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Changement de ton pour l’industrie musicale

29/06/2019
Ashin [阿信], le chanteur du groupe Mayday, se produit lors d’un concert avec en toile de fond des images projetées sur un large écran.
Aimable crédit de B’in Music Co

L’industrie de la pop taiwanaise bouillonne d’une nouvelle génération d’artistes novateurs, soutenus par des initiatives publiques de grande envergure.

L’attente est à son comble dans le stade Luzhniki de Moscou ce 15 juillet 2018, avant le coup d’envoi de la finale de la coupe du monde de football entre la Croatie et la France. Une série de mélodies endiablées chantées dans des langues des quatre coins du monde se fait entendre. Parmi elles figure le titre Stubborn du célèbre groupe de rock taiwanais Mayday [五月天]. Il s’agit de la seule chanson en mandarin sélectionnée pour l’occasion : elle a été choisie parmi les titres de quatre finalistes dont trois ont débuté leur carrière à Taiwan.
 
« La société démocratique et pluraliste de Taiwan est très propice au développement des secteurs culturels et créatifs comme celui la musique pop », indique Hsu Yi-chun [徐宜君], directrice générale du bureau du Développement de l’industrie audiovisuelle et musicale (BAMID). Pendant des décennies, Taiwan a été la principale plaque tournante du secteur de la pop en mandarin, et le bureau placé sous l’égide du ministère de la Culture veut s’assurer que les sources de talents ne se tarissent pas.
 
« A l’image de Mayday, de nombreuses vedettes qui ont démarré leur carrière à la fin du XXe siècle rencontrent encore énormément de succès, explique Hsu Yi-chun. Mais si nous voulons que l’industrie de la pop poursuive son essor, nous devons encourager les artistes émergents et les musiques innovantes de demain. »

Le groupe indé No Party For Cao Dong se produit lors d’un concert à Taipei en 2016. (Aimable crédit de No Party For Cao Dong)

Préparer le terrain

De toutes les activités de promotion des artistes émergents organisées par le BAMID, le temps fort de l’année reste le festival international de la Mélodie d’or (Golden Melody). L’événement prend place au mois de juin, à la veille de la cérémonie des Golden Melody Awards, la plus grande remise de prix musicaux de Taiwan, une activité qui est également soutenue par le bureau. Avec un large éventail de spectacles et de forums professionnels, le festival est devenu un passage obligé pour de nombreux organisateurs de concerts et découvreurs de talents, qu’ils soient locaux ou étrangers. « Il s’agit de la plateforme nationale la plus importante pour établir des liens entre les figures locales de l’industrie, leurs homologues étrangers et les artistes taiwanais », précise Hsu Yi-chun.
 
Parmi les huit étoiles montantes présentées en 2018 figurait No Party For Cao Dong, un groupe indé qui a pris d’assaut la scène musicale locale depuis la sortie de son premier album, The Servile, en 2016. L’année suivante, le groupe a remporté les prix Golden Melody de la révélation de l’année, du meilleur groupe et de la chanson de l’année pour son tube grunge Simon Says.
 
Selon Hsu Yi-chun, le BAMID intensifie ses efforts afin de mettre en lumière des artistes et créateurs comme No Party For Cao Dong. Une préoccupation centrale a été de renforcer les Golden Indie Music Awards, un événement organisé chaque année depuis 2010 au mois d’octobre dans le but de mettre en avant les artistes évoluant à l’extérieur des courants dominants. Par le passé il s’agissait d’une simple cérémonie mais en 2018, cet événement a pris la forme d’un festival s’étalant sur quatre jours et permettant de découvrir des musiciens venus de plusieurs pays asiatiques. « Notre objectif est d’élargir l’envergure de l’événement afin de renforcer le statut de plateforme de la musique pop de Taiwan », argumente-t-elle.
 
Le BAMID offre également plus d’opportunités aux artistes locaux de faire valoir leurs talents à l’étranger. Depuis 2016, le bureau a établi des liens de collaboration avec les organisateurs de trois festivals étrangers : Live at Heart en Suède, le marché international de la musique de Tokyo, au Japon, et le festival musical Big Moutain, en Thaïlande. Le bureau s’efforce de recommander des artistes et facilite leur participation à ces manifestations. L’édition 2017 du festival thaïlandais avait mis en vedette quatre interprètes taiwanais parmi lesquels Crowd Lu [盧廣仲], lauréat des Golden Melody Awards 2018 du meilleur compositeur et de la chanson de l’année. D’après Hsu Yi-chun, ce type de campagnes promotionnelles, axées sur la diversité et l’international, sont essentielles pour faire naître les stars de demain dans l’industrie de la musique pop.

De nombreuses stars de la pop participent en 2010 à un concert célébrant le 30e anniversaire de Rock Records, le premier label créé localement à Taiwan. (Aimable crédit de Rock Records)

Transformation numérique

La structure actuelle du chiffre d’affaires du secteur de la musique à Taiwan serait méconnaissable pour un magnat de l’industrie du disque de la fin du siècle dernier. En accord avec la tendance mondiale, les ventes physiques ont chuté de façon vertigineuse. Selon les données du BAMID, elles sont passées de 12,26 milliards de dollars taiwanais (408,7 millions de dollars américains) à leur apogée en 1997, à 991 millions de dollars taiwanais (33 millions de dollars américains) en 2016.
 
Cet effondrement a été provoqué dans les années 1990 par le développement de l’accès à internet, et il s’est accentué en 2004 avec le lancement du premier site de streaming taiwanais, KKBOX, suivi par de nombreuses autres plateformes musicales en ligne. Alors que les consommateurs utilisent de plus en plus internet, les chiffres du BAMID montrent que ces services ont vu leurs revenus doubler entre 2011 et 2016 pour atteindre 3,18 milliards de dollars taiwanais (106 millions de dollars américains).
 
Si les ventes numériques n’arrivent toujours pas au niveau des sommets atteints à la fin des années 1990 pour les ventes de disques, un regain d’intérêt en faveur des concerts a permis au secteur d’assurer de nouvelles rentrées financières. La difficile transition du début des années 2000 est enfin de l’histoire ancienne. La valeur de la production du secteur, en incluant les concerts, les droits d’auteur, les frais de gestion et les autres sources de revenus, a connu une hausse annuelle de 11 % en 2016, atteignant 17,88 milliards de dollars taiwanais (596 millions de dollars américains).
 
Abby Hsieh [謝婉萍], vice-présidente de la division de la création de contenus chez Rock Records, explique que les plateformes numériques ont transformé la pop en une industrie qui ne connaît pas de frontières. Fondée en 1980, l’entreprise est le premier label créé localement à Taiwan et elle possède un impressionnant catalogue de titres disponibles en ligne à Taiwan comme à l’étranger à travers des services comme KKBOX et Apple Music. « Les CD sont aujourd’hui principalement des objets de collection, tout comme les vinyles, qui ont fait leur grand retour ces trois dernières années pour la même raison », ajoute-t-elle.

L’auteur-compositeur-interprète Haor chante les titres de son second album How lors d’un concert en juillet 2018, à Taipei. (Photo : Chin Hung-hao / MOFA)

La suprématie du web est confirmée par la décision du BAMID en 2017 de commencer à accepter les titres disponibles uniquement sur internet pour les nominations des Golden Melody Awards. En 2018, le bureau a reçu 6 047 candidatures de ce type, soit trois fois plus que l’année précédente.
 
« A l’ère d’internet, les apprentis musiciens bénéficient de nombreux moyens de mettre en avant leur talent, mais cela signifie aussi que la compétition est plus vive que jamais », argumente la star Haor [許書豪]. Le jeune homme de 31 ans a été nominé aux Golden Melody Awards 2018 dans la catégorie du meilleur chanteur en mandarin avec son second album, How, pour lequel il a écrit la plupart des musiques et des paroles. « Aujourd’hui, avoir une jolie voix n’est tout simplement plus suffisant. Il faut afficher son individualité », analyse-t-il.

La scène, nouveau Graal

Pour Abby Hsieh, le déclin des ventes physiques a changé la manière d’évaluer le succès. « La sortie d’un nouvel album était auparavant un grand événement, mais maintenant c’est secondaire, explique-t-elle. Ce qui définit un artiste aujourd’hui, c’est la qualité de ses concerts et sa capacité à remplir des salles comme Taipei Arena. »
 
Jamie Hsueh [薛忠銘], directeur du programme de licence en musique pop de l’Université des sciences et des technologies de Taipei, indique de la même façon que le charisme scénique est une clé de l’attrait que peut exercer un artiste aujourd’hui. « Dorénavant il faut savoir comment se comporter devant un vaste public si l’on veut réussir », remarque-t-il.
 
Malgré les réserves initiales de certains experts qui craignaient que le développement des plateformes internet ne fasse chuter les ventes de billets, les concerts ont au contraire décollé depuis que le secteur musical est passé en ligne, indique Paul Wang [汪聖柏], directeur financier de KHAM Inc., un organisateur de concerts et d’événements basé à Taipei. Entre 2011 et 2016, les recettes tirées des concerts ont augmenté de 22 % pour atteindre 4,44 milliards de dollars taiwanais (148 millions de dollars américains). Ce chiffre monte même à 6,19 milliards (206,3 millions de dollars américains) si l’on prend en compte les concerts organisés par les labels, comptabilisés dans une catégorie distincte par le BAMID. « En réalité, nous observons qu’un meilleur accès à la musique favorise l’engagement du public et renforce l’envie de participer à des concerts », indique Paul Wang.

Les Golden Melody Awards, la plus large remise de prix musicaux du pays, est l’événement annuel le plus attendu du monde de la musique à Taiwan. (Aimable crédit de Taiwan Television Enterprise)

La popularité grandissante des spectacles a coïncidé avec l’ouverture de Taipei Arena. Inaugurée en 2004, la structure d’une capacité de 11 000 places assises est la plus grande salle de spectacles du pays et elle a pu être appréciée ces dernières années par des grandes vedettes internationales telles que Namie Amuro, Céline Dion ou encore Katy Perry. Sa construction a permis de faciliter l’expansion rapide du marché des concerts au cours de la décennie qui vient de s’écouler.
 
L’industrie taiwanaise de la musique live devrait connaître une impulsion majeure dans un avenir proche grâce à deux infrastructures gouvernementales très attendues : le Centre de la musique pop de Taipei et le Centre maritime de la culture et de la musique pop de Kaohsiung, dans le sud du pays. Les deux édifices doivent ouvrir prochainement, chacun possédant des salles de spectacles pouvant recevoir autour de 6 000 personnes. « L’industrie est en forte demande d’espace fermés de taille moyenne avec des capacités d’accueil entre 3 000 et 10 000 places et ces deux lieux vont combler ce manque à la perfection », argumente Paul Wang.
 
Les infrastructures devraient stimuler le développement artistique et commercial de célébrités émergentes telles que le groupe No Party For Cao Dong. En juin 2018, le producteur Lee Hsiao-tzu [李孝祖] était occupé à finaliser le second album du groupe pendant que les membres se préparaient à débuter une tournée mondiale avec des étapes prévues dans plus de 30 villes parmi lesquelles New York,  Séoul, Tokyo et Toronto. « Ils essaient toujours d’être vraiment créatifs avec leurs nouveaux titres, indique Lee Hsiao-tzu. Et avec le temps, quand ils auront acquis plus d’expérience, je suis sûr qu’ils réussiront à développer davantage encore leur voix unique. »

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