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L’histoire dans la peau : les tatouages aborigènes

01/07/2003
Une femme de la tribu atayal tatouée du motif typique en forme de V sur le bas du visage.(Aimable crédit de l’office du Tourisme)

>>Les marquages corporels sont dans les sociétés premières une composante essentielle du système de reconnaissance sociale. Les tatouages - religieux, talismaniques, indicateurs du statut social ou simplement ornementaux - servent de signes d’affiliation à un groupe et sont fortement liés à une caractéristique d’ordre géographique ou tribal

Si les pouvoirs publics et les communautés aborigènes sont conscients de la nécessité de préserver d’autres aspects des cultures indigènes de Taiwan, la tradition du tatouage, en voie de disparition, n’a cependant pas bénéficié de la même sollicitude. Depuis quelques années, des Atayal - leur tribu est la deuxième de l’île par la taille - s’efforcent tout de même de la sauver de la disparition.

D’après la commission d’Etat des Affaires aborigènes, six des tribus de l’île – Atayal, Saisiyat, Paiwan, Rukai, Puyuma et Tsou - pratiquaient autrefois le tatouage, une tradition dont on retrouve les traces plus de 1 400 ans en arrière. Cependant, seuls les Atayal et les Saisiyat se marquaient le visage. Chez les femmes Saisiyat, le front uniquement était tatoué ; chez les Atayal, des motifs étaient en outre appliqués sur les joues et le menton pour former un tatouage facial complet.

Bien que la valeur de cet héritage culturel soit aujourd’hui reconnue, en perpétuer la tradition est pratiquement impossible. « En raison de l’âge avancé des dernières personnes tatouées, il est urgent de préserver leur histoire personnelle comme un témoignage vivant de la culture indigène, affirme Tien Kuei-shih, un Atayal qui se consacre à la recherche sur les tatouages traditionnels de sa tribu. J’ai interrogé pour mes travaux tous les hommes tatoués encore en vie, le plus jeune avait alors 83 ans et le plus âgé 103 ans. Lorsque j’ai fini mes premières recherches en 1993, on comptait encore quatre-vingt-deux vieillards tatoués. A présent, il ne sont plus que trentequatre. »

Tien Kuei-shih s’est engagé à fond dans ce projet qui vise à sauver cette tradition de l’oubli qui la guette, dans l’espoir que les Taiwanais d’origine Han, comme les aborigènes, cessent enfin de la mépriser. Il souhaite que les motifs complexes des tatouages faciaux soient enfin vus comme autant d’élans esthétiques ou comme un moyen de transmettre un héritage culturel.

« Il fut un temps où les camarades de classe de mon fils se moquaient de lui, parce que les anciens de notre tribu sont tatoués, se souvient Tien Kuei-shih. Les enfants disaient que ces tatouages les faisaient ressembler aux membres des Triades [NDLR: mafia chinoise]. Manquant de connaissances sur cette tradition, je n’étais pas en mesure de leur en expliquer la signification. J’ai eu honte de ne pas en savoir plus, aussi ai-je décidé d’entreprendre des recherches. »

Bien des légendes relatent l’origine des tatouages. La plus répandue veut que ces marques permanentes procurent aux ancêtres atayal un moyen d’identifier avec certitude leurs descendants. Les Atayal croyaient qu’après la mort, les âmes franchissent, pour se rendre dans l’autre monde, un pont arc-en-ciel. Seuls ceux qui étaient tatoués parvenaient de l’autre côté avec l’aide des ancêtres qui les identifiaient grâce à ces marques.

Dans le passé, les Atayal habitaient exclusivement les régions montagneuses, dans des zones situées entre 500 et 2 400 m d’altitude, vivant de la chasse et pratiquant le tissage. Pour gagner le droit d’être tatoués et celui de se marier ensuite, les hommes devaient montrer leurs prouesses à la chasse ou à la guerre, tandis qu’on exigeait des femmes qu’elles soient d’excellentes tisserandes. Les hommes qui rapportaient les têtes d’ennemis tués au combat pouvaient prétendre à des tatouages particuliers sur la poitrine, les pieds et le front, ces marques signifiant pour eux honneur et gloire.

Les petites filles recevaient leurs premiers tatouages vers l’âge de 5 ans, les suivants aux environs de 15 ans, c’est-à-dire au moment où elles étaient censées arriver à l’âge adulte. Soulignant leurs talents de tisserandes, les tatouages servaient aussi à attester de leur pureté : on disait que les filles aux mœurs légères ne survivaient pas à l’opération. Pour les femmes, on procédait aux séances pendant l’automne ou l’hiver. Les maîtres tatoueurs usaient de fils de jute pour tracer les motifs, la peau étant percée avec des aiguilles en fer et la blessure ensuite frottée avec de la cendre. « Même en utilisant seulement des matériaux naturels, le procédé causait souvent des infections, explique Tien Kuei-shih. Les anciens étaient persuadés que les ancêtres protégeraient les jeunes filles pures. »

On s’aperçoit au premier regard que les motifs employés pour les tatouages faciaux féminins étaient plus complexes. Des lignes droites décoraient le front et les joues, alors qu’un motif en forme de « V » partait d’une joue pour rejoindre l’autre. Les hommes, en revanche, avaient droit en général à une ligne verticale sur le front et une autre sur chacune des deux joues. Mais, plus le rang social était élevé, plus le motif était élaboré. Dans le cas d’un motif simple, la séance de tatouage pour les hommes ne durait que quatre heures ; pour les femmes, elle dépassait souvent dix heures.

Les tatouages étaient autrefois considérés par les populations chinoises qui s’étaient installées à Taiwan comme un signe de sauvagerie. Aussi, les aborigènes tatoués furent-ils l’objet de discriminations. Pendant la période japonaise (1895-1945), les tatouages étaient vus comme une marque de violence et de perversité morale, les autorités coloniales s’efforçant de décourager cette pratique qui fut finalement interdite à partir de 1913, ce qui explique pourquoi seuls quelques vieillards les arborent encore.

Les traditions artistiques ou artisanales des tribus aborigènes ont survécu par le biais de leurs textiles, des décorations murales, des sculptures sur bois ou encore des danses rituelles. Les tatouages appartiennent tout autant à cet ensemble de traditions qui s’inscrivent dans la trame de la culture tribale. Mais contrairement aux autres formes d’expression culturelle, cet art s’est avéré difficile à préserver.

« Bien que les tatouages aient une valeur apotropaïque, ils ne protègent pas contre les effets du temps. Les anciens qui sont tatoués, considérés comme la meilleure source d’histoire orale de la tribu, sont de moins en moins nombreux, explique Tien Kuei-shih. J’espère que les autorités montreront plus de zèle pour aider à la sauvegarde de cette tradition. »

Dans le hsien de Hualien, là où vivent la plupart des membres de la tribu des Atayal, Tien Kuei-shih a ouvert un atelier dédié à la préservation de la culture aborigène des tatouages. Il s’efforce ainsi de garder un témoignage de cet art, notamment à l’aide de la photographie. « Même s’ils ne sont pas prêts à se faire tatouer le visage, j’espère que les Atayal aujourd’hui comprennent mieux les anciennes traditions, comme celle du tatouage, et les chérissent pour ce qu’elles représentent : la gloire, l’honneur et la vertu. »

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