Dans la rue qui passe derrière la gare de Taoyuan, dans le nord de Taiwan, a ouvert fin mars le studio créatif et culturel SEAMi (les initiales de SouthEastAsian Migrant inspired). L’endroit est destiné aux immigrés habitant la région et aux Taiwanais qui souhaitent mieux connaître la culture des pays d’origine de ceux-ci. Il fonctionne comme un espace social et prête gratuitement des livres et magazines en différentes langues d’Asie du Sud-Est, ainsi que des manuels d’apprentissage de ces langues. « J’espère que ce studio permettra aux immigrés de se faire entendre et de gagner en visibilité », dit Lin Zhou-xi [林周熙], le fondateur de SEAMi.
Lin Zhou-xi a pu ouvrir ce centre grâce à une subvention accordée par le ministère de la Culture dans le cadre de son Programme de développement culturel de villages pour la jeunesse, lancé en août 2014. Sont financés des projets proposés par des jeunes de 20 à 35 ans dans trois domaines : la promotion des arts et de la culture, le développement de micro-entreprises et la création de plateformes encourageant les échanges entre entrepreneurs et acteurs culturels. Cela faisait longtemps que Lin Zhou-xi, qui est titulaire d’un master de la faculté d’études d’Asie du Sud-Est à l’Université nationale Chi Nan, à Puli, dans le district de Nantou, pensait à ouvrir un espace tel que SEAMi. Son projet a reçu un total de 1,1 million de dollars taiwanais de subventions et de prix, ce qui en fait le plus gros bénéficiaire dans la catégorie de la création de plateformes d’échange.
De la même façon, l’aide du ministère de la Culture a été décisive pour Lu Szu-ying [呂思穎], une diplômée en littérature chinoise âgée de 31 ans, et plusieurs jeunes femmes originaires de l’île des Orchidées (Lanyu) qui rêvaient de doter cette petite île située au large de la côte sud-est de Taiwan d’un magazine à part entière. Lu Szu-ying est tombée amoureuse de Lanyu lors de sa première visite en 2013. A l’été 2014, elle a eu l’idée de créer une publication centrée sur les jeunes de Lanyu et sur la culture locale. Ce projet, qui a bénéficié d’une aide de 700 000 dollars taiwanais, a abouti à la création du bimestriel 952 vazay tamo – le titre du magazine signifie « Nos affaires, nos emplois » dans la langue des Tao, le groupe de population aborigène qui vit à Lanyu, et est précédé du code postal de Lanyu. Le premier numéro est sorti en février 2015.
« Les jeunes regorgent d’énergie, d’idéalisme et d’idées créatives. Il faut leur donner l’opportunité d’expérimenter et de contribuer à la société », dit Chen Kuan-fu [陳冠甫], directeur général des Ressources culturelles au ministère de la Culture, et qui est à l’origine du programme. Plus de 210 demandes ont été examinées par un jury et classées en fonction de leur originalité et de leur contribution potentielle au développement des villages et des quartiers. Un total de 83 projets ont passé cette étape et reçu une subvention de 100 000 dollars taiwanais chacun. Parmi ceux-ci, le jury a primé des projets dans chacun des trois domaines soutenus, les dotant d’une enveloppe financière allant de 200 000 à 1 million de dollars taiwanais.
Lila Liao [廖怡雅], 26 ans, fait partie des lauréats dans la catégorie « développement de micro-entreprises ». Elle a reçu 1 million de dollars taiwanais pour financer un projet de promotion de la vannerie à Yuanli, dans le district de Miaoli, dans la partie centrale de l’île. La jeune femme s’est familiarisée avec cet artisanat il y a six ans, alors qu’elle étudiait le design à l’Université nationale unie de Miaoli. En 2013, elle est devenue chef de projet pour l’Association artisanale de Yuanli, un groupe fondé dans le but de relancer l’intérêt pour la vannerie après des années de déclin.
« Le ministère de la Culture nous encourage à utiliser tous types de ressources pour mener à bien notre projet », explique Lila Liao. Ainsi, la jeune femme a développé les liens entre l’association et les habitants de la commune en vendant des produits de vannerie le week-end sur le marché. Pour cela, elle a reçu l’aide de six étudiantes fréquentant son université d’origine. En mai dernier, l’association a par ailleurs ouvert des cours de vannerie et de tissage destinés aux immigrés venus de Chine continentale et d’Asie du Sud-Est, pour la plupart des femmes ayant épousé un Taiwanais de la région. Lili Liao y voit un moyen de former sur place une main-d’œuvre qualifiée.
Lila Liao a fondé l’Association artisanale de Yuanli qui emploie des habitantes des environs pour réaliser des travaux de vannerie. (CHEN MEI-LING / TAIWAN REVIEW)
A Lanyu, l’un des objectifs de Lu Szu-ying et du magazine 952 vazay tamo est d’interagir avec la population locale. L’équipe de rédaction, composée de trois Tao et d’une Han vivant sur l’île, prend régulièrement contact avec les anciens qui représentent une source inestimable de connaissance sur la culture et les traditions tao.
Pour s’assurer que les fonds versés à ces différents projets sont dépensés à propos, le ministère de la Culture a mis en place un système de suivi de l’avancement de chaque projet. Une équipe de la faculté des arts de l’Université nationale Dong Hwa, située dans le district de Hualien, sur la côte orientale de Taiwan, a été chargée de conduire des entretiens réguliers en tête-à-tête avec les responsables de projet. Celles-ci doivent fournir des rapports intermédiaires détaillés ainsi qu’un rapport final qui conditionnent le versement des fonds en trois fois au cours de l’année que dure le programme.
Certains projets ont même pris de l’avance par rapport au calendrier prévu. C’est le cas de SEAMi, à Taoyuan, qui a très rapidement lancé des cours de thaï, de birman, d’indonésien et de tagalog. L’expérience a en outre inspiré un ancien camarade de classe de Lin Zhou-xi qui a décidé d’ouvrir à New Taipei un centre du même type – sans subventions du ministère de la Culture cette fois. Les deux structures s’entraident notamment en échangeant des livres.
Le deuxième numéro de 952 vazay tamo a été publié à la fin du mois d’avril. Le premier numéro ayant été fort bien reçu, Lu Szu-ying et ses amies ont décidé de faire passer le nombre de pages de 48 à 60 et la circulation de 500 à 1 000 exemplaires. Jusqu’ici, le bimestriel a fait le portrait de plusieurs jeunes artistes originaires de Lanyu, traité de la question de l’apprentissage de la langue tao et relayé le débat local sur l’implantation sur la petite île du premier magasin de proximité franchisé, en 2014.
Ces résultats encourageants ne présument pas de la réussite des projets sur le long terme et les bénéficiaires des subventions doivent trouver des modèles de financement permettant d’en assurer la pérennité. Pour financer la deuxième année d’activité de SEAMi, Lin Zhou-xi est prêt à puiser dans ses économies, le temps de trouver d’autres sources de recettes. Il pense notamment à louer les locaux occupés par SEAMi pour l’organisation d’expositions d’artistes d’Asie du Sud-Est. Il a commencé à nouer des contacts en ce sens et est en discussion avec un agent artistique basé en Birmanie dans le but de présenter à Taiwan des artistes de ce pays qui s’ouvre de nouveau sur le monde.
Le magazine 952 vazay tamo a, quant à lui, déjà attiré l’attention de potentiels mécènes et l’équipe de rédaction pourrait également recevoir le renfort de nouveaux jeunes bénévoles habitant Lanyu. « Cinq des six personnes qui travaillent actuellement sur le magazine ont par ailleurs des emplois à plein temps, dit Lu Szu-ying. J’espère que nous parviendrons à louer un local et à embaucher au moins une personne à temps plein de manière à assurer l’avenir du magazine. »
Sauf déconvenue majeure avec les actions en cours de réalisation, le Programme de développement culturel de villages pour la jeunesse devrait être reconduit cette année, indique-t-on au ministère de la Culture. Il existe déjà de bonnes raisons de croire en sa capacité à libérer le potentiel de la jeunesse taïwanaise.