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Un grand destin pour de tout petits arbres

01/07/2003
Le Juniperus sinensis ou genévrier chinois.(Photo de u Yi-chi)

Quelques gouttes d’eau coulent le long d’une feuille baignant dans la lumière diffuse. Clos d’une enceinte en bambou, le jardin est situé dans la banlieue de Taipei. En le traversant, Jack Lin se remémore quelques-unes des plantes dont, par milliers, il a pris soin tout au long de sa carrière.

Jack Lin, qui vend des plantes depuis 21 ans, est pourtant plus qu’un simple marchand. Il est aussi un maître dans l’art de la « sculpture » des bonsaïs et rêve de dévoiler au monde ses talents, ainsi que ceux de ses pairs taiwanais.

« Bonsaï » est un terme d’origine japonaise qui, se lit en chinois pen zai, ce qui signifie « plante en pot » ou « plante repiquée ». Il s’agit d’arbres miniaturisés, certes, mais aussi et surtout d’un véritable art, celui de la sculpture végétale. Certains font remonter ses origines à plus de 1 000 ans, en Chine, avant qu’il soit introduit au Japon où il a été développé.

« Les étrangers, même s’ils fréquentent les expositions de bonsaïs, croient que la culture de ces arbres a été inventée par les Japonais », s’offusque Jack Lin qui se fonde sur des témoignages écrits anciens pour affirmer que l’art du bonsaï est bien né en Chine, sous la dynastie Tang (618-907).

Une tradition du bonsaï s’est aussi développée ici, avec ses propres caractéristiques. Le commerce de ces plantes d’ornementation a été florissant dans l’île il y a quelques années, et l’exportation est également devenue une source de revenus pour les producteurs locaux. Encore aujourd’hui, Taiwan vend des banians, des genévriers ou des conifères nains en Chine, au Japon, aux Etats-Unis, en Asie du Sud-Est et dans certains pays d’Europe.

Amy Liang, qui préside l’Association nationale du bonsaï de la République de Chine, est persuadée que ceux qui, ici, pratiquent cet art ont les moyens de le revigorer . « Nous avons consolidé un mouvement ces dernières années, il nous faut maintenant le faire connaître… Sur le plan technique, estime-t-elle, nous nous situons au deuxième rang mondial, juste après les Japonais. »

Dans ce milieu, on s’accorde pour dire que les Taiwanais excellent dans la culture des plantes exotiques. Techniquement, ils sont souvent sur un pied d’égalité avec les Japonais. Pourtant, les « sculpteurs » locaux de bonsaïs semblent moins renommés que les maîtres nippons, même s’ils adhèrent aux mêmes stricts principes professionnels.

La diversité des espèces végétales sur place donne aux Taiwanais un important avantage. Les bonsaïs réalisés à partir de variétés d’arbres comme le banian (Ficus microcarpa) ou le micocoulier (Celtis sinensis) reçoivent un excellent accueil sur les marchés étrangers.

« Nous maîtrisons les techniques concernant la culture des banians, notamment dans l’arrangement esthétique, qu’il s’agisse du feuillage ou du tronc », souligne Peter Chung [鍾銀煌], un « artiste » du bonsaï souvent invité à l’étranger pour donner un aperçu de sa technique et enseigner la façon de prendre soin des arbres miniaturisés.

« Le climat subtropical de Taiwan correspond parfaitement à la culture des banians et de beaucoup d’autres arbres, comme l’orme ou le hêtre. A l’exception des pins, dont la culture est dominée par les Japonais, nos ’’artistes’’ excellent dans une grande variété de plantes. »

Les Japonais sont particulièrement connus dans les cercles dédiés au bonsaï. Mais le succès croissant que cet art remporte auprès des Occidentaux offre une bonne opportunité aux spécialistes de Taiwan de se faire connaître et d’acquérir un renom international.

« Nous avons certainement un avantage. Non seulement nos espèces d’arbres sont différentes, pour un prix bien inférieur à celles qui viennent du Japon, mais nous disposons en outre de grands talents dans la fabrication des pots », insiste Jack Lin. Le pot - en général en céramique - est un élément essentiel dans l’art du bonsaï. Il doit s’harmoniser avec la couleur et les proportions de l’arbre.

Vue sous l’angle des retombées de l’adhésion à l’Organisation mondiale du commerce - Taiwan en est membre depuis un an et demi -, la culture du bonsaï constitue une opportunité pour le secteur agricole insulaire qui se débat pour remplacer les anciennes productions par de nouvelles, plus rentables.

« La taille de ce secteur d’activité dans l’île reste cependant modeste », souligne Amy Liang qui ajoute que les producteurs n’arrivent parfois pas à répondre aux grosses commandes. « Le bonsaï est une culture à haute valeur ajoutée qui profiterait d’une intervention extérieure », dit-elle en faisant allusion à une aide des pouvoirs publics.

C’est que l’art du bonsaï fascine de plus en plus, pas seulement à l’étranger. Une exposition de neuf jours qui lui était récemment consacrée à Taipei a attiré plus de 200 000 visiteurs.

La sculpture du bonsaï s’inspire de la nature. Les pins aux formes tourmentées qui luttent contre les éléments pour grandir en bordure d’une crevasse ou sur un pic montagneux font partie de l’imagerie traditionnelle qui inspire les « artistes » du bonsaï. Le paysage ainsi recréé en miniature, pour être exposé dans une cour, dans un bureau, suscite le plaisir et fait rêver. Pour les passionnés, le bonsaï est une forme de poésie.

L’un des buts esthétiques de la culture du bonsaï est de prendre soin d’un arbre jeune pour lui donner l’apparence d’un arbre âgé. En d’autres termes, il s’agit de donner à un enfant la maîtrise d’un adulte. Quel sens donner à cet art ? « Observer ces plantes apporte la paix et la sérénité, assure Jack Lin. Le bonsaï matérialise en quelque sorte une quête philosophique qui permet au bout du compte de s’élever au-dessus du chaos du monde. »

Du même avis, Peter Chung ajoute que cultiver un bonsaï peut profondément marquer un individu. Il affirme que ces arbres ont une signification spirituelle particulière pour les Orientaux, plus sensibles à cet art, qui leur permet d’exprimer des idéaux intimes.

Le style des Taiwanais en la matière est différent de celui des Japonais. Passionné, Bill Lu[呂良弼] est membre depuis longtemps d’un club d’amateurs qui consacrent leur temps libre aux bonsaïs. Les Japonais, pour leur part, sont très sérieux, leur action sur l’arbre exprimant un scrupule poussé à l’extrême dans l’exécution. « L’espace entre le tronc, les branches et les feuillages est mesuré avec attention. Il faut des années d’assiduité rien que pour maîtriser la composition du sol. »

Le style taiwanais est quant à lui plus fluide, plus créatif, assure Bill Lu. Les méthodes employées par les artistes locaux sont aussi plus dynamiques, pour mieux refléter les qualités naturelles de l’arbre dans son élément et des influences - vent, soleil, orage… - auxquelles il est soumis. L’arbre dans son pot ressemblera plus ou moins à ce qu’il serait dans la nature.

Bill Lu et Peter Chung préfèrent les grands bonsaïs, leur taille pouvant atteindre un mètre, tandis que Jack Lin aime les arbres de taille plus modeste. Et celui-ci a une bonne raison : ils sont plus faciles à vendre, surtout lorsque l’économie marche moins bien et que les gens cherchent à épargner. Et puis le choix des espèces est également varié, puisqu’on peut aussi utiliser des mûriers, des gardénias ou des érables.

Ce choix n’est pas le même selon le sexe des acheteurs, les femmes préférant des arbres produisant des fleurs ou des fruits, les azalées ayant souvent un grand succès. Les amateurs de la gent masculine optent, eux, plus facilement pour une plante qui respire la force, la vigueur. Au fond, à chaque personnalité correspond un type de plante.

Taipei accueillera en septembre l’exposition annuelle du Club international du bonsaï. Les enthousiastes qui en font partie veulent échanger avec ceux qui partagent dans le monde le même goût pour les arbres miniaturisés, dans l’espoir de mieux promouvoir leur passion.

« Je prendrai ma retraite dans trois ans, déclare Jack Lin, confiant dans l’avenir de l’art du bonsaï. Je sais alors ce que je ferai de mes journées : je continuerai d’exporter des bonsaïs, avec leur beauté. »

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