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La spatule : un oiseau dont on se préoccupe

01/03/2003
Quelques spatules à tête noire au repos. Ces oiseaux qui appartiennent à une espèce menacée aiment passer l'hiver dans le sud de Taiwan. (Yeh Ming-yuan)

Une quinzaine de spatules à tête noire ont été relâchées, en bonne santé, à la mi-février, en présence de plusieurs personnalités locales, l'événement dans le sud de l'île étant suivi par la presse nationale. Pourquoi tant d'attention ? L'espèce venait de surmonter l'une des plus graves crises de son existence, et la réintégration de ces oiseaux pour la fin de la saison froide dans leur milieu naturel, dans l'estuaire de la Tsengwen, a ainsi pris l'allure d'une affaire d'Etat.

Car la spatule à tête noire (Platalea minor ) n'est pas n'importe quel volatile : elle appartient à une espèce qui figure parmi les plus menacées, puisqu'on n'en compte plus qu'environ neuf cents spécimens dans le monde. Elle est ainsi mentionnée dans la fameuse convention de Washington (CITES) sur la protection de la faune et de la flore sauvages qui dresse une liste des espèces en voie d'extinction.

Ces oiseaux, de la famille des threskiornithidæ - qui compte aussi l'ibis -, ne sont pas endémiques à Taiwan mais vivent la plus grande partie de l'année dans le nord-est de la Chine et sur la péninsule coréenne. Migrateurs, ils ne descendent vers des terres plus méridionales - en Chine, au Viêt-nam ou à Taiwan, leur destination de prédilection - qu'en hiver, à la recherche d'un climat plus doux.

La cause des spatules est devenue si célèbre dans l'île qu'un important projet industriel qui aurait dû être réalisé non loin des marécages de Chiku, dans l'estuaire de la Tsengwen, a été annulé il y a quelques années, pour préserver leur lieu favori d'hibernation. Celui-ci a depuis été élevé au rang de sanctuaire naturel, bénéficiant ainsi de la protection de l'Etat.

Seulement, voilà, l'hiver 2002-2003 n'a pas été comme les autres. Si les spatules sont bien descendues dans l'île, plus nombreuses que d'habitude - on en a dénombré 700 -, elles ont subi sur place une véritable décimation : plus de 70 d'entre elles ont trouvé, dans cette zone qu'elles affectionnent particulièrement, la mort dans les jours suivant leur arrivée.

D'abord mystérieuses, les causes de l'hécatombe ont été vite mises en lumière. S'agissait-il des effets de la pollution industrielle, comme cela avait été avancé ? Les analyses ont montré, en définitive, que les oiseaux avaient succombé au botulisme, après avoir mangé des poissons avariés. Pour une fois donc, l'homme n'était pas à incriminer mais bien la nature. Les investigations poussées ont révélé que les spatules ont été victimes d'une combinaison malheureuse de circonstances.

D'abord, le temps. Dans les premières semaines de décembre, quand les spatules sont arrivées dans la région de Tainan, le temps était ensoleillé, et le thermomètre est parfois monté à 28 degrés dans la journée, alors que, la nuit, la tendance s'inversait et les températures plongeaient. Cette violente amplitude dépassant 10 degrés en quelques heures a causé l'apparition du botulisme qui a provoqué l'empoisonnement de poissons des marais - un phénomène déjà remarqué ailleurs. En se nourrissant des poissons malades, les oiseaux ont donc été contaminés à leur tour.

Le deuxième phénomène qui s'est combiné avec le premier pour aggraver la situation a été le nombre élevé de spatules venues cet hiver. Ce qui aurait dû être un signe de bonne santé de l'espèce a, en fait, contribué à amplifier l'hécatombe. Plus nombreuses que d'habitude, elles ne parvenaient pas toutes à se nourrir de poissons vivants, ce qui les a poussées à se rabattre sur les poissons morts, augmentant les risques d'empoisonnement fatal.

Les cadavres de 73 d'entre elles ont été sortis des marais de Chiku, tandis que 17 étaient récupérées vivantes. Quinze oiseaux ont été sauvés et relâchés en grande pompe, le mois dernier, les deux derniers restant en soins intensifs.

Les autorités ont promis de veiller l'année prochaine, lorsque les spatules reviendront, à ce que cette catastrophe ne se reproduise plus. On nettoiera tous les jours les marais des poissons qui auront pu y mourir, a-t-on entendu dire, et, s'il le faut, on nourrira les spatules à tête noire d'une autre façon. Plus jamais ça, répète-t-on dans l'île. ■

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