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L’estampe chinoise

01/01/1985
La plus ancienne estampe du monde (868, dynastie Tang).

Une grande exposition des meil­leures oeuvres chinoises de xylographie s’est tenue à Taïpei. Deux pièces histo­riques étaient en vedette: la plus an­cienne estampe du monde et le premier exemplaire imprimé en couleurs. Para­doxalement, leur importance est restée longtemps méconnue du grand public.

Organisée par d’Etat à (CEC), l’Exposition internationale de l’Estampe regroupait 99 pièces prêtées par des musées chinois et étrangers.

Le British Museum a prêté l’illustra­tion la plus ancienne et le Musée national d’Histoire de Taïpei la plus ancienne im­primée en couleur. En outre, un collec­tionneur japonais avait gracieusement prêté vingt-quatre images de Nouvel An de Soutcheou [ 蘇州年畫, sou-tchoô nienn-hroua ], partie d’un portefeuille dont le reste a disparu au cours de guerres intestines sous la dynastie Ts’ing (l644-1911). Enfin, le portefeuille per­sonnel de M. Pan Yuan-shi [ 潘元石, pron. Pann Yuann-cheu ] et ceux de trois autres musées de Taïwan ont complété l’ensemble.

La première estampe, qui date de 868 ap. J.-C., provient de Touen-houang [ 敦煌 ] (province de Kansou). Elle s’in­sère dans un soûtra bouddhiste, le Soûtra du Diamant [ 金剛盤若波羅密經, tchinn-kang pann-jouo Po-louo-mi king, et représente Çâkya-Mouni [ 釋迦牟尼, Cheu-tchia-mou-ni ], c’est-à-dire le Bouddha, prêchant sous un arbre. Elle appartient maintenant au British Museum. On avait utilisé pour ce texte et son illustration un procédé d’impres­sion par planchettes de bois enduites d’encre, comme on prend de nos jours un frottis d’inscription. Sa réalisation, sous la dynastie T’ang (618-907), reflète la bonne qualité du travail d’impression, due en partie à la finesse des gravures des planches de bois. La plus vieille estampe européenne, un Saint-Christophe, remonte à 1423. Les premières estampes chinoises, tout comme les européennes, représentaient des scènes religieuses. Au IXe siècle, le recueil de soûtras avaient pour les Chinois la même signifi­cation que pour les Européens au XVe siècle.

Bien avant la dynastie T’ang, une technique de gravure et d’impression, un choix rigoureux des encres et des pig­ments avaient favorisé le développement de cet art. La connaissance de la gravure et de l’impression remonte à l’époque préhistorique : les inscriptions sur les os divinatoires [ 甲骨文, tchia-kou wen ] sont une sorte de hiéroglyphes chinois.

Sous la dynastie Han (206 av. J.-C. ­-220 ap. J.-C.), les dessins et les person­nages gravés sur les pierres érigées à l’entrée des tombes et des sanctuaires sont les précurseurs de la gravure sur bois. Les pierres de cette période, gra­vées selon le principe du dessin en creux ou intaille, offrent parfois une certaine similitude avec les planches d’impression.

La gravure sur bois ou sur jade com­prenait aussi les sceaux personnels que les Chinois se contentaient de montrer, dans les premiers temps, sans les appo­ser. Ces sceaux qui avaient en général la forme d’un animal ou qui étaient gravés de caractères chinois furent utilisés à l’estampillage sous la dynastie Han dans un but d’identification ou d’esthétique. Au IIe et Ille siècle de notre ère, l’asso­ciation encre, gravure et apposition était déjà courante. A cette époque, l’inven­tion du papier en 105 ap. J.-C. ouvrait la voie à l’imprimerie.

La datation exacte de la première planchette à imprimer qui se fonde sur un ordre impérial de la dynastie Souei (589-618) « de graver et d’imprimer » d’anciens soûtras, est fort contestée. En effet, les spécialistes s’accordent tous à dire que la première planchette à impri­mer n’existe pas avant la fin du IXe siècle.

Le premier exemplaire imprimé en couleurs (1340, dynastie Yuan).

Sous la dynastie T’ang, c’est la so­ciété qui a largement contribué à l’essor de l’estampe puisque culture et prospé­rité allaient de pair. Il ne revient pas à l’empereur le mérite de l’avoir encoura­gée, mais aux croyants bouddhistes qui n’hésitèrent pas à s’en servir. Ainsi, la plupart des estampes de ce temps repré­sentent des thèmes religieux et illustrent des soûtras.

La plus ancienne estampe Dessin du jardin où prêchait Çâkya-Mouni [ 祇數給孤獨園圖, tchi-tchou tchi kou-tou yuann tou ] est le résultat d’un procédé en creux. Un tracé précis et une composition élaborée caractérisent le Bouddha auréolé et en­touré des dix-huit arhats [ 羅漢,louo­ hrann ] (ou disciples). Cette technique avait déjà une certaine qualité.

Sous les Cinq Dynasties (907-960), fonctionnaires et dignitaires favorisèrent l’imprimerie et la circulation des livres. Deux premiers ministres de la dynastie postérieure Chou [ 後蜀, hroô-chou ] (934-965), dans le Sseutchouan, encou­ragèrent les imprimeurs à publier les En­tretiens de Confucius [ 論語, louenn-yu ] et d’autres ouvrages confucéens afin de di­versifier les lectures. La méthode d’im­pression au moyen de planchettes de bois devenait de plus en plus courante.

Si, à l’époque, les textes imprimés étaient parfois profanes, le choix des il­lustrations n’en restait pas moins limité aux thèmes bouddhistes. Parmi les quelques illustrations encore intactes, fi­gurent les images du Très saint bonze céleste [ 大聖毗沙門天王, ta-cheng pi chamenn tienn-wang ] et de Kouan-yin , de la miséricorde , signées par Lei Yen-mei [ 雷延美 ], premier graveur dont le nom nous est parvenu. Trouvées à Touen-houang (Kansou), ces deux oeuvres sont finement dessinées; elles ont certainement influencé par leur goût et leur technique, deux autres estampes décoùvertes dans la province du Tche­-kiang. Ainsi, la xylographie n’était plus le monopole du Nord, et Tchang-an [ 長安 ], capitale de la dynastie T’ang (au­jourd’hui Si-an, dans le Chensi), n’était plus la capitale de l’estampe.

La dynastie Song (960-1279) a marqué le début du développement des estampes traditionnelles chinoises. Aux textes et aux illustrations bouddhistes vont s’ajouter peu à peu de nombreux autres sujets : plantes, paysages, visages, etc. Pendant cette Période, on observe  un intérêt croissant pour les vers rimés, ce qui ouvre de nouveau débouchés à l’estampe. Comme la peinture commen­çait à se développer, elle aviva la curio­sité envers les textes illustrés.

Les illustrations, parfois accompa­gnées de légendes, ce qui était une inno­vation, s’équilibraient dans la composi­tion de chaque page. Placées en général au-dessus du texte, elles représentaient les personnages célèbres des biographies. Dans les livres d’art prédominaient les il­lustrations et dans les traités médicaux, les livres de musique ou d’astronomie étaient comprises des planches de leurs spécialités, plantes ou points d’acuponc­ture, instruments, des cartes du ciel, constellations, cosmologie.

Au fur et à mesure que les illustra­tions de divinités populaires s’étaient répandues, les estampes se dégageaient peu à peu du thème religieux. Deux livres prouvent cette évolution: Biogra­phies des femmes [ 列女傳, lié-nu tchouann ] et Dessins de fleurs de prunier [ 梅花喜神譜, mei-hroua-chi-chenn pou ]. Des réimpres­sions datant de la dynastie Yuan (1271-1368) font aujourd’hui partie de la collection du Musée national de Taïpei. Biographies de femmes (1063) contient cent vingt-trois illustrations de femmes, placées chacune au-dessus du texte. A l’époque, cet ouvrage influença les principes de la mise en page. Dessins de fleurs de prunier (1238) illustrent les différences phases de la floraison de l’arbre, du bouton à l’éclosion. Cet exploit artistique rehaussa tellement le niveau de l’estampe que le texte devint secondaire.

Sous la dynastie Yuan, apparut un procédé d’impression en deux couleurs dont le plus ancien exemplaire est l’illus­tration de la préface de Dessin d’un cham­pignon sacré [ 靈芝圖, ling-tcheu tou. ] A l’arrière plan, de hauts pins à l’encre noire surplombent trois moines en rouge. L’estampe en couleur est donc ap­parue en Chine un siècle plus tôt qu’en Europe, alors que la première estampe en couleur japonaise ne date que de 1627.

L’art de l’estampe sous la dynastie Yuan conservait les mêmes principes gé­néraux. Seule la réimpression de vieux livres s’accompagnait d’illustrations chaque fois plus nombreuses. En cette période intermédiaire (dynasties Song et Yuan), la qualité des estampes reposait principalement sur celle des gravures des planchettes de bois. On ajoutait les couleurs une à une, sans les superposer. Les autorités utilisèrent ce procédé pour imprimer du papier-monnaie en trois couleurs (noir, rouge et bleu). L’usage de la monnaie contribua à éveiller l’at­tention du public sur cette technique.

Illustration du Récit de la Chambre de l’Ouest (Dynastie Ming).

La littérature populaire, en l’occu­rence la poésie rythmée que l’on pouvait chanter, et la littérature à épisodes des Yuan enflammèrent l’imagination et l’esprit créateur des illustrateurs qui se sont caractérisés autant par des présenta­tions plus soignées et plus raffinées que par des formats « standard ».

La dynastie Ming (1368-1644) fut l’âge d’or de l’estampe chinoise. La litté­rature et le théâtre favorisèrent l’essor des livres illustrés. Les librairies pu­bliques et privées se répandirent très vite à travers le pays. Elles étaient tou­jours à l’affût de la nouvelle estampe pour élargir leur portefeuille.

Spécialiste à l’Université de Seton Hall (Etats-Unis), M. Liao Shiou-ping [ 廖修平 ] souligne que l’excellente qua­lité des estampes des Ming s’explique par le fait que la profession était alors devenue héréditaire. Les graveurs trans­mettaient leur savoir-faire de père en fils, et les progrès techniques transfor­maient ce métier en une profession artis­tique et de précision. Dans la province d’Anhouei, les familles Wong et Houang furent celles de xylographes de grande réputation.

C’est sous cette même dynastie que les peintres chinois commencèrent à pri­vilégier le dessin, et l’illustration cessait de n’être qu’une copie de peinture. Ce­pendant, beaucoup de graveurs se sont bornés à la reproduction; d’autres se sont associés pour fabriquer les planches nécessaires aux estampes en quadrichromie. Une telle spécialisation a élargi les connaissances du métier.

En fait, la dynastie Ming peut se divi­ser en deux périodes qui ont chacune marqué les arts. Pendant les cent cin­quante premières années, jusqu’au début du XVIe siècle environ, la société pâtit des guerres et des troubles dus au changement dynastique, et l’estampe n’a guère évolué. Elle se faisait toujours à l’aide de planches gravées en creux qui marquaient une délinéation précise du tracé. On avait beau utiliser des planches de bois pour les estampes en couleur, les couleurs primaires restaient séparées dans les épreuves. Il n’y avait pas grande différence entre peintre et graveur. La plupart des estampes de cette époque il­lustrent des traités, tels que Stratégie et armement [ 武經總要, ou-tching-tsong-yao ], Agriculture [農書 , nong chou ], des livres de géologie et même des soûtras. La ma­jorité des librairies et des centres de pu­blications se regroupait autour de Kien­ an [ 建安 ], dans le Foukien, riche en forêts, et autour de Hangtcheou [ 杭州 ] , centre culturel et politique de du Sud, dans le Tchekiang.

Pendant la deuxième période des Ming, du début du XVIe siècle jusqu’en 1644, les estampes ont connu leur gloire. On imprima des ouvrages épuisés, on en­ lumina les épopées historiques ou les romans de personnages magnifiques ou médiocres, de soupirants et de beautés que l’on insérait dans un cadre d’intri­gues et de rebondissements. Le Récit de de l’Ouest [ 西廂記, chi-chiang tchi ] connut seize éditions dont onze il­lustrées, actuellement disponibles à centrale de Taïpei. L’une d’elle contient 272 merveilleuses illustrations.

Un procédé de xylographie en plu­sieurs couleurs fut employé dans deux publications décisives en matière de ma­nuels de peinture: Album de maître Fang [ 方氏墨譜, Fang-cheu mo-pou ], de Fang Kan-lou [ 方千魯 ] et le Jardin des encres de maître Tcheng [ 程氏墨譜, Tcheng-cheu mo-yuann ], de Tcheng Kiun-fang [ 程君房 ].

Hou Tcheng-yen [ 胡正言 ] trouva une nouvelle méthode de xylographie en couleurs. Pour publier l’Album de peinture et calligraphie du pavillon des dix bambous [ 十竹齋書畫譜, cheu-tchou-tchaï chou-hroua-pou ] et le Catalogue du pavil­ lon des dix bambous [ 十竹齋箋譜, cheu­ tchou-tchaï tchienn-pou ], il se servit de planchettes indépendantes, une pour chaque couleur. Le papier était pressé entre les planches gravées et l’intaille correspondant afin de créer un relief [ 餖版拱花法 ,toô-pann kong-hroua-ja ].

Plus de deux cents illustrations agré­mentèrent chacun de ces deux livres. Celles du premier sont essentiellement des esquisses à grands traits et celles du second des projections d’encre semi­-abstraites. Ainsi naquit un nouveau style d’estampe. La xylographie transcendait son humble rôle d’illustration: les deux livres de Hou Tcheng-yen sont des chefs­ d’oeuvre d’un raffinement rarement égalé. Le déclin et la chute de la dynastie Ming ont entraîné la décadence de la xy­lographie chinoise.

Tandis que les Chinois travaillaient encore sur des supports en bois, les im­primeurs européens entreprenaient d’explorer d’autres domaines, comme la gravure en taille douce sur cuivre (chal­cographie) au XVIe siècle et la lithogra­phie sur pierre calcaire à grains très fins vers la fin du XVIIIe siècle. L’estampe était devenue en Europe un art égal à la peinture et ne servait plus de simple il­lustration aux textes imprimés.

A la fin des Ming (milieu du XVIIe siècle), les xylographes chinois avaient développé un procédé en couleurs. L’es­tampe chinoise était arrivée à un point culminant et exerçait une influence déci­sive : elle est à l’origine du style ukiyoe [ 浮世繪, pron. Chinoise : fou-cheu-hroue] des estampes japonaises des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles.

Images de Sou-tcheou : Les cent enfants.

Les nouvelles estampes sous la dy­nastie Ts’ing ne sont que l’ombre de celles glorieuses du passé. Mais la gra­vure s’était répandue. Sous les empe­reurs mandchous Cheng-tsou (règne K’ang-hi, 1662-1722), Che-tsong (règne Yong-tcheng, 1723-1735) et Kao-tsong (règne K‘ien-Iong, 1736-1796), on fit venir des estampes spéciales pour les Editions du Palais, une nouveauté de la cour impériale. Des livres de qualité étaient vendus sur un autre réseau com­mercial. Ces estampes impériales ont voulu refléter la grandeur de la dynastie. Scènes de l’anniversaire de l’empereur [Cheng-tsou (K’ang-hi)] [ 萬獸盛典圖, wan-choô-cheng tienn-tou ], aux gravures exécutées par Tchou Kouei [ 朱圭 ], sont un des meilleurs ouvrages des Editions du Palais.

Les Chinois éprouvaient une grande nostalgie à l’égard des dynasties passées. Chagrins de départ [ 離騷圖, li sao tou ] tra­duisent ce sentiment. Et l’Album du Jardin des grains de moutarde [ 芥子園畫譜, tchié-tseu-yuann hroua-pou ] présente un grand intérêt. Sans égaler les oeuvres de Hou Tcheng-yen, il n’en demeurait pas moins une approche très complète sur les techniques de la peinture. Il passait en revue les pinceaux et les formes de composition.

Le déclin de l’estampe chinoise s’est accentué au fil des ans à partir du milieu de la dynastie Ts’ing (fin du XVIIIe siècle), non seulement à cause des guerres et des troubles, mais aussi parce que la production de gravures devenait massive comme en Europe.

Un autre marché pour la xylographie s’est alors constitué: les différentes illus­trations pour le Nouvel An chinois qui touchèrent un très large public. Tirées sur une simple feuille, elles regorgèrent de détails typiques de la région et devin­rent extrêmement populaires. Trois peintres-graveurs se distinguaient tout particulièrement pour la beauté de la cal­ligraphie et du dessin des dieux locaux fi­gurant sur leurs cartes de voeux : Yang Kia-pou [ 楊家埠 ] à Wei-hsien [ 濰 ] (pro­vince de Chantong), Yang Lieou-tsing [ 楊柳青 ] à Tientsin [ 天津 ] et Tao Houa­ wou [ 桃花塢 ] à Soutcheou [ 蘇州 ] (pro­vince de Kiangsou). Cette forme d’art reflétait les sentiments de la population à cette époque de fêtes et se répandit très vite à travers le pays. Les images de Nouvel An créées à Soutcheou s’imposè­rent rapidement par leur style direct et clair et concurrencèrent, dans le sud de , un art monopolisé jusqu’alors par Yang Lieou-tsing à Tientsin.

La chalcographie à la fin du XVIIIe siècle, et la lithographie à la fin du XIXe siècle à Changhaï ont remplacé la xylo­graphie. Après la chute des Ts’ing, la nouvelle technologie prit le pas sur les vieux procédés, et les planches de bois n’ont jamais retrouvé leur premier rôle.

Dans cette exposition, les planches de bois merveilleusement ouvragées montrent toujours la qualité de la gra­vure chinoise. ■

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