06/05/2024

Taiwan Today

Accueil

Sakuliu Pavavalung, dictionnaire vivant de la culture paiwan

29/06/2019
Sakuliu Pavavalung examine une de ses sculptures dans son studio du district de Pingtung, dqns le sud de Taiwan. Cet artiste polyvalent travaille avec une variété de matériaux tels que l’argile, le verre, le métal, la pierre ou le bois.
Aimable crédit de Liu Chen-hsiang

A travers ses œuvres, l’artiste paiwan Sakuliu Pavavalung encourage les communautés aborigènes à préserver leur héritage.

Avec sa magnifique coiffe de plumes et son habit traditionnel composé d’une chemise bleue et d’une veste brodée, l’artiste aborigène Sakuliu Pavavalung a volé la vedette aux autres participants lors de la cérémonie de remise du Prix national pour les arts, organisée le 3 avril 2018 à New Taipei. Aux côtés de la présidente Tsai Ing-wen [] et des autres lauréats, l’artiste était tout sourire au moment de devenir le premier aborigène à recevoir ce prix dans la catégorie des beaux-arts. Il s’agit de la plus prestigieuse récompense nationale dans le domaine des arts et de la culture.

Né en 1960 dans la commune pittoresque de Sandimen, nichée dans les montagnes du district de Pingtung, dans le sud du pays, Sakuliu est un membre du peuple autochtone paiwan, l’un des seize officiellement reconnus à Taiwan. Il est issu d’une famille de créateurs, avec comme frère cadet Etan Pavavalung, lui-même connu pour ses originales gravures sur bois peintes évoquant les rêves.

Chasseur sur un échafaudage

Bronze, 2009, 125 x 42 x 15 cm (Aimable crédit de Sakuliu Pavavalung)

Sakuliu est tout autant prolifique que polyvalent. Il est à la fois dessinateur d’animation, auteur, réalisateur de documentaires, peintre, potier et sculpteur. Dans le passé, il a travaillé avec des matériaux comme l’argile, le verre, le métal, la pierre ou encore le bois. Ses œuvres ont déjà été présentées dans des expositions locales et internationales et plusieurs d’entre elles font partie des collections permanentes des musées nationaux tels que le Musée des beaux-arts de Kaohsiung (KMFA), dans le sud du pays, le Musée national de la préhistoire (NMP), dans le district de Taitung, et le Musée Shung Ye des aborigènes formosans, à Taipei.

Son travail est caractérisé par des motifs répétitifs empruntés aux cultures aborigènes. Les animaux tels que les sangliers et les cerfs sont par exemple des sujets fréquents en raison de la place centrale que tenait autrefois la chasse dans la vie des hommes paiwan. L’illustration Le Terrain de chasse à travers les générations est une danse animée d’hommes armés de flèches et de lances à la poursuite d’un redoutable sanglier. Cerf ami, une sculpture faite de pierre et de bronze représentant une biche et ses deux faons, reflète les liens qui existent dans une famille et entre une communauté et sa terre. Cette œuvre est exposée de façon permanente à l’extérieur du KMFA.

Conserver la culture

Au fil des décennies, l’artiste s’est mis à partager son temps entre son travail de création et des activités de préservation et de promotion de l’héritage aborigène. « Les trois formes d’artisanat les plus précieuses de la culture paiwan sont les couteaux en bronze, les perles de verre et les pots en argile, précise-t-il. Cependant, le savoir-faire nécessaire à la survie de ces pratiques est en train de disparaître. »

Le Terrain de chasse à travers les générations

Crayons de couleur, 2009, 21 x 29 cm (Aimable crédit de Sakuliu Pavavalung)

Prenant sa mission très au sérieux, Sakuliu a mené de méticuleuses recherches et travaillé à la transmission du savoir qu’il a acquis, à travers son enseignement ou son enregistrement sur des supports papier et dans des vidéos. « Je veux que mes créations incitent les jeunes membres de ma communauté à réfléchir sur notre identité culturelle, à comprendre nos valeurs et à trouver des moyens de les préserver », explique-t-il.

Sakuliu s’efforce également de susciter un sentiment d’appréciation et de respect de la part du grand public pour la culture aborigène. « Je veux essayer d’améliorer les choses et d’influencer la perception qu’on peut avoir des peuples aborigènes », précise-t-il. Agé d’une vingtaine d’années, il décida ainsi de faire revivre la poterie traditionnelle paiwan en étudiant des documents anciens, en collectant des récits oraux auprès des aînés de la tribu et en réunissant le tout au sein d’un ouvrage. Terre ancestrale a remporté le prix du Vase tripode d’or de la publication en 2014 pour avoir réussi à rendre compte de la complexité, de la profondeur et de la spiritualité de la poterie paiwan. Cette récompense annuelle a été mise en place par le ministère de la Culture dans le but de distinguer les meilleurs livres, magazines et éditeurs nationaux.

La couverture de Terre ancestrale, le livre de Sakuliu qui a remporté le prix du Vase tripode d’or de la publication en 2014. (Aimable crédit de Sakuliu Pavavalung)

L’émancipation des aborigènes

En recevant le Prix national pour les arts en 2018, Sakuliu a saisi l’opportunité de son discours de remerciement pour évoquer la responsabilité qu’il ressent vis-à-vis des jeunes membres des communautés aborigènes. « L’une de nos missions essentielles est d’apprendre aux enfants à apprécier l’art, mais aussi à accorder de la valeur à sa culture, à sa langue, à sa religion tout en faisant de même avec celles des autres peuples », affirmait-il alors.

Une part importante de son travail de redynamisation des pratiques culturelles a consisté à autonomiser les communautés et à encourager les jeunes à assumer leur identité et à explorer leur héritage. En 2017, sur l’invitation du district de Hualien, situé dans l’est de Taiwan, Sakuliu a passé plusieurs mois à enseigner à des jeunes issus du peuple autochtone bunun comment construire des maisons traditionnelles en utilisant l’ardoise. Le projet avait pour but d’encourager les apprentis à réutiliser les compétences acquises afin de construire des structures similaires dans leurs villages respectifs et ainsi de garder la tradition vivante. Il a aussi organisé d’innombrables ateliers à travers le pays pour enseigner aux jeunes aborigènes le dessin, la sculpture et la poterie traditionnelle. Son objectif étant alors de leur fournir des savoir-faire qui leur permettent d’avoir de plus grandes possibilités de revenus.

Sakuliu (5e à d., rang du milieu) se repose avec des membres de l’ethnie bunun à côté d’une maison d’ardoise qu’ils ont construite ensemble dans le district de Hualien, dans l’est de Taiwan. En 2017, l’administration locale a invité l’artiste à venir enseigner les techniques de construction traditionnelle aux aborigènes. (Aimable crédit de Sakuliu Pavavalung)

Lu Mei-fen [], conservatrice associée au NMP, a fait de nombreuses recherches sur Sakuliu pour écrire une biographie qui a pris place dans une série de dix livres sur les artistes nationaux d’exception commandée par le Musée national des beaux-arts de Taiwan, situé dans la ville de Taichung au centre-ouest du pays. « Ce qui distingue Sakuliu, c’est son travail pour la sauvegarde des intérêts et des droits des peuples aborigènes, ainsi que ses efforts pour renforcer leur confiance en leur propre culture, indique Lu Mei-fen. C’est aussi une raison pour laquelle, outre son talent artistique, il a retenu l’attention des juges du Prix national pour les arts. » Selon Lu Mei-fen, Sakuliu fut un pionnier du mouvement des années 1990 pour l’apprentissage de l’art aborigène au sein des communautés.

L’anthropologiste Chiang Bien [], directeur du Centre de la culture austronésienne de l’Université nationale de Taitung, connait Sakuliu depuis sa jeunesse. D’ailleurs, ce sont les enquêtes de terrain de Chiang Bien qui ont motivé l’artiste à se lancer dans ses propres recherches il y a de cela plusieurs années. « Sakuliu s’est toujours soucié de son village, de sa tribu et de tous les Aborigènes et il est devenu un leader d’opinion important, explique-t-il. Il est l’une des figures de proue du mouvement autochtone national. »

Une couverture culturelle

Bronze, 2009, 20 x 32 x 33 cm (Aimable crédit de Sakuliu Pavavalung)

Un art venu du cœur

D’après Chiang Bien, le statut de Sakuliu au sein de monde de l’art (où ses œuvres se vendent généralement à des prix élevés) a fait de lui un modèle positif pour les jeunes aborigènes. Le KMFA l’a longtemps sollicité et c’est ainsi que de décembre 2015 à mars 2016, le musée a organisé son exposition solo intitulée Un souvenir de lumière. Celle-ci permettait entre autres choses d’y découvrir une maison construite à l’aide d’un empilement méticuleux de plaques d’ardoise et de larges pots d’argile décorés de motifs tourbillonnants et d’esquisses d’activités villageoises éclairées à la lueur d’un feu.

Tseng Mei-chen [], chercheuse principale au sein du musée, indique que Sakuliu est l’un des créateurs les plus souvent invités pour participer à des programmes de résidence d’artistes, des expositions et des conférences visant à promouvoir les arts aborigènes. KMFA possède dans sa collection 23 des œuvres de Sakuliu, parmi lesquelles des sculptures et des dessins. Des recherches incessantes lui ont permis de représenter de manière fidèle les spécificités aborigènes et, selon Tseng Mei-chen, l’artiste est « un dictionnaire vivant de la culture paiwan ».

La figure d’argile Allumer une pipe ajoute une touche de chaleur à l’exposition solo de Sakuliu Un souvenir de lumière, qui s’est tenue de décembre 2015 à mars 2016 au Musée des beaux-arts de Kaohsiung, dans le sud de Taiwan. (Aimable crédit de Sakuliu Pavavalung)

Son travail a gagné en reconnaissance grâce à son aspect chaleureux et simple, teinté parfois d’un certain sens de l’humour, ajoute-t-elle. Dans la figure d’argile Allumer une pipe, un ancien de la tribu tente de fumer en s’aidant d’une ampoule électrique, reflétant ainsi les malentendus qui peuvent survenir quand une personne vivant dans un lieu reculé est confrontée à des technologies qui lui sont peu familières.

Son art est le reflet de ce qu’il est, affirme Chiang Bien, à savoir un homme affable, ouvert et tolérant. Ses créations incarnent sa personnalité et son attitude face à la vie. « Les œuvres de Sakuliu sont emplies d’émotion et d’humour, et il expérimente constamment avec des nouveaux matériaux et de nouvelles techniques. Son art est à la fois marquant et il s’exprime dans une diversité de formes différentes. »

Cette souplesse est peut-être due à la façon dont les Paiwan conçoivent l’art. « Nous n’avons pas de mot pour désigner l’artiste dans notre langue, explique Sakuliu. Une personne qui maîtrise plusieurs techniques artisanales est appelée ‘pulima’ ». De la même façon, ajoute-t-il, le mot paiwan le plus proche de l’idée d’œuvre d’art est « malang », qui signifie « belle chose ». Après tout, cela est tout à fait représentatif du travail de l’artiste : il crée de belles choses.

Les plus lus

Les plus récents