29/04/2024

Taiwan Today

Accueil

Les musées d’une histoire vivante

08/08/2016
Des Tsou exécutent une danse rituelle dans un village du centre de Taiwan.
A Taiwan vivent des populations aborigènes aux cultures distinctes et qui contribuent au pluralisme de la société. Pour souligner leur place dans l’histoire et la vie culturelle locales, des musées et des galeries ont vu le jour ces 25 dernières années en divers points de l’île, à l’image du Musée Shung Ye des aborigènes formosans, du Musée national de la préhistoire et du Centre de la culture ketagalan. Ces équipements recueillent et présentent l’histoire des aborigènes formosans à travers différentes approches, qu’elles soient centrées sur les formes d’expression artistiques ou sur les structures sociales. Le Musée Shung Ye des aborigènes formosans a été fondé en 1994 par Safe Lin [林清富], le président du groupe Shung Ye. Situé tout près du Musée national du palais, dans le quartier de Waishuangxi à Taipei, c’est l’un des rares musées privés à Taiwan à s’intéresser aux cultures autochtones.

La façade du Musée Shung Ye.

Dans le hall d’entrée du musée, les visiteurs sont accueillis par un canoë traditionnel tao et une stèle gravée paiwan. Le canoë, explique Lin Wei-cheng [林威城], le conservateur du musée, occupe une place de choix afin d’illustrer la diversité des groupes de population aborigènes à Taiwan. En effet, parmi les 16 groupes officiellement reconnus par l’Etat, seuls deux ont une tradition maritime : les Amis et surtout les Tao qui sont originaires de l’île des Orchidées, au large des côtes sud-est de Taiwan.

S’élevant presque jusqu’au plafond, l’œuvre en pierre est gravée d’images représentant des aspects importants de la culture paiwan. Réalisée par l’artiste paiwan Sakuliu Pavavalung, la stèle s’intitule « Divination avant une aventure de chasse » et dépeint un rite de chasse pratiqué par une sorcière. Deux chasseurs figurent, assis, dans la partie inférieure de la stèle. Leur taille est petite en comparaison avec celle de la sorcière, ce qui illustre la place prépondérante des chefs spirituels au sein de la société traditionnelle paiwan.

La collection permanente du musée Shung Ye est répartie entre les premier et second étages et le sous-sol. Les expositions du sous-sol sont regroupées sous le thème « Le monde et les dieux » et mettent l’accent sur les croyances religieuses, les rituels et les coutumes aborigènes. Au premier étage, ce sont « Le monde et les hommes » qui sont à l’honneur, avec des poteries et des outils traditionnels employés pour la chasse et la pêche notamment. « Le monde des femmes » occupe le second étage, avec principalement des exemples de techniques de tissage et des vêtements.

Ce qui distingue le musée Shung Ye est son parti pris de laisser les pièces exposées raconter leur propre histoire. Cela est manifeste à la lecture des cartels accompagnant chaque œuvre. Dans la plupart des musées, ceux-ci sont rédigés par des universitaires ou des spécialistes de l’histoire de l’art, alors qu’ici, la majorité ont été écrits par des aborigènes eux-mêmes.

Au premier étage, une maquette d’une maison traditionnelle en ardoises typiques de l’habitat traditionnel rukai est ainsi accompagnée d’un commentaire d’Auvini Kadresengan, un aîné Rukai. Une autre exposition, montée avec l’aide de Wang Ming-huey [汪明輝], professeur à l’Université nationale normale de Taiwan et dont le nom aborigène tsou est Tibusungu'e Vayayana, se penche sur les stéréotypes entourant les cultures autochtones formosanes. « Nous voulons présenter les cultures tribales du point de vue de leurs membres, dit Lin Wei-cheng. Nous voulons donner la parole aux habitants et en particulier aux anciens, nous voulons entendre ceux dont la vie quotidienne est irriguée par ces cultures et qui sont familiers de ces traditions. » Le musée accueille aussi tous les deux ans un évènement intitulé « Ensemble avec les tribus » lors duquel des aborigènes partagent leur histoire personnelle.

Creuser l’histoire

La création du Musée national de la préhistoire (NMP) à Taitung, dans le sud-est de Taiwan, fut plus accidentelle. En 1980, lors de la construction de la gare de Beinan desservie par la nouvelle ligne de chemin de fer du Sud (aujourd’hui rebaptisée gare de Taitung), des ouvriers firent une découverte archéologique majeure. Les anthropologues dépêchés par l’Université nationale de Taiwan déterminèrent que le site abritait la plus importante collection d’objets anciens jamais découverte à Taiwan.

En 1990, l’Etat a annoncé que le NMP serait construit à proximité du site de la découverte afin d’abriter ces fragiles trésors. Inauguré en 2002, le musée est dédié à la préhistoire de l’île de Taiwan, à son histoire naturelle et aux cultures austronésiennes. Y sont présentées, dans la partie dédiée à l’histoire naturelle de l’île, les origines géologiques de Taiwan jusqu’à l’âge de glace. Puis, l’exposition « Les peuples autochtones de Taiwan » explore les rites, les structures sociales et les outils des aborigènes formosans. Elle permet au visiteur d’examiner la préhistoire de ces sociétés à travers des poteries et des restes des cultures mégalithiques de l’île, dont d’imposantes pierres gravées ont été retrouvées dans les contreforts de la chaîne de montagne longeant la façade orientale de Taiwan.

L’une des pièces les plus rares de la collection du NMP est une boucle d’oreille en jade zoo-anthropomorphique, désignée trésor national dans le cadre de la Loi sur la préservation du patrimoine culturel. De la taille d’une main d’adulte, ce bijou représente deux humains avec un animal perché sur leur tête. Selon certains chercheurs, il pourrait s’agir d’une représentation de la croyance ancienne des peuples autochtones en leur capacité à communiquer avec des animaux sacrés. On trouve aussi un bracelet en néphrite en forme de trompette et des tubes de jade translucides d’un centimètre d’épaisseur et de tailles variées, entre autres bijoux préhistoriques.

Selon Agilasay Pakawyan, le directeur adjoint du NMP, la collection d’objets aborigènes du musée permet d’éclairer l’évolution des cultures autochtones de Taiwan, mais également des cultures austronésiennes au-delà de l’île. La théorie dominante aujourd’hui est en effet celle d’un peuplement de Taiwan au Néolithique depuis l’Asie continentale, suivi par un peuplement austronésien, à partir de Taiwan, de l’Asie du Sud-Est, des îles du Pacifique, et jusqu’à la Nouvelle-Zélande et à Madagascar. C’est pourquoi quand les scientifiques font une découverte sur une culture austronésienne donnée, celle-ci peut permettre de mieux comprendre celles appartenant à la même famille.

Influences autochtones modernes

Tous les musées ne proposent pas de se retourner sur le passé, même récent, des populations et cultures aborigènes. Quelques institutions, dont le Centre de la culture ketagalan, s’évertuent plutôt à célébrer la beauté et la diversité des cultures autochtones contemporaines.

Des techniques ancestrales comme celle du tissage sont préservées et montrées au public.

Le centre culturel, situé près de la station Xinbeitou du métro de la capitale, est géré par la commission des peuples autochtones de la municipalité de Taipei. Sa collection d’objets est impressionnante mais il se distingue surtout par la qualité des expositions et événements organisés autour des artistes aborigènes contemporains les plus talentueux.

Récemment, l’exposition « Art Original Flow », préparée par Amaya Sayfik, un Amis, a présenté huit artistes des groupes de population aborigènes Puyuma, Amis et Rukai. Leurs créations – des installations artistiques, des pièces vestimentaires et des accessoires – étaient autant d’interprétations modernes de traditions tribales anciennes.

La collection permanente du centre culturel comporte des accessoires, des objets du quotidien, des instruments de musique, des objets rituels et de l’art moderne. On peut y admirer notamment les coupes en noix de coco des Tao, les bandeaux portés à l’épaule par les Paiwan et qui indiquent le rang social de l’individu, ainsi qu’une grande variété de vêtements traditionnels et modernes.

Les cultures aborigènes formosanes disposent avec ces différents musées non seulement d’institutions dédiées à la conservation et à l’explication de leur passé mais aussi à la mise en valeur de leur diversité et de leur vitalité actuelles.

Les plus lus

Les plus récents