09/05/2024

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

Au nom de la tradition

01/12/2008
Avec leur proue et leur poupe incurvées et ornées de gravures, les canoës sont l’un des principaux symboles de la culture tao.

>> Sur Lanyu, les Tao cherchent à préserver leur culture, laquelle accorde une grande place aux cérémonies traditionnelles dédiées à la pêche

A la différence des touristes qui débarquent en été sur Ludao, ceux qui visitent Lanyu, 75 km plus au sud, viennent avant tout découvrir la culture aborigène, ses traditions et ses cérémonies centenaires. Cependant, pour les habitants de l’île, les Tao, de tels rites ne sont pas de simples spectacles montés de toutes pièces pour les touristes. Ils font partie intégrante de leur mode de vie et sont un moyen de perpétuer leur culture. En particulier, les cérémonies dédiées à la pêche, au baptême des canoës ou aux récoltes témoignent de la vitalité de la tribu.

Lanyu est située dans l’océan Pacifique, à 91 km au large de Taitung. Les aborigènes de l’île sont appelés « Yami » en chinois, mais eux-mêmes se dénomment Tao (ou Tawu), ce qui dans leur langue veut dire « homme » ou « personne ». Il y a 800 ans, les Tao ont émigré depuis les Batanes, des îles du nord des Philippines, distantes seulement de 110 km. Tout comme les Philippines, Lanyu jouit d’un climat tropical très humide qui lui vaut d’être recouverte d’une végétation luxuriante. A bien des égards cependant, c’est un territoire hybride, où la faune et la flore des Philippines se mêlent à celles de Taiwan. Son nom d’île des Orchidées évoque les splendeurs qu’elle recèle.

Les efforts de préservation du mode de vie tao ont débuté sous l’occupation japonaise, qui déclara l’île aire de recherche anthropologique. Les Japonais y interdirent toute visite, un isolement maintenu après la Seconde Guerre mondiale par le gouvernement de la République de Chine, qui n’ouvrit Lanyu au public qu’en 1967. Quarante ans plus tard, les Tao sont largement parvenus à maintenir leurs traditions. De ce fait, les visiteurs peuvent y toucher du doigt un style de vie très différent de celui qui prévaut sur l’île de Taiwan.

L’attrait de la pêche

Les Tao sont aujourd’hui le seul groupe aborigène de Taiwan dont la culture est intimement liée à l’océan. Rien d’étonnant donc à ce que le poisson y joue un rôle central. Dans la tribu, la valeur d’un homme se juge à sa capacité à nourrir sa famille grâce à la pêche. De toutes les espèces pêchées, le poisson volant est la plus respectée. La saison de la pêche aux poissons volants débute officiellement fin février ou début mars, lorsqu’une cérémonie est organisée pour les attirer vers l’île. Le jour dit, les hommes se lèvent à l’aube et se rassemblent sur le rivage. Là, un poulet est sacrifié selon un rite ancestral, puis un des anciens peint des galets avec ses doigts couverts du sang de l’animal. En regardant au large, il lance : « Poisson volant, nous t’implorons de faire cap vers le sud, aussi vite que la flèche tirée par l’arc, car nous avons ici du poulet et du porc pour te souhaiter la bienvenue. Poisson volant ! Reviens-nous vite ! » Chaque capitaine d’embarcation choisit alors 5 galets peints qu’il ramène chez lui, un rituel effectué en vue d’une pêche abondante.

Chaque année, au mois de mars, le courant de Kuroshio vient caresser Lanyu en remontant vers le Japon, charriant des bancs de poissons volants. A leur arrivée, les hommes se mettent à pêcher nuit et jour. Les prises sont précieusement conservées dans du sel. La saison de la pêche aux poissons volants s’étend jusqu’en juin ou juillet. Le 15e jour du 8e mois lunaire, généralement au mois de septembre, les Tao organisent une cérémonie marquant la fin de la campagne. Les queues des plus gros poissons volants sont suspendues le long du rivage et tous les poissons frais restants sont détruits. Il est dès lors interdit de continuer à pêcher et seuls les poissons ayant été séchés et salés à la saison permise pourront être consommés pendant l’hiver.

Des symboles flottants

La tradition tao veut que chaque homme de la tribu construise son propre bateau. Alors que la plupart des familles possèdent des canoës d’une à trois places, chaque village se regroupe pour fabriquer une embarcation plus grande, à bord de laquelle une douzaine d’hommes peuvent monter. Avec leur proue et leur poupe recourbées, ces bateaux sont l’un des principaux symboles de la culture tao.

Longtemps avant qu’un canoë ne soit construit, l’individu ou le clan choisit l’arbre dans le bois duquel seront débitées 21 ou 27 planches, selon la taille de l’embarcation. La construction du bateau s’effectue entièrement à la main, à l’aide d’outils rudimentaires employés depuis des générations. On utilise des chevilles en bois pour assembler les planches, qu’on recouvre de résine de barok, une sorte de ficus, pour les rendre étanches. La touche finale est donnée par des motifs en bas-reliefs géométriques et des emblèmes décoratifs peints en blanc, rouge et noir – les couleurs du poisson volant, qui constitue ici l’un des éléments de base de l’alimentation.

Le printemps est la meilleure saison pour visiter Lanyu, en raison des cérémonies colorées qui y ont lieu à cette époque de l’année pour le baptême des nouveaux canoës. Pour ce rituel annuel, les femmes portent des coiffes octogonales en laine et des colliers de perles en agate. La veille de l’événement, l’hôte et ses invités – ou le village s’il s’agit d’un bateau plus grand – chantent toute la nuit. Quand vient le jour, on sacrifie des cochons, dont on partage la viande entre tous les participants.

La cérémonie est très spectaculaire. De jeunes hommes vêtus de pagnes encerclent le canoë, effectuent des rites pour le protéger des mauvais esprits et le lancent en l’air à plusieurs reprises. Le rituel n’est achevé qu’une fois le bateau mis à l’eau.

Le travail en commun

La société tao n’est pas fortement hiérarchisée – il n’y a pas de chefs, seulement des conseils d’anciens dans les villages – et elle encourage le travail en commun au bénéfice de l’ensemble de la communauté. Par exemple, lorsque quelqu’un décide de construire une maison, ses parents et amis lui apportent aide et expérience. Cette coutume est perpétuée aujourd’hui dans deux villages de la côte est de Lanyu où le mode de construction traditionnel a toujours cours. Les maisons y sont en partie enfouies sous terre, blotties dans des excavations dont on tapisse les parois de pierres. Ce dispositif permet de réguler la température en été et en hiver, tout en protégeant les habitants des typhons qui balayent l’île. Les maisons en elles-mêmes sont construites en bois et couvertes d’un toit incliné qui dépasse à peine du niveau du sol.

La plupart des maisons traditionnelles sont jouxtées d’un petit atelier et d’un toit-terrasse offrant une vue dégagée sur la mer. La brise rafraîchissante en fait l’endroit idéal pour se relaxer, manger, fumer, mâcher des noix de bétel et bavarder avec ses voisins.

Chaque parcelle est ceinte de murs en corail qui la séparent des enclos de cochons et des champs de taro, lesquels doivent être proches d’un point d’eau et se situent donc au voisinage immédiat des habitations. La construction de ces maisons traditionnelles est chose courante. En effet, la coutume veut qu’à la mort des parents, la maison familiale soit démantelée. Le fils aîné hérite des matériaux réutilisables, qu’il complète avec du bois de coupe pour construire une nouvelle maison. Si les hommes sont responsables de l’édification du nouveau toit, les femmes, elles, sont chargées de labourer les champs environnants où elles planteront des taros une fois la construction achevée.

A la fin des années 60, le gouvernement lança un programme « d’amélioration » de l’habitat de Lanyu et ordonna la construction de maisons standard en ciment, où les Tao furent relogés. Toutefois, beaucoup d’anciens refusèrent d’y rester et retournèrent habiter leur maison traditionnelle. D’autres problèmes surgirent, dus au choix des matériaux de construction. Le ciment contenait du sable de mauvaise qualité : après seulement quelques années, les maisons en dur commencèrent à se dégrader. Le programme de construction se prolongea cependant jusqu’en 1976, entraînant la destruction de beaucoup de maisons traditionnelles. Résultat de cette course au « progrès », les maisons en ciment prédominent aujourd’hui dans 4 des 6 villages de l’île.

Célébrer les récoltes

Bien qu’on le cultive moins qu’autrefois, le millet occupe toujours une place importante dans les traditions des Tao. Dans le passé, chaque famille procédait à sa propre cérémonie, pendant toute une semaine, au début de l’été, afin de remercier les dieux des récoltes abondantes et prier pour qu’il en soit de même l’année suivante. Aujourd’hui, ces célébrations familiales ont cédé le pas à une fête des récoltes célébrée par le village entier. Celle-ci ne se déroule plus que sur un ou deux jours, considérés comme particulièrement propices, et n’a pas lieu tous les ans. Si les anciens du village décident de l’organiser, ils demandent aux familles de faire pousser du millet. Une fois toutes les récoltes rassemblées, vers la fin juin, la fête peut commencer.

Même si les taros, les ignames, les fruits et les légumes sont récoltés à peu près au même moment, le millet occupe le devant de la scène avec la danse du pilon. Les participants chantent et dansent autour d’un mortier en tenant à la main un pilon de bois et se penchent chacun leur tour pour piler le millet. Tout le monde danse, des enfants aux anciens, ce qui assure la transmission de cette tradition aux nouvelles générations.

La cérémonie la plus caractéristique de la fête des récoltes est la « danse des cheveux ». Des femmes agitent gracieusement leur longue chevelure en signe d’affection pour leur mari et leurs proches. Une ancienne coutume, aujourd’hui disparue, interdisait aux femmes de danser pendant la journée. Aussi cette danse était pratiquée une nuit de pleine lune, sur la plage. Les femmes se mettent en rang et dénouent leurs cheveux. Elles commencent à chanter et à se balancer doucement, puis se donnent le bras et saluent bas jusqu’à ce que leur chevelure touche le sol et le balaie, de gauche à droite. Enfin, elles s’agenouillent et rejettent rapidement leurs cheveux vers l’arrière en les faisant onduler.

Les Tao furent isolés sous la pression du monde extérieur. Aujourd’hui, à l’image d’autres cultures indigènes, la survie de leur culture n’est pas garantie. En réponse à ces menaces, ils ont pris la décision de conserver certaines traditions importantes. « Nous sommes toujours là, semblent dire celles-ci, et voilà qui nous sommes. »

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