dans une nouvelle aventure en créant des produits du quotidien pour l’ère qui s’annonce de l’Internet des objets.

Il s’est associé pour cela avec un des industriels taiwanais les plus en vue : Terry Gou [郭台銘], le fondateur et pdg du géant de l’industrie des technologies de l’informatique et des communications Hon Hai Precision Industry (plus connu sous le nom de Foxconn Technology, c’est l’un des principaux fournisseurs d’Apple). Terry Gou travaille depuis quelques années à diversifier ses activités et à étendre ses lignes de produits. Cette démarche l’a amené à prendre contact avec le groupe Gixia, spécialisé dans les services de design industriel, qui a été fondé par Hsieh Jung-ya en 2010 dans le district de Hsinchu, dans le nord de Taiwan.

Début 2015, Gixia et Hon Hai se sont associés pour lancer une coentreprise du nom de SquareX. « Quand nous avons fait connaissance, nous étions tous les deux en train de réfléchir à la prochaine étape, explique Hsieh Jung-ya. C’était le bon moment, l’environnement était idéal et mon équipe avait atteint la maturité nécessaire. »

Connu pour l’étendue de ses connaissances et pour sa créativité, Hsieh Jung-ya est le designer industriel taiwanais qui a remporté le plus de prix internationaux. On s’accorde généralement pour dire que les quatre récompenses les plus importantes dans ce domaine sont le prix iF du design produit et le prix Red Dot, tous deux décernés en Allemagne, ainsi que le prix IDEA aux Etats-Unis et le G Mark au Japon. Depuis 2003, Hsieh Jung-ya et son équipe ont remporté neuf médailles d’or dans ces compétitions, auxquelles se sont ajoutées une centaine d’autres récompenses internationales.

Hsieh Jung-ya a décroché son premier prix iF en 2003 pour un pèse-bébé équipé d’un plateau non glissant et dont la forme rassurante rappelle les bras d’une mère. Il a aussi fait la preuve de son inventivité avec par exemple des barrières de chantier modulables et respectueuses de l’environnement qui lui ont valu un prix IDEA en 2006. Ces barrières en plastique transparent ABS (acrylonitrile butadiène styrène, le matériau dans lequel sont moulées les briques de Lego) sont faciles à assembler et peuvent résister à des rafales de vent de 200 km/h. Son objectif, assure Hsieh Jung-ya, n’est pas de décrocher des prix, mais bien d’aider les entreprises taiwanaises à augmenter leurs parts de marché.

Né en 1967, Hsieh Jung-ya raconte qu’à l’école, il était plutôt bon en mathématiques et en dessin, et qu’il adorait démonter ses jouets pour étudier leur fonctionnement. Depuis ses vertes années, dit-il, il a toujours rêvé de « changer la vie des gens ».

C’est d’abord dans l’informatique, un secteur déjà porteur à l’époque, qu’il s’est spécialisé en entrant dans un lycée technique de Chiayi, dans le sud de Taiwan, sans pour autant abandonner sa passion du dessin qu’il continuait de pratiquer à ses heures perdues. Il est même devenu directeur artistique de l’association étudiante de son établissement. Lorsqu’il a eu terminé ses études, il avait donc déjà quantité de dessins dans ses carnets.

Un an après avoir terminé son service militaire, il a été embauché chez Acer, le géant taiwanais de l’ordinateur de bureau. Il y a d’abord travaillé dans le département de graphisme avant d’obtenir une promotion et de se voir offrir un poste de designer industriel. Mais au bout de trois années passées chez Acer, principalement à travailler sur le design des ordinateurs portables, il a eu envie de faire autre chose. En 1994, il a créé sa boîte de services de design industriel à Taichung, dans le centre de Taiwan. La région abritant en effet des myriades d’entreprises, il a pensé que les opportunités ne manqueraient pas. Il a aussi décidé à la même époque de reprendre ses études, et il a obtenu un master de l’Institut supérieur de design de l’Université Da Yeh, dans le district de Changhua, également dans le centre de Taiwan.

Le groupe Gixia qu’a fondé le designer en 2010 a remporté une mention spéciale aux Prix du design allemands 2015 pour ses panneaux insonorisants SonicMAZE. (AIMABLEMENT FOURNIES PAR LE GROUPE GIXIA)

Au début, le designer a mangé de la vache enragée, mais il a fini par se faire une réputation chez les industriels, décrochant des contrats pour dessiner des articles aussi divers que de la bagagerie en cuir, des outils et des instruments médicaux. En 2010, il a quitté Taichung pour fonder Gixia dans le district septentrional de Hsinchu, où sont installées de nombreuses entreprises du secteur des hautes technologies.

Hsieh Jung-ya est connu pour être capable de proposer un croquis pour un nouveau design en quelques minutes. Avant d’en arriver au dessin proprement dit, il passe toutefois beaucoup de temps à écouter ses clients. « J’ai besoin de voir leurs installations de production, de comprendre l’état de leurs finances et de connaître leurs secrets commerciaux, et même de me plonger dans leurs problèmes internes ! Quand je sais tout de l’entreprise, je peux développer pour elle des concepts correspondant à la culture de la maison. »

Tout au long de sa carrière, Hsieh Jung-ya a toujours été de l’avis qu’il est possible de surmonter tous les obstacles par le travail. Il ne peut s’enorgueillir d’avoir fait de brillantes études, et en tant que fils de pasteur presbytérien, il n’avait pas non plus de gros moyens au moment où il s’est lancé. L’un dans l’autre, ces débuts difficiles sont assez proches des conditions dans lesquelles naissent nombre de PME taiwanaises. « J’ai toujours voulu être un pont entre nos entreprises manufacturières et le marché international, dit-il, afin que les capacités de production industrielles de Taiwan attirent l’attention du monde extérieur au travers du design. »

Il raconte une anecdote pour illustrer son propos : il y a longtemps, il a dessiné un éclairage pour vélo à la demande d’une petite entreprise de Changhua. Lorsqu’il est allé visiter l’entreprise, il s’est aperçu que ce n’était guère plus qu’une baraque en tôle derrière une petite maison. A l’intérieur, une dizaine d’ouvriers d’âge mûr assemblaient des bicyclettes. Ce jour-là, il se souvient s’être demandé : « Mais où est-ce que je suis tombé ? Est-ce qu’ils vont avoir les moyens de me payer ? »

Hsieh Jung-ya a dessiné pour eux un petit éclairage marchant sur pile qui peut être détaché du cadre du vélo pour être utilisé comme une lampe-torche. Les coûts de production étaient deux fois plus élevés que pour les éclairages de base, et l’entrepreneur hésitait, mais Hsieh Jung-ya a fini par le convaincre. Par la suite, en 2006, cet éclairage amovible a valu au designer sa première médaille d’or aux prix iF. En fait, c’était même la première jamais obtenue par un designer taiwanais…

L’histoire de cette lampe est révélatrice de la mentalité qui règne encore parfois chez les PME taiwanaises et des raisons pour lesquelles elles ont du mal à changer d’échelle et à se construire une réputation internationale. Hsieh Jung-ya dit que juste avant que le produit ne soit récompensé aux prix iF, son client l’a présenté lors du Salon international du cycle de Taipei, l’un des plus grands rendez-vous de cette industrie dans le monde. Là, un représentant de la société britannique Raleigh Bicycle a exprimé son intérêt pour devenir l’agent commercial de la petite société au Royaume-Uni. L’entrepreneur taiwanais n’a pas vraiment compris de quoi il lui parlait, et lui a répondu : « Bon, combien vous en voulez ? On mettra votre logo à cet endroit et voilà ! »

Hsieh Jung-ya, qui observait l’échange, n’a pas pu s’empêcher de pousser un gros soupir. Son client travaillait comme sous-traitant depuis si longtemps qu’il était incapable d’imaginer que sa société avait la capacité de développer sa propre marque.

Parlant de son approche du design, Hsieh Jung-ya estime qu’un dessinateur industriel doit constamment remettre ses connaissances et ses compétences à jour. « Pourquoi suis-je capable de proposer un croquis en quelques minutes ? Les gens pensent que c’est un don, alors que c’est surtout le fruit de beaucoup de travail. J’en sais beaucoup sur les processus de production, mais aussi sur les arts et les réactions possibles du marché. »

Hon Hai est un géant industriel, et pourtant Hsieh Jung-ya espère apporter à SquareX la même approche que celle développée dans ses précédentes collaborations avec des PME. Le grand patron et le designer souhaitent positionner leur coentreprise comme une société d’un type totalement nouveau, qui « redéfinira l’expérience de l’environnement de la maison ».

On attendait fin 2015 la première série de produits de la coentreprise. La logique derrière cette série, expliquait-on chez SquareX, serait l’utilisation des nouvelles technologies et d’un design innovant pour transformer la façon dont sont utilisés les espaces verticaux dans les intérieurs. « Le fait de travailler avec Terry Gou m’a donné de nouveaux objectifs et une motivation nouvelle, dit Hsieh Jung-ya. J’espère que le public sera séduit. »

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